LA DÉCROISSANCE EST-ELLE INÉVITABLE ?

UNE OU DÉCROISSANCE ?


Crise économique, crise écologique, depuis combien de temps n’a-t-on pas eu de journaux sans mauvaises nouvelles ? Et si la réponse à tous nos maux était la remise en cause du paradigme de croissance, fondement de nos sociétés ? C’est l’argument avancé par les partisans qui s’unissent sous l’adjectif polémique « décroissants ». Mais ces derniers, marginalisés sur l’échiquier politique, ne réussissent pas à faire entendre leur voix autrement que par la contestation. Stigmatisée comme s’opposant au consensus sur les valeurs du développement durable, boudée par les économistes qui ne voient pas où veut en venir ce nouveau programme, la décroissance serait-elle condamnée à rester un sujet de polémique entre universitaires et une vaine critique sans lendemain ?

Ce que dénoncent les décroissants, c’est l’irrationalité d’une croissance sans limites. Selon eux le schéma est clair : l’accroissement de la production est conditionné par une consommation accrue de ressources, notamment énergétiques. Partisans de la notion de « pic des ressources », ils conçoivent celles-ci comme par nature finies. On ne pourrait donc pas croitre infiniment sans être totalement utopiste. De plus la croissance n’offre pas de perceptives de développement à l’Homme : ce dernier est perçu comme enchainé à la consommation, qui est le corolaire logique de la production. La croissance est donc vue comme un dogme liberticide qui engendre crises écologique et sociale, donc qui génère plus de mal qu’elle n’en résout. La réponse est alors unanime : débarrassons-nous-en.

Mais que faire à la place ? Faut-il croître différemment, en privilégiant le développement humain face à l’économie, ou véritablement diminuer nos capacités productives ? Au sein même du groupe, des dissensions règnent. On ne peut pas affirmer qu’il y ait une unité théorique au sein du mouvement qui est marqué par une grande diversité de penseurs. Si l’objectif est clair, les moyens invoqués pour y tendre, sont, eux, parfois abracadabrants. Certains parlent de pédagogie des catastrophes : la décroissance est perçue comme un destin inéluctable auquel il est nécessaire de se préparer le mieux possible, pour éviter tout simplement de disparaître. La référence à Jared Diamond est implicite. Celui-ci a établi dans son livre Collapse une collection d’échecs et de réussite de réformes de sociétés face à une catastrophe. Ces décroissantistes se conçoivent alors comme une minorité active, préparant en avance un programme politique d’après crise. D’autre conçoivent la décroissance comme un programme social à mettre en œuvre immédiatement, pour curer nos sociétés de leurs tares actuelles. La décroissance serait alors synonyme de l’avènement d’un bien-être véritable. Enfin de nombreux militants invoquent la décroissance comme une attitude pragmatique pour faire face aux crises actuelles : la décroissance se réduirait alors à ne plus prendre l’avion, à isoler convenablement sa maison et cultiver son jardin.

Cette hétérogénéité du mouvement n’est pas pour servir la construction d’un débat à la hauteur des enjeux. Les sous controverses intrinsèques au concept de décroissance semblent empêcher l’élaboration d’un concept fort, pouvant se mesurer à la championne mondiale de l’économie : la croissance. La décroissance, jusqu’à présent essentiellement incarnée par des philosophes et des militants, a pour adversaire une classe solide, celle des économistes. Ces scientifiques, assis sur leurs certitudes et modèles mathématiques, n’entrent que partiellement dans un débat qu’ils jugent infondé. Les économistes décroissants ne courent pas les rues ; les rares qui s’attachent à la défense du concept sont généralement en fin de carrière, ou sont des hétérodoxes. Le cas de Nicholas Georgescu-Roegen est emblématique. Ses travaux en économie ont certes conduit au concept de décroissance ; mais ils sont essentiellement basés sur le concept physique de l’entropie. Ces économistes sont alors loin de faire l’unanimité au sein de leurs pairs. On peut affirmer que pour la majorité des économistes, la croissance est la solution aux crises actuelles et non leur centre névralgique commun. Interviewé, Mr Etienne Wasmer, qui en 2004 a reçu le prix du meilleur jeune économiste de France, affirme que dans le contexte actuel : « il faut urgemment croître ». L’analyse de ces derniers est claire. C’est la croissance qui permet de générer les ressources nécessaires pour faire face au changement climatique et à l’intégration sociale. La décroissance est dénoncée comme une idéologie de pays riches qui mènerait alors droit dans le mur. L’incompréhension semble être totale entre les deux groupes, le débat semble figé ; comme si l’avenir seul en affirmant ou infirmant l’hypothèse de la catastrophe à venir décidera de l’avenir de la décroissance.
Cependant, ces mêmes économistes qui condamnent la décroissance en soulignant son coup financier, la coercition qu’elle imposerait etc, reconnaissent que des constantes arbitraires habitent leurs modèles. Le grand public n’a pas accès aux débats internes de la profession, qui sont masqués par la complexité des équations. Or, c’est en jouant sur ces constantes que décroître devient possible. L’exemple type est la fixation en économie du taux de préférence pour le présent. Ce taux est selon les règles de l’économie classique très élevé ; les agents économiques sont alors perçus comme ayant une « préférence pure pour le présent » (Harold 1948). Dans ces circonstances, la décroissance qui propose de construire un futur meilleur en faisant des concessions la consommation présente, est alors condamnée par tout les modèles économiques.

Le dépassement de la controverse serait alors rendu possible par l’action citoyenne. C’est aux citoyens, et non aux dirigeants, de définir l’attitude à avoir. C’est le fondement de la démocratie que de ne pas refuser le dialogue avec l’opposition en adoptant une attitude de dénigrement systématique. Les décroissants se mobilisent de plus en plus, à travers des partis, des associations, des manifestations pour susciter le débat auprès du grand public. Cependant, ils sont repoussés par les dirigeants actuels : la décroissance n’était pas présente à la table ronde du Grenelle de l’environnement initiée par M. Sarkozy en 2007, et elle a du construire son propre « contre Grenelle » en 2008. C’est par une écoute mutuelle et la construction d’un débat arbitré par les citoyens que la controverse de la décroissance pourra trouver sa résolution.

  • LUC SEMAL

    QUI EST-IL?

    Doctorant en Sciences Politiques au CERAPS(Lille 2). Il est membre du comité de rédaction d'Entropia, a co-écrit un chapitre dans l'édition française du Manuel de transition d'Hopkins, et est séminariste à Sciences-Po Paris sur les politiques de décroissance.
    Semal a particulièrement étudié les villes en transition, c'est-à-dire les villes qui procèdent déjà à un passage à la décroissance. Luc Semal pense que la limitation énergétique entraînera une décroissance de facto et que l’on se doit de la préparer. Toutefois, son avis est aussi que la décroissance est souhaitable en tous cas car elle apporte un bien-être social certain. Il s’agirait donc dès aujourd’hui d’effectuer de nombreuses reconversions ou des limitations de salaire.

    PUBLICATIONS

    ARTICLES

    Shaun Chamberlin, 2009, The Transition Timeline: For a local, resilient future, Greenbooks, Chelsea Green Publishing, 192 p.
    Paru dans Développement durable et territoires, Lectures
    Publication de 2009

    Bertrand Méheust, 2009, La Politique de l’oxymore. Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité du monde, La Découverte, 161 p.
    Paru dans Développement durable et territoires, Lectures
    Publication de 2009


    COMPTE-RENDUS

    Christian Comeliau, 2006, La Croissance ou le progrès ? Croissance, décroissance, développement durable, Seuil.
    Paru dans Développement durable et territoires, Lectures
    Publications de 2006

    MEADOWS Donella, RANDERS Jorgen et MEADOWS Dennis, 2004, Limits to Growth. The 30-Year Update, Chelsea Green Publishing, 338 p.
    Paru dans Développement durable et territoires, Lectures
    Publication de 2004

    Mark Lynas, 2007, Six Degrees. Our future on a hotter planet, Fourth Estate (Harper Collins).
    Paru dans Développement durable et territoires, Lectures
    Publication de 2007

    Howard T. Odum et Elisabeth C. Odum, 2008, A Prosperous Way Down: Principles and Policies, University Press of Colorado, (2001 pour la 1ère edition), 348 p.
    Paru dans Développement durable et territoires, Lectures
    Publication de 2008

    Rob Hopkins, 2008, The Transition Handbook. From Oil Dependency to Local Resilience, Green books, 224 p.
    Paru dans Développement durable et territoires, Lectures
    Publication de 2008

    Alain Gras, 2007, Le Choix du feu. Aux origines de la crise climatique, Fayard, 281 p.
    Paru dans Développement durable et territoires, Lectures
    Publications de 2007

    Des plans de limitation énergétique pour la décroissance Parangon, p.175
    Paru dans Entropia n°9 automne 2010


    NOTE DE LECTURE

    Heinberg Richard, 2008, Pétrole: la fête est finie ! Avenir des sociétés industrielles après le pic pétrolier, Éditions Demi-Lune, [2003 pour la première édition en langue anglaise]
    Paru dans Développement durable et territoires, Lectures
    Publications de 2008

    INTERVIEW

    Y-a-til une décroissance type ?

    Il y a plusieurs décroissances : on sort souvent la caricature «autant de décroissance que de décroissantistes».
    Certains voient la décroissance comme un :
    -Projet : souhaitable, on veut convaincre le citoyen mais ce n’est pas facile de passer à une économie de décroissance, donc le projet ne suffit pas. La décroissance résout les dilemmes de la manière la plus juste possible.
    -Destin : nos sociétés industrielle sont vouées à décroître : la question est : va-t-on accepter et s’organiser, va-t-on le nier et essayer de tenir ? Luc Semal voit la décroissance comme un destin avec marge de manœuvre : elle est subie, mais c’est facile de se contenter de dire ça. Il faut faire des choix donc on renonce à certaines choses (moins de mobilité, pour les plus riches surtout, par exemple) mais il y a une part de projet car si on est organisé, le passage à la décroissance peut être bénéfique (en ce qui concerne la pollution, le stress, le partage du temps…).

    Mobilité ?

    Faire moins de voyages, et voyager différemment. Depuis quelque temps, on ne voyage plus, on se déplace ! Pour aller aux USA, il fallait 10 jours de bateau dans les années 1950 et il y avait un temps de vie sociale lors de ces déplacements. Il faudrait un retour à ces voyages.
    La continuation de l’avion n’est pas possible. Il faut apprendre à partager mieux en prenant acte de la raréfaction des ressources, faire des économies. Dans les sociétés où il y a moins d’écarts de richesses, il y a de meilleurs rapports sociaux.

    Pourquoi les transition towns apparaissent en Angleterre ?

    Les transition towns et villes de transition, leur équivalent français, voient le jour en même temps à quelques années près. Le contexte est identique : il y a un écart scientifique de «on va dans le mur» et «on va inverser cela politiquement». La décroissance est un mouvement théorique macro-social d’universitaires et de pratiques individuelles de simplicité volontaire. Il y a des traces de pragmatisme chez les anglo-saxons, peu d’idéologie, de la technique. Comme illustration : ils ont produit un manuel, nous une revue.
    En France surtout, il y a une cinquantaine de groupes de travail. Il y a un débat sur la «transition est-elle anti-capitaliste ?». Les anglais ne se posent pas la question. Le capitalisme ne va pas survivre comme il est actuellement au pic pétrolier : il y aura nécessairement moins de déplacement de matière, de personne, d’énergie. On peut s’attendre à un affaissement, un recul du capitalisme plutôt qu’un effondrement. La politisation est un obstacle : la décroissance est alors perçue comme gauchiste et idéologique par les anglo-saxons.

    La nécessité de la décroissance est-elle seulement environnementale et énergétique ?

    Même sans nécessité écologique, on devrait décroître. Parce qu’on on vivrait mieux. C’est un projet de société qui va contre la recherche d’accumulation de nos sociétés occidentales. Toutefois, le départ de la pensée reste le mythe environnemental. On peut faire des jeux de l’esprit, s’il n’y avait pas de problème environnemental, on penserait moins à la décroissance. La décroissance est souhaitable, pas nécessaire. L’industrialisation dépasse le seuil de contre-productivité : elle entraîne plus de dégâts que de bénéfices. On a dépassé un seuil, une étape : à la fin des années 1960, on pensait que la société allait rejeter la société industrialisée et allait se révolter. Ca n’est pas arrivé. Si le retournement n’a pas abouti à l’époque, aujourd’hui il le pourrait car la situation à changé : on n’appelle pas à un respect des générations futures, on se heurte au choc pétrolier !

    Quels sont les personnalités ou organisations qui font entendre leur voix ? Avec qui êtes-vous en opposition/d’accord et pourquoi ? quels arguments opposez-vous à vos adversaires ?

    Yves Cochet est partisan de la vision de destin.
    Alain Gras va un peu nuancer le destin : il pense que nous vivons un kaïros (un des mots qui veut dire le temps en grec : c’est le moment où on a un choix entre deux trajectoires plus ou moins déterminées). On a eu un doute dans les années 1970 sur la voie à prendre pour vivre heureux, puis on a encore fait le choix de la croissance. On s’ouvre un nouveau kairos maintenant…
    Rob Hopkins, initiateur des Transition towns, ne serait même pas décroissant. Il réalise le même questionnement avec une autre approche, un autre vocabulaire.
    La décroissance est en désaccord fondamental avec ce que le public attend : la décroissance n’est pas nécessaire mais on en a donné envie, cependant il ne faut pas aller vers le catastrophisme. Ce n’est pas juste un projet de joie de vivre. Le «moi» égoïste pense : il y a des voyages que j'aimerais faire, mais si je les faisais ce serait participer à une domination sociale. Ce n’est pas que du plaisir la décroissance. «Le journal de la joie de vivre» est le sous-titre du journal de la décroissance. C’est assez hypocrite.
    Les décroissantistes ne sont pas des anarchistes. Luc Semal a une tendance libertaire, mais il y a des seuils déjà passés qui ne peuvent plus se résorber tout seuls. Par exemple, l’existence de déchets nucléaires en France : comment on gère ca dans la durée sans État ? Les espèces animales au bord de la disparition, si on ne les surveille pas, on ne donne pas cher de leur peau

    De quelle nature doit être le changement décroissantiste : culturel, politique … ? Qui doit donner l’impulsion de la transition (éducation, politique, ONG … ) ? Quelles propositions concrètes peut-on faire ?

    Cette question se pose dans les années 1970. On avait le temps. On n’a plus le même calendrier, il y a 40 de passés ; et si en 40 ans on n’a pas ralenti les tendances lourdes de hausse de mobilité, perte de biodiversité la question est dure. On ne va rien faire, on va donc se heurter brutalement au pic pétrolier. On ne réfléchit pas assez au rôle de l’état. La réduction de la consommation dans les pays riches doit venir d’une action politique. Il faut un droit d’inventaire sur ce que l’état a fait de bien : on va aller vers la décentralisation. L’état ne disparaît pas pour autant ; on rétablirait la peine de mort en Vendée sinon ! Et encore une fois on a dépassé des seuils, parfois irréversiblement.

    Comment la décroissance doit-elle s’inclure dans l’ordre mondial ? a quelle échelle est t elle possible, souhaitable, au début et au fil du temps ?

    La notion de ville en transition est un « étirement d’imagination » (par exemple : la bombe atomique dépasse notre capacité d’imagination, on doit proposer une politique à la hauteur de cet enjeux). On ne réalise pas, même les écologistes, à quel point l’avenir tel qu’on le prépare aujourd’hui est sombre. Le pari de ces villes est que localement, avec des méthodes de concertation, on peut faire cet effort d’imagination.
    Il existe 3 histoires de l’avenir portées par les films, les romans … 1> business as usual : les voitures deviennent électriques… on s’adapte tant bien que mal sans trop bousculer nos habitudes ! 2> apocalypse 3> délire technologique : la science trouvera bien quelque chose Il ne manque que la transition réussie vers un monde plus sobre ou on ne s’entretue pas, avec un meilleur partage des ressources. «On ne doit pas céder à la tentation bisounours.»
    Se préparer : Denis de Rougemont parle de la pédagogie des catastrophes, et nous sommes probablement dans ce cas : comme dans les années 1970, on ne s’attend pas à un choc, la société est en phase de doute, et c’est là que les propositions nouvelles apparaissent s’ils elles ont été préparées.
    Est-on près à ne plus faire la sourde oreille ? On va le comprendre…avant d’être contraint de préférence ! On pourrait vivre une guerre du climat d’après Velzer. En fait, on vit sur un mode de vie non généralisable. On maintient la pauvreté ; le durcissement des lois sur l’immigration est une conséquence de la dégradation environnementale : certains manquent de richesse et viennent la chercher chez nous, on ne fait que les brimer.

    Ces solutions sont-elles ponctuelles ou systématiques ?

    Il faut étirer l’imagination pour faire un travail sur soi dans le but de comprendre ce que ça veut dire «manger local». On ne va pas arriver à une masse critique de gens qui mangent des produits locaux et obliger les autres à les suivre de facto. Une revendication politique fait aussi son chemin mais ne touche même pas le PS : c’est l’idée d’un revenu maximum. Cette résolution ne serait plus du domaine des petits gestes. Au delà de x fois le SMIG, on paye 100% d’impôts, parce que même si on est très doué, on ne mérite pas en tant qu’humain de gagner plus qu’un autre. Au bout d’un moment, la richesse est parasitaire car on prend à d’autres et nos comportements se transforment en scandales énergétiques : les jets privés devraient être interdits. On n’aurait pas besoin de les interdire si il y avait un revenu maximal d’ailleurs : on a une part juste et on fait ce qu’on veut avec. Il n’y a pas de bon et mauvais usage. Les actions doivent être systématique. Certains actes sont tellement lourds en terme écologiques que les faire ponctuellement reste déterminant : un aller-retour en avion Paris-New York utiliserait notre budget carbone pour l’année si tous les humains avaient les mêmes droits d’émission : si on voulait faire cet aller-retour, on ne mangerait pas et on ne se chaufferait pas pendant un an ; mais comme personne ne se passe de ces commodités, on finit par entamer la part des autres. C’est tellement grave que cela pose problème même ponctuellement. On doit penser à la systématisation car on ne peut permettre 9 milliards de caprices, et les privilèges ne sont plus au goût du jour !

    La décroissance est-elle compatible avec le développement social d’un pays sudiste (tant dans le pays que si elle est faite par les pays du Nord) ?

    La Chine, par exemple, n’est pas prête à entendre ce discours. Pourtant, il est faux que dans ce débat les méchants pollueurs en développement s’opposent aux gentils pleins de bonne volonté ! C’est pour cela que le protocole de Kyoto rassemblait contraction et convergence : contraction globale de la production et de la consommation et convergence entre les pays.
    La croissance n’est pas un indicateur pertinent. Comprenons la différence entre autonomie et hétéronomie : soit on fait un travail soi-même soit on le donne à faire à quelqu’un d’autre. L’écologie politique est construite sur l’autonomisation. Le Sud est surtout pillé par le Nord. Si on faisait moins de vampirisme, il y en aurait plus pour eux (les terres agricoles sont accaparées pour cultiver des agro carburants à Madagascar, du soja du Brésil pour nourrir le bétail français). Si le nord achetait moins ça enlèverait de la pression.

    Mais si on achète moins, le Sud ne profite plus de nos investissements ?

    La FAO change d’avis : il faut l’autonomie alimentaire aux pays du Sud, car ils bradent leur produit au Nord mais leur achète les leurs très cher. Ils ne s’enrichissent pas. La France avait une situation soutenable dans les années 1960, et il y avait des congés payés, des vacances, peu de voitures, des vélos, on n’assisterait donc pas à un retour en arrière horrible ! La population augmente mais il y a eu des progrès d’efficacité, alors Luc Semal suppose que ces tendances se compensent. Mais ce n’est pas un retour en arrière ; de tout façon, la société n’est pas égalitaire. On joue sur les salaires les plus importrants dans cette décroissance.

    Quelle relation les décroissantistes voient-ils entre Homme et machine ?

    Il faut que la machine redevienne la servante de l’Homme et non l’inverse… mais cette formulation est rhétorique ! La machine doit perdre de son omniprésence car elle fonctionne à l’énergie abondante et bon marché ; elle doit redevenir un OUTIL convivial (dont on ne devient pas esclave). Ainsi, elle ne présentera plus de contre-productivité. Prenons un exemple : la voiture. Dans le modèle, elle ne disparaîtrait pas. On aurait encore des ambulances, peut-être des taxis. Mais l’hérésie du système actuel, c’est la voiture individuelle. Soit on en fait un privilège, aberration politique, soit on la généralise, aberration écologique. La machine doit être généralisable pour ne pas engendrer des inégalités flagrantes et destructrices.
    On va vers la réduction du temps de travail : cela crée du chômage de masse ou un partage (temps partiel). Nos sociétés ont tendance à tendre vers la première option. C’est la décroissance inconsciemment subie qui se met en place depuis 2008. Le travail est hétéronome, et on irait vers l’autonome avec la décroissance : on cultive son potager, on a son vélo (« même si ces exemples sont bateaux et niais »). Les inégalités sociales ont par ailleurs des effets négatif. D’après Sandrine Rousseau, la quantité de femme de ménage dans une société est corrélée aux inégalités sociales. « Il faut nettoyer nous-mêmes nos toilettes ! ». On ré autonomise certaines taches, on réoriente les emplois existants dans l’agriculture, certaines industries relocalisées, on contracte l’industrie de l’aviation, de l’automobile, certains constructeurs de portables reste (sauf pour les partisans de la théorie du « chaos », cf plus haut) dans une plus petite mesure, les transports ferroviaires embauchent et le nombre de routiers diminue.
    On fait quoi pour les reconversions ? Dans le ferroviaire, dans l’entretien de voitures à durée de vie plus longue.
    Luc Semal n’a pas de proposition politique miracle à donner, il voit plutôt un problème. Si on ne fait rien, la contraction se fera par du chômage de masse. Donc on peut imaginer une réduction drastique du temps de travail seulement chez les ouvriers qui ont un travail plus éprouvant physiquement et moins chez les autres, ainsi que des non remplacements de départs en retraite.
    Les fonctionnaires dans tout ça ? Ce sont du bien être, de la richesse, crée avec peu de base matérielle. Donc si on doit garder des emplois, ce sont ceux là ! Il faudrait presque embaucher et rouvrir des écoles dans les campagnes. La politique de la droite est absurde.

    BILAN

    Il faudrait être plus nombreux dans le monde de la décroissance pour penser aux détails. Cet effort, on voudrait le faire : par des journées d’études, en pouvant commander des rapports sur ces sujets. Par exemple, «la retraite dans la décroissance» ? Personne n’y a pensé. Il faudrait. Il faudra.

  • Luc Semal est partisan de la décroissance car elle est pour lui un destin : il faut faire en sorte que la transition se passe le mieux possible, c'est-à-dire mettre en place notre résilience, ou capacité à rebondir. Mais de toute façon la décroissance est un meilleur projet de société que celui utilisé actuellement. On ne peut plus faire confiance ni à ceux souhaitent continuer la croissance telle qu’elle est aujourd’hui, ni aux théoriciens de l’apocalypse, ou encore aux technologies salvatrices.
    Luc Semal prône un mouvement optimiste qui se démarque du Doom and Gloom pessimiste, sans pour autant tomber dans le félicisme : il faut faire des sacrifices pour accéder à la décroissance ! Il s'oppose à Yves Cochet sur ce point.
    Selon lui, la transition ne se fera pas sans une certaine centralisation, malgré ses affinités libertaires. En effet, comment pourrait-on sauvegarder certaines espèces d’animaux sans intervention de l’État par exemple ?
    Concrètement, Luc Semal propose des reconversions de l’automobile dans la fonction publique par exemple, et s’intéresse particulièrement aux transition towns anglaises, sœurs jumelles des villes en transition.

    Luc Semal, à propos de son prix EPE-métro.