J'ai fait une fac de maths puis une école d'audiovisuel pour devenir monteur/réalisateur. L'histoire a commencé avec Thomas Plassart, un des créateurs de Roule ma fleur et auteur de la Mécanique des fleurs, que j'ai rencontré à la fac. Il roulait à l'huile et l'idée de faire un documentaire est partie de là. J'ai commencé, il y a deux ans, à tourner un film dont le titre original devait être Biocarburants, la version végétale de David contre Goliath. Le but était de montrer qu'il y a plein de petits "David" (les associations, les citoyens, etc.) contre des gros "Goliath" (l'Etat et les industriels). Puis, finalement, la polémique sur les biocarburants a fait son chemin, on s'est recentré sur les personnages que sont les huileux: ils font leur propre carburant avec de l'huile, ont un coté "gaulois" un peu désorganisé et bricoleur; c'est pour cela que le film a changé de nom et que le titre final est: Les huileux.
Justement, pouvez-vous nous parler des huileux et des HVP?Quand on commence à rouler à l'huile, on se rend compte que, en dépit de ce que disent les constructeurs, oui, ça marche. Par contre, ce qui est un peu complexe c'est qu'il y a différentes sortes d'huiles, différentes manières de l'utiliser. Tout n'est pas toujours viable, tout n'est pas forcément non plus écologique. Même dans le profil des Huileux il y a différents cas.
Tout d'abord, il y a les "légaux", c'est-à-dire les agriculteurs qui mettent de l'huile dans leurs tracteurs; mais ils sont peu nombreux en France à prendre le risque. En effet, les constructeurs ne suivent pas, du coup, il y a toujours un danger au niveau technique. D'autre par, l'Etat leur met aussi des bâtons dans les roues avec les douanes qui les poursuivent. Certaines collectivités locales font rouler leurs véhicules publics à l'huile, mais cela fait conflit avec l'Etat.
Ensuite, il y a les militants activistes. C'est le cas notamment du Réseau Pétale. C'est une organisation informelle est assez hétéroclite qui n'aime pas communiquer dans les médias. Pour eux, rouler à l'huile signifie se réapproprier la voiture: comme il faut trafiquer les moteurs, c'est une autre façon de rouler et de voir les choses. Le réseau Pétale n'est lui-même pas du tout uniforme, certains ne souhaite pas légaliser les HVP, ils veulent juste qu'on les laisse tranquilles. D'autres militent pour la légalisation de l'huile comme en Allemagne.
Enfin, il y a l'IFHVP. Eux aussi, se battent pour faire légaliser les HVP. Mais c'est une génération plus âgée que le réseau Pétales.
Ma voiture a essentiellement servi au film, mais il est vrai que je continue à rouler avec. J'ai du adapter mon moteur pour qu'il puisse rouler à l'huile à 100%. En pratique, maintenant je mélange l'huile avec le gasoil car rouler uniquement avec de l'huile provoque souvent de petits problèmes au niveau du moteur. Comme l'huile est moins fluide que le gasoil, si elle n'est pas réchauffée pour être fluidifié, il peut y avoir des petits ennuis notamment au démarrage quand l'huile est encore froide; ce n'est rien de très grave, mais ça arrive!
Pour me fournir, comme je suis Breton, je vais en Bretagne chez un paysan.
En ce qui concerne les risques, je n'ai pas trop peur de me faire arrêter. En fait, le plus gros des risques est lié à l'odeur car lorsqu'on roule avec des HVP, notre voiture dégage une odeur de friture qui peut être forte si la voiture est mal réglée Je me suis fait arrêter une fois par la gendarmerie, mais ils ne m'ont pas verbalisé car seule les douanes peuvent le faire, elles peuvent nous donner une amende de 150 euros en plus de la TIPP à payer; au final, les gendarmes étaient juste intrigués par le phénomène, ce qu'ils voulaient c'était que je leur explique ce que j'avais fait à mon moteur pour pouvoir rouler à l'huile.
C'est assez rare; je connais assez peu de cas. Il y a eu, par exemple, Lionel Lambert qui a perdu son procès en appel face aux douanes; et le camion Pétales, camion de l'association Pétale, qui roule aussi à l'huile mais n'est toujours pas passé en procès.
Concrètement, quels sont les avantages à rouler aux HVP?Un bilan CO2 bien meilleur qu'avec le pétrole! Il faut savoir qu'avec un plein normal, une voiture qui roule aux carburants pétroliers rejette en moyenne plusieurs centaines de kilos de CO2. Avec des HVP, c'est presque six fois moins. En effet, La plante (colza, tournesol, etc.) repousse l'année d'après let réabsorbe une partie du CO2 que l'on a émis. On peut aussi évoquer le prix: le dernier plein que j'ai fait ne m'a couté que 45 centimes le litre.
La perspective d'une totale libéralisation des HVP ne serait-elle pas dangereuse malgré tout?A grande échelle si, complètement. Produire des HVP à l'échelle industrielle risquerait d'avoir de lourdes conséquences environnementales comme les agrocarburants industriels. Déforestation, pollution dues aux méthodes culturales et concurrence avec l'alimentaire étant les principales critiques. C'est pour cela que certains huileux se battent pour le circuit court; il faut que l'on puisse utiliser librement les HVP mais dans un cadre personnel et non industriel.
L'un des principaux concurrents des HVP est la filière Diester, en quoi bloque-t-elle la libéralisation des HVP?La politique de Diester Industrie en France en termes de biocarburant est d'incorporer des biocarburants à base d'esters à hauteur de 5% dans tous les véhicules. L'objectif français est d'incorporer 10 % dans les réservoirs à l'horizon 2010. Pour l'essence c'est de l'éthanol de betterave. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'à hauteur de 5% ou 10%, les HVP marchent très bien avec n'importe quel moteur diesel, le fait de faire un ester chimique d'huile pour le mélanger au gazole ne sert donc à rien; c'est juste pour capter un marché. Là où c'aurait pu être éventuellement justifié, c'est à fort pourcentage d'incorporation pour les diesels modernes à injection électronique. Mais je le répète à 5 ou 10 %, l'huile peut très bien être incorporée directement. En gros, les paysans pourraient fournir directement l'huile et se passer de Diester industrie.
Comment expliquez-vous que coexistent deux réseaux: le réseau des HVP à qui on continue de mettre des bâtons dans les roues et le réseau Diester qui se développe si bien?C'est évident: c'est une histoire de lobbying et de puissance. Diester est constitué de banquiers, de gros agriculteurs, ce sont des poids lourds qui vont au parlement et parviennent à faire voter leurs lois, c'est comme cela que ça marche. Il y a de forts conflits d'intérêts.
Que répondriez-vous à ceux qui bloquent la libéralisation des HVP?Attention, je ne suis pas pour de but en blanc car, on l'a vu, à grande échelle ça peut créer de gros problèmes économiques et écologiques. Mais je leur dirai de faire confiance aux petites solutions. Qu'ils développent leurs trucs industriels mais qu'ils laissent les petits faire ce qu'ils veulent!