ÉPISODE 2 
UN COCKAIL EXPLOSIF 

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Un cocktail ayant fait ses preuves

La question de savoir si Plumpy’nut® est le « cocktail » à la composition idéale pour remplir son rôle de RUTF se pose logiquement considérant sa large distribution ; pourtant, sa réussite constatée empiriquement, sur le terrain, est son motif principal de légitimation. Sa formule n’est pas réellement reconnue scientifiquement, aucune directive de l’OMS n’indique d’ingrédients à utiliser pour produire le bon RUTF et Plumpy’nut® s’est simplement imposé comme standard, adopté pour son succès.

Cependant, comme l’a fait remarquer Michel Lescanne lors de l’entretien qu’il nous a accordé, d’un point de vue nutritionnel, la création d’une recette standard par le succès de Plumpy’nut® a permis de développer un grand nombre d’études sur l’utilisation de ce type de produits ou sur certains nutriments particuliers qu’ils contiennent, tels que le zinc. Actuellement, plus de 60 programmes de recherche sont en cours, ce qui stimule également les bailleurs qui financent les programmes en fonction de leur efficacité.

Si on s’intéresse de manière plus précise aux résultats de Plumpy’nut®, les chiffres sont éloquents : parmi les enfants traités par ce RUTF, en moyenne 85% sont réhabilités, entre 2 et 3% meurent et les autres sont transférés dans un hôpital car atteints d’une maladie ou abandonnés par leur famille qui se déplacent ailleurs. Concernant la durée du traitement, s’agissant du programme ‘intensif’, entre 40 et 42 jours permettent à l’enfant de passer de la malnutrition aigüe sévère à une malnutrition modérée. Les enfants sont ensuite suivis pendant 6 mois durant lesquels on leur administre des traitements plus légers.

Plumpy’nut® est par ailleurs un produit accepté et bien connu des populations, contrairement à d’autres RUTF alternatifs dont nous parlerons plus loin. Ainsi, le taux d’acceptation au sein des populations ciblées dépasse les 90% pour les enfants de toutes les origines géographiques, à l’exception de l’Asie où l’enthousiasme pour Plumpy’nut® est plus nuancé.

Les défauts relevés

La contamination par les aflatoxines

Un article écrit par deux scientifiques américains, Christopher Paul Wild et Ruggero Montesano, pour le magazine Science, dénonce un problème de champignons, les aflatoxines, dont le développement dans Plumpy’nut® serait lié à l’utilisation des arachides, un des principaux ingrédients du produit. Néanmoins, M. Lescanne avance qu’au Niger, par exemple, un contrôle en amont conduit à l’élimination d’environ 25% de la production d’arachides en raison de ce problème. Il assure ainsi que si ce contrôle préalable est effectué, il n’y a pas de risque pour Plumpy’nut®, puisque ces champignons ne peuvent se développer une fois le produit achevé. L’article de Science souligne par contre la création de franchise pour permettre une production locale de Plumpy’nut® dans les pays en développement accroît la difficulté de maintenir un contrôle de qualité sur la production dans certains de ces pays.

Quid de l’obésité ?

Michel Lescanne a soulevé lors de notre interview le problème d’une possibilité d’effet « secondaire » – décalé dans le temps – de risques d’obésité pour l’enfant ayant grandi, après avoir été alimenté par Plumpy’nut durant un certain temps. Notre rencontre avec l’ancien président de MSF Jean-Hervé Bradol confirme en outre ce point ; selon ses dires, et considérant sa qualité de médecin, Plumpy’nut® favoriserait l’obésité, ainsi que des maladies dégénératives telles que le diabète. Néanmoins, selon Michel Lescanne, ce problème serait surtout important lorsque Plumpy’nut® est utilisé sur de longues durées sur des sujets de plus de cinq ans ; la politique de Nutriset étant de traiter sur deux mois des enfants dès le plus jeune âge pour limiter les complications éventuelles par la suite, qui demeurent très faibles au regard du succès des traitements.

Le problème des allergies 

Il existerait des cas d’allergie faisant suite à la consommation de Plumpy’nut®, bien que Michel Lescanne ait affirmé que Nutriset n’avait pas eu de retour à propos d’éventuelles allergies.

Le nutritionniste à l’origine de Plumpy’nut®, André Briend, qualifie pour sa part ce souci de « problème mineur », prix à payer pour des conditions d’hygiène très bonnes.

D’autre part, une étude a comparé l’efficacité de Plumpy’nut® à celle d’un régime à base de lait pour réhabiliter les enfants malnutris. Elle montre ainsi que le beurre de cacahuète utilisé dans les préparations de RUTF contient des allergènes potentiels. Mais elle souligne également que l’allergie clinique est rare dans les pays en développement, spécifiquement chez les enfants malnutris dont les défenses immunitaires sont très affaiblies. L’important est par conséquent de mettre ce risque en perspective avec les avantages potentiels du traitement domestique que permet Plumpy’nut®, en particulier dans les zones où les cacahuètes font partie de l’alimentation locale.

Une concurrence avec le lait maternel ?

Certains opposants à Plumpy’nut® placent au centre de leur critique le potentiel de celui-ci à éloigner les mères du recours à l’allaitement maternel dans l’alimentation de leurs nourrissons. En effet, si l’enfant doit être nourri exclusivement au sein pendant ses 6 premiers mois, l’OMS et l’Unicef recommandent que cet allaitement continue jusqu’à ses 24 mois, ce qui réduirait le besoin d’aliments complémentaires.

Notre entretien avec Jean-Hervé Bradol est éclairante à ce sujet. La controverse se situe pour lui au sein de la sphère médico-scientifique, sur la composition des produits pour traiter la malnutrition. Il signale notamment que dès 4-6 mois il faut diversifier l’alimentation, le lait maternel couvrant bien les besoins jusque-là mais d’autres aliments étant nécessaires au bon développement de l’enfant à partir de ce moment. Il désigne les « Breast feeders » comme un mouvement très puissant de santé publique. Selon eux, la diversification doit se faire avec ce que la famille peut réunir dans son environnement proche et non par un produit industriel fabriqué par une firme multinationale. Jean-Hervé Bradol, pour sa part, considère comme plutôt utopique le principe selon lequel les familles de ces enfants malnutris disposent dans leur environnement proche de quoi diversifier leur alimentation, et préfère comparer Plumpy’nut® et les autres RUTF à nos « petits pots pour bébés » de pays développés, tout aussi « industriels » que Plumpy’nut®, et constituant un élément en faveur de l’affranchissement de la femme africaine de ses obligations ménagères, chose à laquelle elle aspire naturellement.

Des concurrents RUTF sérieux ?

Mais ces quelques problèmes nous amènent à nous questionner sur la potentielle capacité qu’auraient d’autres solutions, aussi de type RUTF, à les régler en proposant une recette améliorée par rapport à celle du Plumpy’nut. Les éléments sur lesquels nous pouvons nous baser quant à l’existence de telles alternatives sont, de la même manière que pour le Plumpy’nut, l’évaluation de leur utilisation sur le terrain, mais aussi des études comparatives qui ont été menées entre les principaux différents RUTF existants.

BP-100™

Le BP-100™ est un RUTF produit par Compact, une entreprise norvégienne dont le bureau est situé au Danemark. Ce produit ne contient pas d’arachide et n’est fabriqué qu’en Norvège. Il a été développé en même temps que Plumpy’nut® et a commencé à être distribué à la fin des années 1990, notamment par l’Unicef. BP-100™ a été développé à la demande de plusieurs organisations de secours humanitaire et de scientifiques qui travaillaient sur des améliorations dans l’usage de la formule du lait thérapeutique F-100, afin d’en développer une forme solide. Compact (qui développe par ailleurs une pâte RUTF nommée eeZeePaste™ en Inde et en Norvège) affirme que Plumpy’nut® résulte d’une tentative de la part de Nutriset de copier leur précédente formule, BP-5™ (RUF), sur le marché depuis le début des années 1980, en en faisant un RUTF. La société met en avant les avantages de BP-100™ par rapport au Plumpy’nut® : une durée de vie beaucoup plus longue, un emballage plus solide apte à résister au transport et à la manipulation, ainsi que sa présentation sous forme de biscuit, plus attractive et acceptée que les pâtes.

André Briend, pour sa part, n’est pas hostile à BP-100™, bien qu’il qualifie ce RUTF de moins pratique d’utilisation et de moins facile à fabriquer que Plumpy’nut®.

Un rapport de MSF a comparé le BP-100 et le Plumpy’nut et a conclu que pour une même durée passée dans le centre de traitement, le gain de poids des enfants traités par les deux formules étaient le même et que les deux produits étaient appréciés des enfants. La seule différence notable pouvant influencer l’étude est que les mères connaissent de manière presque unanime le Plumpy’nut alors qu’à l’inverse, l’existence du BP-100 est le plus souvent ignorée d’elles.

La spiruline

La spiruline est un complément alimentaire produit et promu notamment par la fondation Antenna Technologies et destiné à être mélangé à d’autres ingrédients. Cette cyanobactérie est très riche en protéines et en micronutriments. Bien qu’elle ait la capacité de stocker une partie des oligoéléments présents dans son milieu de culture, tels que le fer, elle contient peu de zinc dont les sources sont moins répandues. Si la spiruline peut être utilisée dans le traitement de la malnutrition aigüe sévère, Antenna reconnaît sa moindre adaptation à ce marché de par ses trop importants taux en sel et en protéines. En revanche, la spiruline apparaitrait tout à fait pertinente dans le cas de la malnutrition modérée, ce qui fait qu’elle n’apparaît pas comme un concurrent direct à Plumpy’nut® et Antenna ne la revendique d’ailleurs pas en tant que telle, mais davantage comme un complément à ce dernier pour lutter contre les carences en micronutriments, notamment pour les femmes enceintes ou qui allaitent. Cette complémentarité avec d’autres stratégies nutritionnelles a été d’ailleurs mise en évidence par une étude d’Antenna qui a montré que la spiruline se positionne plutôt en tant que complément des RUTF dans la prévention à long terme de la malnutrition chronique.

Ce point de vue est partagé sans surprise par André Briend, pour lequel « la spiruline n’est pas du tout une alternative à Plumpy’nut® ». Selon lui, la spiruline répondait à l’idée répandue selon laquelle le problème nutritionnel majeur dans les pays en développement serait le manque de protéines : cette idée était dominante entre les années 1950 et 1970 et a conduit au développement de solutions très riches en protéines à l’instar de la spiruline. Néanmoins, l’orientation actuelle des recherches en malnutrition tend plutôt à prôner un faible taux de protéines, leur élimination par l’organisme demandant une importante quantité d’énergie difficile à fournir par les enfants malnutris. Etant composé à seulement 10% de protéines, Plumpy’nut® s’inscrit donc parfaitement dans le cadre de ces recommandations, au contraire de la spiruline. André Briend relève en outre dans cet aliment le défaut de zinc et d’acides gras, très importants pour un régime alimentaire équilibré et le traitement de la malnutrition. L’IRD a en outre rendu un rapport en 2008 qui montre que le coût onéreux de la spiruline rend difficile son utilisation pour la fabrication des aliments distribués par les services de santé nationaux ou l’aide internationale et que trop d’incertitudes demeurent quant à sa qualité, son efficacité, les modalités adéquates d’utilisation et les éventuelles conséquences à long terme de sa distribution.

Les extraits foliaires de luzerne (EFL®)

Les foliaires de luzerne, notamment commercialisés par l’entreprise Prolivim, sont affichés comme « complément nutritionnel idéal pour lutter contre la malnutrition, pouvant s’intégrer facilement dans la nourriture traditionnelle et bien accepté par les différentes populations ». Le PDG de Prolivim, Daniel Fancony, que nous avons interviewé, vante sa composition à base de protéines végétales, rendant ce RUTF plus ‘naturel’ que Plumpy’nut®. Le produit est distribué principalement en Amérique du Sud et se compose de vitamine A, calcium, fer, protéines, lipides, glucides, minéraux, peu de fibres, « composition extraordinaire » selon Daniel Fancony, contrairement au « cocktail explosif » de Plumpy’nut®. Si « l’utilisation des EFL® est économiquement pertinente car elle ne modifie pas la culture alimentaire des populations et permet de se polariser sur le développement des productions traditionnelles », cette alternative demeure encore aujourd’hui marginale dans le marché de la lutte contre la malnutrition et n’a pas rencontré l’enthousiasme nécessaire à sa diffusion auprès des ONG et institutions internationales.

RUTF « locaux »

Dernière alternative au Plumpy’nut® importé, mais cette fois-ci encouragée par Nutriset dans le cadre de sa politique de développement, les RUTF produits localement. Une étude comparant les efficacités d’un RUTF local (mélange de 30% de lait entier, 28% de sucre-glace, 15% d’huile de coton, 25% de beurre de cacahuète non salé et 1,6% de vitamines et minéraux) et de Plumpy’nut® importé a conclu que celles-ci étaient similaires.

Il y a enfin une tradition de traitement de la malnutrition aigüe sévère dans les pays en développement avec des aliments localement disponibles, ayant de bons taux de rétablissement et à des prix plus faibles que les RUTF. En effet, dans les années 1960-70, dans beaucoup de ces pays, les traitements alimentaires consistaient en une mixture de lait, huile végétale, sucre et eau, ajoutés à du fer et à des vitamines ; ces produits étaient peu chers et disponibles.

Conclusion

Plumpy’nut® se présente ainsi comme un produit permettant de soigner efficacement la malnutrition aigüe sévère dans les pays en développement. Cependant, sa formule n’est ni « magique » ni « miracle », et est sans cesse l’objet de politiques de recherche et développement en vue de son amélioration, ce que la publicité faite autour du produit contribue à favoriser. Des alternatives d’efficacité similaires existent déjà, à l’instar de BP-100™, et le principal enjeu aujourd’hui est de déterminer quelle est la solution à la malnutrition la plus viable à long terme et la plus adaptée pour l’avenir de ces pays.


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