Certifications différentes

Dans cette partie nous souhaitons montrer qu’il existe d’autres formes de certifications que celle du label EcoQuartier. Les exemples que nous proposons ici sont la grille EcoPass du bâtiment initiée dans la région autrichienne du Vorarlberg et le label BioDivercity élaboré par le Cibi (Conseil International pour la Biodiversité Immobilière). Ils offrent ainsi une vision différente de la durabilité que celle du Label EcoQuartier du Ministère du Logement et de l’Habitat Durable. Particulièrement parce que leurs objets ne sont pas les mêmes : la grille EcoPass étudie le bâtiment, tandis que le Label EcoQuartier s’étend à l’échelle de tout le quartier durable. Le label BioDivercity, lui, est axé uniquement sur la problématique de la biodiversité, mais sert dans la pratique à légitimer des écoquartiers d’initiative privée. C’est pourquoi, à travers ces trois exemples que nous mettrons en tension, c’est tout le concept de la durabilité qui varie en fonction de la démarche adoptée, de l’objet et des acteurs impliqués.

Note avant lecture:

Cette partie ne cherche pas à être exhaustive et à renseigner toutes les autres formes de certifications existantes. Nous avons au contraire essayé de trouver des démarches qui se différencient du label EcoQuartier dans la manière de fixer les objectifs et d’accompagner la construction des quartiers durables.

Dans cette perspective, il nous semblait important de montrer en quoi des initiatives sont certes différentes dans leur approche et échelle d’analyse qu’ils proposent, mais similaires dans leur but: la recherche et promotion de pratiques durables. Ainsi, par leurs approches différentes, chacun s’apparente à une démarche spécifique de définition de ce qu’est la durabilité, et de son échelle de mise en place.

C’est pourquoi, nous nous sommes intéressés à la grille EcoPass après notre entretien avec Raphaële Héliot, architecte et auteure de “Ville durable et éco-quartiers” publié aux éditions Le Passager Clandestin en août 2010. Cette grille se distingue du label EcoQuartier en ce qu’elle n’apporte aucune labellisation, mais donne droit à des subventions selon les efforts fournis. Qui plus est, une comparaison en profondeur des critères d’évaluation de la grille EcoPass et du label EcoQuartier montre leurs différences, tant au niveau de l’approche que de l’échelle utilisée. Cette grille qui ne se rapporte qu’au bâtiment a été mise en place au sein de la région autrichienne du Vorarlberg. La méthode utilisée pour évaluer les critères de l’écoquartier est très différente de celle du label gouvernemental EcoQuartier.

Nous avons également souhaité parler du label BioDivercity dont nous avons pris connaissance grâce à ce court article: (http://www.lemoniteur.fr/article/bientot-un-ecoquartier-labellise-biodiversity-a-creteil-27279267). Ce label, centré sur la biodiversité, va s’appliquer à un écoquartier qui n’est inscrit dans aucune démarche de labellisation EcoQuartier. Ce label nous apparaît donc immédiatement comme un concurrent direct au label gouvernemental.  En plus, étant d’initiative privée, il se distingue directement du label ÉcoQuartier qui est institutionnel. Enfin, aucune limitation d’échelle ne semble restreindre ce label.

La Grille EcoPass et l’architecture du Voralberg

Genèse de l’architecture écologique mise en place au Vorarlberg

Les Baukünstler : les militants d’une architecture durable

Selon Dominique Gauzin-Muller, auteur de “L’architecture écologique du Vorarlberg, un modèle social, économique et culturel” paru aux éditions du Moniteur en 2009, le Vorarlberg est un petit territoire de 350 000 habitants situé à l’extrême ouest du pays au bord du Lac Constance.

Cet ouvrage démontre que la région du Vorarlberg s’est faite connaître par son architecture originale et contemporaine dont l’objectif est de prendre en compte tous les les objectifs du développement durable. Cette architecture particulière est apparue, selon Dominique Gauzin-Muller, dans les années 1960 avec un mouvement d’architectes-charpentiers autrichiens appelé les “Baukünstler” (Littéralement : Artistes du Bâtiment). Friedrich Achleitner (architecte et critique d’architecture autrichien) parle de “culture alternative”. (Modern European Architecture Museum Net, Ruölf Wäger, http://www.meamnet.polimi.it/archive/075/075m1.html).

Ce premier mouvement a d’abord cherché à réaliser des maisons en “auto-construction” et à bas prix pour leurs amis ou familles. Selon KAPFINGER Otto, “Une provocation constructive”, op.cit., p.83: “Les premières maisons étaient encore traitées de poulaillers à leur construction, on dit aujourd’hui qu’elles sont aussi belles que les vieilles fermes”.

La deuxième génération des Baukünstler : vers un habitat écologique plus communautaire

La seconde génération des Baukünstler incarnera un tournant dans l’évolution de l’architecture du Vorarlberg à partir des années 1972-1973, années marquées par le choc pétrolier et la crise de l’énergie. Le mouvement prend conscience qu’il faut envisager à cette époque une autre conception de l’habitat, plus communautaire, plus écologique, et dont le recours aux énergies alternatives sera important. Selon Dominique Gauzin-Muller, le mouvement Baukünstler ne s’appuie sur aucune théories pré-conçues.

 Ils souhaitent mettre “l’accent sur une simplicité qui n’a rien à voir avec la banalité, ils expriment leur préférence pour une architecture et des solutions techniques réalistes. Ils cherchent l’équilibre entre ce qui est techniquement possible et ce qui est socialement justifiable, et entre ce qui est structurellement raisonnable et esthétiquement souhaitable” ( Dominique Gauzin-Muller.)

La troisième génération : l’habitat passif

Une troisième génération apparaît dans les années 1995, le mouvement s’est étendu et ne concerne plus seulement les artistes et les architectes. Désormais, la troisième génération cherche à poursuivre ce qui a été fait précédemment, mais également à avancer dans le domaine de l’écologie et de l’utilisation de matériaux biosourcés. Les matériaux biosourcés sont, par définition, des matériaux issus de la biomasse d’origine végétale ou animale.  

(Source de la définition: http://www.developpement-durable.gouv.fr/Produits-de-construction-et.html)

Ils cherchent à définir ce qu’ils appellent une “architecture éco-responsable” à travers un modèle d’habitat “l’habitat passif”.

Habitat Passif

L’habitat Passif est défini selon le CEPHEUS (Cost Efficient Passive Houses as European Standards) comme “Une construction garantissant un climat extérieur confortable aussi bien en été qu’en hiver sans système de chauffage traditionnel (...) le besoin annuel en chaleur ne dépasse les 15kwh/m2”. Le CEPHEUS est un organisme européen dont l’objectif est de développer en Europe l’habitat passif, et particulièrement au Vorarlberg, région que le programme considère comme un “laboratoire”.

Exemple d’architecture durable au Vorarlberg / Source : http://www.austria.info/fr/activites/villes-et-culture/l-architecture-en-autriche/l-architecture-du-vorarlberg

Au Vorarlberg, il y a actuellement 18 constructions qui appartiennent à ce programme. Pour mettre en place cet habitat passif, le CEPHEUS travaille en partenariat avec l’Institut d’Energie du Vorarlberg fondé en 1985. Le but de cet Institut crée au sein de la région du Vorarlberg est de réfléchir au développement de l’habitat passif. L’institut joue le rôle d’un accompagnant : il met à la disposition des habitants du Vorarlberg des outils, des informations sur les questions énergétiques, des aides concernant la mise en oeuvre de matériaux écologiques comme le bois. Il s’agit d’un organisme référent pour les communes au sein du Vorarlberg qui veulent mettre au point un programme sur l’économie d’énergie.

L’institut vise en priorité à promouvoir ses méthodes chez les habitants du Vorarlberg, les architectes, ingénieurs et autres professionnels impliqués dans les domaines de la construction et de la conception, les autorité locales, les sociétés en rapport avec le conseil et l’accompagnement, les clients, décideurs et parties prenantes au niveau régional, national, et européen. L’Institut de l’énergie du Vorarlberg travaille également avec le Département des subventions pour les constructions écologiques. Pour promouvoir les bâtiments économes en énergie, l’Institut a mis en place un outil : le passeport des caractéristiques écologiques du bâtiment, également appelé EcoPass. Cette grille détermine selon des critères spécifiques l’attribution d’aides financières à la construction résidentielle durable. C’est cette grille d’évaluation que nous allons mettre en perspective avec le Label EcoQuartier du Ministère.

Construire un écoquartier

La grille EcoPass du bâtiment et le label EcoQuartier : deux processus différents

En effet, l’EcoPass, comprend deux blocs d’informations. Le premier concerne les points suivants : informations qui caractérisent le bâtiment, statistiques de référence qui ont été utilisées pour le calcul de l’étiquette énergétique, et les résultats principaux du calcul du besoin énergétique pour le chauffage. Le deuxième bloc permet de donner un aperçu du bâtiment concernant sa qualité, en fonction de la technique énergétique, d’écologie de construction et de la biologie de la construction. Dés lors, un graphique clair permet d’évaluer le niveau de performance du bâtiment par rapport à un bâtiment considéré comme très performant. Les mesures sont rassemblées en 10 groupes qui eux mêmes sont classés en 5 cibles. En fonction des “écopoints” obtenus, on évalue le niveau de subventions à attribuer. Ainsi, 327 écopoints sont théoriquement atteignables. Le nombre de points obtenus indique ainsi la valeur énergétique, écologique et biologique de cette mesure.

Par exemple, un besoin énergétique pour un chauffage très faible permet déjà d’obtenir 100 points. A l’inverse, il n’y a pas de point si le besoin énergétique pour le chauffage se situe à la limite des exigences requises par les subventions. Des écopoints sont également attribués dans le choix écologique des matériaux de construction et d’isolation. Les formules d’aides sont révisées chaque année et permettent ainsi d’assurer un réel accompagnement dans la durée de l’écoquartier : par exemple, l’habitant reçoit 10 000 euros pour la construction ou la rénovation mais s’ils construisent une maison passive, ils peuvent percevoir 20 000 euros. Moins la maison consomme d’énergie plus de subventions ils reçoivent” (Selon Document-Brochure Présentation de l’Institut de l’Energie).

Pour Raphaele Héliot, cette démarche assure un réel accompagnement année après année, et permet en fonction des efforts fournis de recevoir plus de subventions, et donc d’améliorer son habitat passif. C’est ce qui pour Raphaele Héliot différencie le Label Eco-Pass du Label EcoQuartier. Elle explique notamment que:

 “Le Label EcoQuartier ne permet de fixer qu’une seule hauteur d’exigence”, elle ajoute :

         “Le Label EcoQuartier ne fait que poser un tampon, la où la grille EcoPass permet un accompagnement durable dans le temps” ;

“Par exemple, si dans le cahier des charges du label EcoPass, un bâtiment au sein d’une ville n’a pas mis en place tous les panneaux solaires, il pourra le faire l’année suivante et obtenir ainsi d’autres subventions pour poursuivre la transition vers des bâtiments fonctionnant intégralement aux énergies renouvelables.”

Or la démarche d’obtention du Label EcoQuartier est considérablement différente : elle se fait en trois temps. D’abord la signature de la Charte EcoQuartier. La collectivité locale (le Maire) signifie ainsi son engagement dans la démarche et celui des partenaires qu’elle souhaite associer, à savoir, l’aménageur, l’architecte-urbaniste, et les habitants. Elle devient dès lors membre du Club National des EcoQuartiers, et bénéficie d’un accompagnement technique et méthodologique par les services de l’Etat et d’une triple expertise, territoriale, interne au Ministère puis externe au Ministère. Puis le projet est reconnu “Engagé pour la labellisation” au regard de l’évaluation des objectifs décrits dans la grille et de son état d’avancement. Enfin, le label est décerné à un projet livré, à savoir une opération déjà “vivante” en fonction de l’expertise de ses résultats.

Le label EcoQuartier

Selon le Guide de mise en oeuvre de la 4ème vague de labellisation EcoQuartier mis en place par le Bureau de l’Aménagement opérationnel durable (AD4), et publié au premier trimestre 2016, le label EcoQuartier est défini comme un outil qui :

“permet de valoriser et d’apprécier une démarche progressive et ainsi reconnaître non pas une opération au stade des simples intentions, mais la qualité d’une opération finie. Il n’est pas une norme et ne propose en aucun cas un modèle unique d’EcoQuartier”.

Le label constitue ainsi une garantie de l’Etat que les réponses apportées concernant le processus, le niveau d’ambition, lorsque l’écoquartier est livré, en fonction des 20 critères tels qu’ils sont établis par la grille d’évaluation. Cependant, une fois le label EcoQuartier obtenu, aucun suivi n’est mis en place. En fait, si le label propose une méthodologie et vise à évaluer un produit fini, il ne propose pas de revenir dessus une fois le label déposé. C’est donc en ce sens que certains estiment comme Raphaële Héliot que “Le label ne devient qu’une forme d’affichage du quartier durable”, un moyen de communication pour valoriser une initiative au sein d’une ville spécifique et attirer ainsi les promoteurs et les habitants. Franck Faucheux le reconnaît également :

“Le label est aussi un prétexte médiatique pour accélérer leur construction”. Il ajoute:

 “Une initiative politique et ministérielle permet de mobiliser beaucoup plus de personnes, cela rassure les collectivités locales et les maires.”

Le label EcoQuartier, un outil de visibilité.

Cependant, nous aurions tendance à penser que si le label ne propose pas de suivi sur le long terme, le risque est que le projet d’écoquartier se stabilise et n’évolue pas. Le label permet de “millésimer”, selon Franck Faucheux, l’EcoQuartier. Ce qui n’est pas le cas du Vorarlberg, qui propose, comme expliqué plus haut, via une expertise annuelle, de faire évoluer le projet, proposant ainsi plusieurs hauteurs d’exigences possibles dans le temps.

Le grille du Vorarlberg propose clairement une vision progressiste et d’accompagnement  dans la construction de la durabilité à travers la conception de bâtiments à faible consommation d’énergie. 

Le label EcoPass s’inscrit dans une démarche performantielle, notamment parce que les critères sur lesquels il se basent concernent uniquement les aspects énergétiques du fonctionnement du bâtiment.

A l’inverse, le Label EcoQuartier s’inscrit dans une démarche de stabilisation qui vise à fixer une définition de la durabilité une fois le quartier terminé. 

En effet, lorsque l’on compare les deux grilles, on distingue d’abord la technicité de la grille EcoPass du Vorarlberg de la simplicité avec laquelle se lit la grille du Label EcoQuartier. D’ailleurs Franck Faucheux la voulait comme “une passerelle qui soit dépolitisée, accessible, et compréhensible”. En fait, le label EcoQuartier se définit comme une “checklist, une méthodologie, un guide pratique” selon Franck Faucheux. Elle n’impose aucune réglementation particulière et ne vise pas à attribuer de subventions. Ce qui conduirait d’ailleurs certains acteurs comme Nicolas Michelin, architecte urbaniste sur le projet Grand Large à Dunkerque à s’opposer label EcoQuartier, d’après ce que nous a dit Franck Faucheux lors de l’entretien.

Une étude de cas: le Projet Grand Large à Dunkerque.

Si le Label EcoQuartier ne vise pas à être aussi précis et technique que la grille EcoPass du Vorarlberg, c’est aussi parce que les échelles ne sont pas les mêmes. La grille EcoPass concerne le bâtiment, le Label EcoQuartier concerne quatre dimensions : la démarche et processus, les cadres de vie et usages, le développement territorial et les ressources et adaptations aux changements climatiques.  Les cadres de vies et usages, sont par exemple des critères difficilement quantifiables car ils concernent des aspects sociaux du développement durable.  Si le Label EcoQuartier a intégré une dimension sociale des cadres de vie et des usages de l’écoquartier dans sa grille, c’est notamment parce que c’est quelque chose qui est encore nouveau en France, et qui n’est pas totalement acquis dans les moeurs culturelles.

Tandis qu’au Vorarlberg, et plus globalement dans les pays d’Europe du Nord, il s’agit d’une façon de vivre qui est culturellement plus acceptable et ancrée dans les comportements. C’est ce que nous explique Nicolas Michelin, architecte-urbaniste du Projet Grand Large à Dunkerque. Il nous explique qu’il s’est rendu de nombreuses fois dans les pays d’Europe du Nord pour observer une architecture durable, dont il espérait pouvoir s’inspirer.  Cependant, à Dunkerque précisément, les gens ont du mal à s’habituer à ces modes de vie venus des pays d’Europe du Nord. Le partage de l’espace est plus difficile, car selon Nicolas Michelin, il y a en France une prééminence de la “Propriété” et du “Chez soi”, difficilement compatible avec un habitat communautaire. Ainsi, Madame X, de la maison du quartier du Grand Large explique que beaucoup d’habitants n’étaient pas habitués à vivre avec de grandes baies vitrées, qui ne favorisaient pas une préservation de l’intimité. Elle explique :

“Nous on est pas habitué à ces manières de vivre, par exemple au début les gens venaient même coller leur visage aux carreaux des locataires ou des propriétaires donc ça forcément les gens ont pas aimé, normal.”

Néanmoins, en plus de cette grille d’évaluation EcoPass du bâtiment, l’Institut de l’Energie du Vorarlberg mène également des campagnes de sensibilitation auprès des habitants. Mais les modes de vie et les usages ne sont donc pas explicitement compris dans la grille, comme c’est le cas dans la grille du Label EcoQuartier. Dans la brochure officielle de l’Institut du Vorarlberg, il est écrit “Nous proposons des séances de formation et d’information public ainsi qu’un large éventail de cours et de séminaires pour les acteurs de la construction.”

En fait, ce que nous avons cherché à démontrer ici, c’est qu’au delà des échelles différentes selon lesquelles s’appuient les deux grilles, c’est l’accompagnement issu de ces grilles qui diffère et avec lui la vision de la durabilité promue. 

Le rôle des subventions est à ce titre extrêmement important. En effet, l’Institut de l’Energie Vorarlberg, en proposant d’attribuer des subventions en fonction des efforts fournis, joue le rôle d’un véritable incitateur financier. Tandis que dans le Label EcoQuartier, sans subventions possibles, l’Etat joue d’avantage le rôle d’un accompagnant. En proposant des subventions, la grille EcoPass prend une toute autre dimension : en cherchant à acquérir de plus en plus d’écopoints, et donc de l’argent, elle pousse les habitants à se surpasser et à faire évoluer leur maison vers un habitat entièrement écologique. L’incitation financière se couple à l’incitation écologique. La grille EcoQuartier, si elle propose certes une triple expertise, elle ne valide finalement que la réussite d’un quartier durable à un instant donné.

En somme, si la grille EcoPass du Vorarlberg propose un référentiel adaptable notamment via les subventions qui sont attribués en fonction des efforts fournis dans le temps, la grille du Ministère à l’inverse stabilise et fixe les enjeux de l’écoquartier une fois le projet abouti et délivré. Ainsi, l’absence d’évolutivité, de fixer une image à un instant T sans prendre en compte les évolutions postérieures empêchent de véritablement prendre en compte la vie de l’écoquartier.

Comparaison des grilles d’évaluation EcoPass et EcoQuartier

Ici, la grille EcoPass du Vorarlberg est comparée à la dernière grille du Label EcoQuartier datant de 2014.

VORALBERG

LABEL EcoQuartier

Système

points, système encourageant > ses subventions sont données en fonction des efforts fournis et des points obtenus

méthodologie, guide, recommandations, le label EcoQuartier ne donne pas de subventions mais délivre une triple expertise

Données

L’approche performantielle qui concerne uniquement le bâtiment.

démarche et processus ,cadre de vie et usages, développement territorial, ressources et adaptation aux changements climatiques

Echelle

La grille ne concerne que le bâtiment. L’accompagnement et la sensibilitation aux “modes de vie durables” se fait de manière séparée à travers des séminaires à destination du public et des professionnels du bâtiment organisé par l’Institut de l’Energie du Vorarlberg

échelle du quartier, pas de techniques précises évoquées au niveau du bâtiment ni d’évaluation des innovations techniques nécessaires au bâtiment

Précision

La qualité énergétique du bâtiment est évaluée sur 327 points. Avec différents critères dont l’évaluation varie. Les besoins en chauffage sont évaluée à 100 points par exemple.

Le Label EcoQuartier reste assez vague, pour englober la diversité des situations, et permettre l’application de réglementations précises comme la norme HQE (Haute Qualité Environnementale).

Facilité d’évaluation

Facilité d’évaluation grâce au système d’écopoints

Pas de systèmes de points : l’expert coche ou non les critères lorsqu’ils sont respectés

Evolution de l’habitat

Encouragement aux logements modulaires et flexibles via l’attribution de subventions annuelles.

Pas de prise en compte du bâtiment post construction : le label ne propose pas d’expertise une fois l’écoquartier livré

Suivi et expertise dans le temps

Système de points qui permet d’accompagner la démarche et de suivre l’évolution du projet dans le temps, année après année

Grille EcoQuartier qui stabilise et “millésime” l’écoquartier une fois le label obtenu

Matériaux utilisés

Matériaux bio sourcés, prenant en compte l’enjeu de l’épuisement des ressources, choix des matériaux écologiques : sans PVC pour les fenêtres, utilisation de bois issu des forêts primaires seulement s’il est écocertifié, priorité at bois local, pas d’utilisation de solvants, ni de produits toxiques

Objectifs du label :

-Mettre en oeuvre une qualité architecturale et urbaine qui concilie intensité et qualité de vie.

- Valoriser le patrimoine local, l’histoire et l’identité du bâtiment

-Optimiser la consommation des ressources et des matériaux et développer les fillières locales et les circuits courts

Dès lors, ces deux approches proposent chacune une approche différente de la durabilité :

La Grille EcoPass du Vorarlberg est beaucoup plus technique et ne concerne que le bâtiment. La démarche de durabilité telle que proposée par la grille EcoPass défend une échelle d’action centrée sur l’habitant.

Qui plus est, les subventions annuelles délivrées par l’Institut de l’Energie du Vorarlberg, attribuées selon le système d’écopoints instaure une dimension incitative et évolutive dans le temps.

La grille EcoPass focalise son action à l’échelle du bâtiment, tandis que la grille EcoQuartier conçoit l’action durable à l’échelle du quartier. 

Parallèlement à cela, le label EcoQuartier est destiné à être utilisé à l’échelle de la municipalité. C’est donc une vision différente de l’action durable qui est défendue. Elle s’articule autour de plusieurs échelles différentes déjà évoquées plus haut et ne vise pas spécifiquement le bâtiment. Le label est déposé et millésimé, du coup il ne vise pas à délivrer une définition de la durabilité évolutive mais stabilisée et fixée.

Ces deux démarches, au travers de grilles différentes, proposent donc des prismes différents d’appréhension de la durabilité.

Extrait de la grille EcoPass du VorarlbergCapture d'écran 2016-05-14 19.40.40.png

                          

Le Label BioDiversity

Présentation BioDivercity et Cibi

Le label BioDivercity est un label d’initiative privée, créé par le Cibi (Conseil International Biodiversité & Immobilier). Le Cibi rassemble divers acteurs de la sphère immobilière et a été fondé par la Ligue pour la Protection des Oiseaux, le Groupe Caisse des Dépôts (une institution financière publique) mais surtout des entreprises du secteur (Bolloré Logistics et Bouygues Construction, ainsi que ELAN, Gecina et les Jardins de Gally). Il est organisé en 6 collèges – les aménageurs, promoteurs et constructeurs ; les associations en lien avec la biodiversité ; les collectivités et institutions publiques ; les investisseurs, foncières et bailleurs ; les utilisateurs et gestionnaires de bâtiments ; les architectes, ingénieries et entreprises liées à la biodiversité.

Le label BioDivercity est centré sur la problématique de la biodiversité en milieu urbain. De fait, il ne propose pas ouvertement une définition de la durabilité, mais définit explicitement la biodiversité, c'est à dire, d'après lui : les diversités des milieux et écosystèmes, la diversité des espèces, et la relation pour avec l'humain. Il est applicable à différents types de construction: du simple ensemble de bâtiments à (et c’est ce qui nous intéresse ici) des constructions à une échelle plus globale engagées dans une démarche durable, que l’on peut qualifier d’écoquartiers. Leurs projets « pilotes » étaient plutôt centrés à l'échelle du bâtiment, comme le Hub Bolloré ou le siège de Veolia. Cependant, de nouvelles initiatives à l'échelle du quartier sont en cours de réalisation et c'est bien sûr celles-ci qui nous intéressent et distinguent le label BioDivercity d'une simple norme de construction environnementale.

L'obtention du label BioDivercity est conditionnée à travers une «  étiquette » avec 4 axes (l'engagement, les moyens mis en œuvre, l'évaluation des bénéfices écologiques, les bénéfices pour les usagers), sur lesquels le projet doit obtenir au moins un A, et aucun D ou E. Cette notation se fait par un évaluateur accrédité du Cibi, puis est confirmée par un « organisme indépendant » (pas plus de spéficités sont trouvés sur cet observateur : sa formation, la vérification concrète de son indépendance, etc) et sur des critères précis formulés dans la grille du label.

L'attribution du label se fait bien sur un « projet » de construction, et non pas sur un bâtiment ou un quartier déjà réalisé – la décision de s'engager doit donc se faire en amont, au contraire du label ÉcoQuartier dans lequel le processus de labellisation peut toujours être enclenché quelle que soit l'ancienneté du quartier.

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Compatibilité théorique avec le label EcoQuartier

C’est un processus de labellisation qui se veut compatible avec d’autres certifications (et notamment le label HQE), et c'est justement un point qui est mis en exergue sur le site Internet du label et est un argument commercial. Des initiatives publiques de ce type peuvent être comparables, comme par exemple le Plan biodiversité de la Ville de Paris, appliqué à l’écoquartier de Clichy-Batignolles en plus de son engagement dans le label ÉcoQuartier.

Rien n'empêcherait donc un écoquartier à la fois de s'engager dans la démarche ÉcoQuartier, et accentuer la défense de la biodiversité en obtenant dans le même temps le label BioDivercity ou n'importe quelle autre certification portant sur ce domaine (comme le Plan biodiversité).

Ainsi, lorsqu'on analyse théoriquement les deux labels, l'opposition n'est pas évidente. Alors que la démarche ÉcoQuartier porte véritablement un projet vers la construction du quartier durable du futur, BioDivercity semble être plutôt une démarche marginale se concentrant sur un point précis.

        Le label EcoQuartier

Cependant, dans le cas particulier de l'écoquartier Neo-C à Créteil (première opération d’écoquartier en France qui porte le label), le label BiodiverCity est le seul à être utilisé, avec aucune volonté démontrée de s’engager dans la démarche ÉcoQuartier. Un autre projet a obtenu récemment le label BioDivercity, l'écoquartier de Font-Pré à Toulon. Là encore, il n'y a pas de processus de labellisation ÉcoQuartier affichée.

Aucune certification ne soit nécessaire pour se qualifier d’’écoquartier” ou de “ville durable”, c'est un terme qui n'a pas de signification précise et justement là est tout l'intérêt de notre étude de controverse. Il n'est donc pas étonnant que Néo-C à Créteil ou Font-Pré à Toulon se qualifient d' « écoquartiers » alors qu'ils ne sont pas engagés dans la démarche gouvernementale. D'autres avant eux l'ont fait, comme par exemple à Dunkerque.

        Le cas du Projet Grand Large à Dunkerque

On pourrait donc supposer que ces cas sont similaires à celui de Dunkerque ; c'est-à-dire une initiative locale, portée par la municipalité par exemple, qui veut porter sa propre vision de la durabilité sans les contraintes (relatives) de la labellisation, d'autant que celle-ci ne leur permettra pas d'obtenir des subventions supplémentaires. Elle peut aussi vouloir s'inspirer d'initiatives différentes qui proposent une définition de la durabilité qui ne corresponde pas à celle du Label.

Le fait que ces villes ne s'engagent pas dans la labellisation ÉcoQuartier ne permet donc pas non plus de déduire une opposition entre le label et BioDivercity, qui est, comme on l'a vu, simplement axé sur la biodiversité.

Concurrence du label par l’initiative privée

Cependant, lorsqu'on étudie les deux cas de Néo-C et Font-Pré, il est intéressant de noter que les deux projets sont portés par Bouygues Immobilier (partie prenante importante du Cibi). Alors que les articles sur la labellisation de ces deux projets ne semblent pas généralement le noter (ils soulignent que les projets ont obtenu cette labellisation du Cibi sans préciser que Bouygues Immobilier est un membre fondateur de celui-ci), la parenté entre ces deux organes est trop flagrante pour être ignorée.

Or, Bouygues Immobilier n'est pas un simple constructeur, mais bien à l'origine même du projet, et donc de son positionnement comme écoquartier. Par exemple, dans le cas de Font-Prés, Bouygues Immobilier a remporté une consultation pour pouvoir lancer une opération sur le site d'un ancien hôpital. Rien ne forçait Bouygues à lancer un projet d'écoquartier – cependant, il est possible que ce projet ambitieux ait permis de remporter la consultation.

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L'engagement dans BioDivercity est clairement affiché sur les sites Internet de ces deux projets. Il appuie la légitimité de l'utilisation du terme « écoquartier » pour les qualifier. L'appartenance de Bouygues Immobilier au Cibi n'est, elle, pas affichée de manière ostentatoire.

Si le label BioDivercity n'est pas une opération frontalement concurrente à celle des ÉcoQuartiers, on voit qu'il appartient clairement à un effort des entreprises privées de se positionner comme acteurs définissant la durabilité urbaine. Ces initiatives non-labellisées se distinguent en effet d'exemples comme celui de Dunkerque par les acteurs qui sont à leur initiative (des pouvoirs publics comme la mairie d'un côté, les entreprises de la construction de l'autre).

Les écoquartiers labellisés BioDivercity sont assez récents : aucun des deux n'est encore terminé. C'est l'initiative « concertée » la plus importante en terme d'acteurs privés ; leur participation dans la controverse est encore très largement à construire. Cependant, on peut dès aujourd'hui les identifier comme un nouveau acteur qui cherche à définir la durabilité. De plus, le fait que le label BioDivercity ait une portée internationale démontre leur ambition, face à des initiatives locales (Dunkerque ou Voralberg) ou nationales (Label ÉcoQuartier).