Depuis plus de quatre siècles, le Château de Versailles n’a de cesse de s’enrichir des époques qu’il traverse tant architecturalement que statutairement. Son histoire lui confère une identité trouble que chacun envisage différemment. C’est la définition de cette identité, si particulière à Versailles, qui fait jaillir les oppositions de notre controverse, entre des acteurs qui agissent le Château. Il est indéniable que la mise en place des expositions de Jeff Koons, Xavier Veilhan ou Takashi Murakami n’aurait pas provoqué l’expression d’oppositions aussi vives si elles avaient pris place dans une autre enceinte, et c’est dans cette perspective que le Château de Versailles peut être considéré comme un acteur, agissant sur la controverse. Le statut du château sert de point d’appui à l’argumentaire de chacun de nos acteurs. C’est leur vision du lieu politique, historique et esthétique qu’est Versailles qui conditionne leur prise de position.
Le château est avant tout l’emblème du pouvoir politique français sous la monarchie de droit divin. Palais Royal sous Louis XIV, jusqu’à la révolution puis sous la Monarchie de Juillet, son statut de lieu d’exercice du pouvoir politique perdure au-delà du règne des monarques. Cet aspect lui confère aujourd’hui le rôle de garant de l’histoire de France et le désigne comme fleuron du patrimoine national. Ceci questionne alors la légitimité du lieu à accueillir des artistes étrangers ou français soutenus par des personnalités privées ou de hauts administrateurs, qui selon certains, retireraient de cette exposition dans un lieu public une plus-value personnelle non négligeable, qu’elle soit financière ou encore médiatique. Cependant, refuser au château un tel rôle serait aussi nier le rôle de mécène qu’il a tenu dès son origine. Lieu de pouvoir, il se devait de refléter la richesse du patrimoine français et de contribuer au rayonnement de la culture française. Il a ainsi servi de tremplin à de nombreux artistes, à commencer par ses architectes Le Vau et Le Nôtre dont la renommée trouve sa source à Versailles.(1)
Mais c’est sans doute les identités historique et esthétique du château de Versailles qui soulèvent le plus de problématiques.
D’un côté, et ce dès le règne de Louis XIV, Versailles est le laboratoire et la vitrine de l’art de vivre français. Il accueille les événements les plus innovants, les plus à la mode. C’est en effet sur son domaine que le roi fait venir des artificiers de Chine afin d’éblouir sa cour. C’est aussi dans le cadre de représentations théâtrales mises en scène au château que les machineries les plus inventives sont élaborées. Dans toute son histoire, Versailles donne à voir ce qu’il ya de plus extraordinaire, de plus fastueux, de plus au goût du jour, dans un perpétuel renouvellement. Un fonctionnement proche de l’art contemporain aujourd’hui qui donne à voir la mode artistique du moment. Son rayonnement est tel que lorsque le pouvoir politique désinvestit les lieux, les révolutionnaires puis Louis-Philippe décident d’en faire successivement un musée de l’Ecole française puis un musée de l’histoire de France. Le château reste donc une vitrine de la culture française, mais opère un glissement du politique vers l’historique.(2)
Versailles rayonne aussi par sa beauté classique. La symétrie de ses jardins, les dorures de ses salles, l’envergure de ses bâtiments participent de l’ancrage de ce dernier dans la tradition du plus pur classicisme français. Cependant, Versailles est aussi un bâtiment composite qui fait cohabiter diverses époques artistiques et architecturales. Ainsi, par exemple, l’ancienne salle des gardes du roi accueille le tableau monumental du sacre de Napoléon par Jacques Louis David, œuvre du dix-neuvième siècle. Les exemples d’anachronismes sont nombreux au sein du château et semblent le prédisposer mieux que n’importe quel lieu à intégrer les œuvres des artistes contemporains du vingt et unième siècle. Néanmoins jamais choc n’avait été si franc, et s’il est un lieu composite, Versailles a toujours exposé des œuvres reflets d’une certaine tradition française. (3)
Ce statut mouvant entre des dimensions politique, historique et esthétique discutées, ce questionnement continuel de son identité, donnent au château de Versailles toute sa puissance.
(1)"Le fonctionnement de la cour de Versailles. Une modélisation des notions de centre et périphérie", Hypothèses 1/1999 (), p. 207-218, par Frédérique LEFERME-FALGUIÈRES
(2) "Le Surintendant de Versailles, grandes et petites histoires d’un château mythique", par Christophe Tardieu.
(3) "Classical, Baroque : Versailles, or the architecture of the Prince", 1991, Yale University Press. P.167-182, par Louis Marin, Anna Lehman