Qu’est ce qu’un chômeur ?
Alain Desrosières rappelle aux lecteurs de Prisme (n°7 Avril 2006, dossier édité par le Centre Cournot pour la Recherche en Economie) que l’on confond trop souvent deux idées pourtant distinctes : la quantification et la mesure. Il faut entendre par « quantification » le processus qui consiste à « exprimer et faire exister sous une forme numérique ce qui, auparavant, était exprimé par des mots et non par des nombres » (p.17). En revanche, « l’idée de mesure, inspirée des sciences de la nature, implique que quelque chose existe déjà sous une forme mesurable selon une métrologie réaliste, comme la hauteur du Mont-Blanc » (p.17).
Dès que l’on accepte cette précision terminologique, il apparaît une nouvelle étape dans la construction du chiffre du chômage. Celui-ci ne reflète pas une réalité qui lui préexiste, mais suppose au contraire que des conventions aient été élaborées afin de transformer le mot « chômeur » en un chiffre équivalent. Il est donc nécessaire de convenir d’une définition unique susceptible d’être traduite sous forme de chiffre. C’est en ce sens qu’Alain Desrosières décompose la quantification en deux « moments » : convenir et mesurer.
Rouvrir les « boîtes noires » que sont ces multiples chiffres du chômage candidats au statut de « chiffre officiel » consiste donc avant tout à retrouver les définitions qu’ils recouvrent.
La définition utilisée par l’INSEE pour construire son chiffre
L’INSEE construit son chiffre sur la définition du Bureau International du Travail (BIT). Une personne au chômage se caractérise par trois conditions : elle est sans travail, elle est disponible pour travailler et elle recherche effectivement du travail (BIT, 1982).
L’enquête porte sur une semaine donnée, dite semaine de référence. Un chômeur est ainsi une personne :
La définition d’Eurostat
Le renouvellement de son inscription comme demandeur d’emploi auprès d’un bureau public de placement n’est pas considéré par l’institut européen comme une démarche « spécifique », contrairement à la France. En outre, les personnes sans emploi disponibles et ayant trouvé un emploi qui commence dans plus de trois mois ne sont pas considérées comme chômeurs dans cette définition.
Il existe une autre nuance par rapport à la définition de l’INSEE : Eurostat compte en effet les chômeurs des Collectivités d’Outre Mer tandis que l’INSEE les ignore.
La définition du ministère de l’Emploi et de la Cohésion Sociale qui s’appuie sur les données de l’ANPE
Le Ministère de l’Emploi et de la Cohésion Sociale et l’ANPE exploitent les listes de demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE, ce qui permet la publication d’une statistique des demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM). Depuis juin 1995, l’ANPE répartit les demandeurs d’emploi au sein de huit catégories différentes. Le « chiffre officiel » publié chaque mois correspond au taux de demandeurs d’emploi inscrits dans les catégories 1, 2 et 3 hors activité réduite. Ce choix est généralement justifié parce que ces chômeurs approchent le mieux la définition du BIT.
La définition proposée par le collectif ACDC
Selon le collectif ACDC, le chiffre officiel du gouvernement, quoique proche de la définition du BIT, ne reflète pas la véritable situation de la France en matière de chômage. Le collectif propose donc de prendre en compte, outre les DEFM de catégorie 1, 2 et 3 hors activité réduite, ceux qu’il appelle les « chômeurs invisibles », c'est-à dire :
(Pour plus de détails, voir la note n°1 en ligne sur le site du collectif : http://acdc2007.free.fr/ )
..................................................................................................................................
ÉVOLUTION DE LA DÉFINITION DU CHÔMAGE
selon le ministère de l’Emploi et de la Cohésion Sociale
Evolution de la définition du chômage
Quel lien existe-t-il entre l’enquête emploi et les statistiques de l’ANPE ?
..............................................................................................................................
Quel lien existe-t-il entre l’enquête emploi et les statistiques de l’ANPE ?

- L’enquête Emploi permet seule une mesure directe du taux de chômage répondant aux critères1 du BIT. Elle fournit en mars de chaque année la moyenne annuelle du taux de chômage de l’année précédente, en d’autres termes : la proportion dans la population active des personnes sans emploi et prêtes à travailler.
- Les données issues des listes de l’ANPE servent au calcul des estimations provisoires du taux de chômage entre les mesures annuelles fournies par l’enquête Emploi aux mois de mars. Elles sont provisoires, car l’utilisation du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois inscrits à l’ANPE est une commodité permettant, en temps normal, de donner une appréciation des évolutions infra annuelles du chômage, sans jamais donner la mesure définitive du taux de chômage BIT.
Depuis 1975, l’enquête Emploi est la seule source permettant de comptabiliser le nombre des chômeurs selon la définition proposée par le BIT. Entre 1975 et 2002, l’enquête était réalisée une fois par an, en général en mars. Depuis le 1er janvier 2003, la collecte de l’enquête est réalisée en continu sur toute l’année : l’enquête fournit donc désormais le nombre moyen de chômeurs au sens du BIT sur l’année. Cette estimation s’appuie sur environ 300 000 observations par an.
.............................................................................................................................
.............................................................................................................................
Pour approfondir, lire le numéro 362 d’Economie et Statistique de juillet 2003
Description de la nouvelle méthode de comptabilisation des chômeurs en France. En 2003, l’INSEE a adopté la méthode dite continue qui remplace la méthode d’enquête annuelle.
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES362B.pdf
Distinction des enquêtes annuelles réalisées grâce aux sources administratives (nombre de demandeurs d’emploi recensés en fin de mois par l’ANPE et traité par la Dares) et des « enquêtes emploi » de l’INSEE (comptabilisation des chômeurs au sens du BIT).
Avantages et inconvénients des 2 méthodes.
1. Dominique Goux, rappelle les principales étapes de la montée en régime de leur version française, parallèlement à la diffusion des normes BIT et à l’évolution des demandes européennes.
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES362C.pdf
2. La fréquence de collecte des données, la méthode utilisée pour les interpréter jusqu’à la réforme intervenue en 2003.
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES362D.pdf
3. Les atouts et les défauts de la nouvelle méthode adoptée. Les conséquences possibles sur les séries statistiques.
4. Analyse des concepts de chômage BIT et chômage BIT « harmonisé » par Olivier Chardon et Dominique Goux.
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES362E.pdf
5. Le débat sur les frontières du chômage (article de Christine Gonzalez-Demichel et Emmanuelle Nauze-Fichet).
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES362F.pdf
6. Quelques données bibliographiques qui peuvent être utiles.
.................................................................................................................................
...................................................................................................................................
Lorsque les résultats de l’enquête Emploi sont connus, l’Insee peut réexaminer le lien qu’entretiennent les évolutions du nombre de chômeurs BIT et celles du nombre de demandeurs d’emploi inscrits sur les listes de l’ANPE. Ce lien est alors utilisé pour calculer les estimations provisoires du taux de chômage jusqu’à ce que les résultats de l’enquête Emploi de l’année suivante soient connus. Au cours d’une année, ce sont les évolutions des statistiques de l’ANPE qui s’imposent au mois le mois et qui sont commentées dans la presse.
Entre 2002 et 2005 les estimations provisoires fondées sur les chiffres de l’ANPE et le taux de chômage BIT de l’enquête Emploi étaient proches en moyenne annuelle et la révision effectuée en mars de faible ampleur. Cette proximité entre les deux statistiques observée sur les 4 dernières années n’a pas de raison de se maintenir. En effet, il faut garder à l’esprit que les données de l’ANPE sont d’origine administrative. Elles ne sont pas conçues pour mesurer le nombre de chômeurs, mais constituent un outil de gestion dans le cadre du suivi des demandeurs d’emploi auprès de l’ANPE. Toute statistique construite à partir de ces données est donc très logiquement dépendante des modes de gestion en vigueur (voir la page de chronologie). Toute modification dans la façon de gérer la liste peut alors perturber le lien entre les statistiques ANPE et la mesure du chômage au sens du BIT. Il n’est donc pas étonnant de constater des évolutions divergentes une année entre l’enquête Emploi et les statistiques de l’ANP : comme on l’a déjà dit, ces deux sources ne sont pas faites pour refléter la même réalité. De fait, si l’on regarde un peu plus en arrière, entre 1986 et 2002, les révisions annuelles des estimations provisoires faites à partir des inscrits à l’ANPE ont été ponctuellement importantes, les corrections allant jusqu’à +0,5 ou -0,5 point. Pour la période la plus récente, tout porte à croire au contraire que la divergence devait s’accentuer entre les deux sources. En effet, les modalités de gestion des listes de l’ANPE et d’autres modifications significatives de la gestion du chômage ont progressivement pris effet dans la période récente, surtout depuis le milieu de l’année 2005, ce qui change progressivement le contenu même des catégories des demandeurs d’emploi de l’ANPE censées refléter la conjoncture mensuelle du chômage.
............................................................................................................................