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Jean COSTENTIN est membre des Académies Nationales de Médecine et de Pharmacie. Professeur en pharmacologie à la faculté de Rouen, il dirige une unité de recherche de neuropsychopharmacologie associée au CNRS. Président du Centre National de prévention, d'études et de recherches en toxicomanie, il a publié en 2006 Halte au cannabis !, destiné au grand public.

 

Nous avons réalisé un entretien par mail avec Jean Costentin, le 4 mars 2011. Plutôt que de répondre à notre questionnaire, il a préféré rédiger un article spécialement pour notre recherche, et nous a envoyé des articles scientifiques en lien avec notre sujet. 

 

Les principaux enseignements de cet entretien, par rapport à notre controverse :

 

Premier article : Le cannabis peut-il être un médicament ?

 

Des frontières floues

La frontière entre psychotrope-médicament et psychotrope-drogue peut, en fonction de la dose utilisée, être mal définie. Lorsqu’une substance affecte des activités psychiques avec une intensité reliée à la dose, il s’agit d’agents psychotropes. S’ils affectent des fonctions psychiques normales sur un mode purement quantitatif (intensité), il pourra s’agir de médicaments. S’ils n’affectent non plus (seulement) quantitativement mais aussi qualitativement le fonctionnement cérébral, il s’agit alors de psychodysleptiques et très communément de drogues.

 

Une généralisation difficile qui empêche de considérer et classer le cannabis comme médicament

Encore une fois est rappelé ici la quasi impossible généralisation en ce qui concerne le cannabis. En effet, la composition en principes actifs du cannabis est des plus variables selon l’organe de la plante considéré, la génétique de la plante (multitude de variétés), le lieu de son développement (sol, climat, moment de la récolte). Les grains de résine sont de plus agglomérés avec des ingrédients divers pour constituer le haschich ou « shit » qui connaît les mêmes variations de composition que la plante entière.

 

Un regard alarmiste, voire caricatural, de la part de Costentin qu’il justifie par sa méthode de recherche sur le THC pur, sur la molécule en tant que telle

Selon lui, le THC provoque sédation, diminution de l’anxiété, ivresse, désinhibition, effets amnésiants, troubles cognitifs avec perturbation de la mémoire de travail (mémoire opérationnelle), et de la mémoire pour l’action et à court terme. Induction de délires, induction d’hallucinations, effet orexigène (ouvrant l’appétit), effet analgésique, effet myorelaxant, effet antimétique (réducteur des vomissements), induction de comportements impulsifs, irrépressibles, sentiment de déréalisation, de dépersonnalisation, émergence inopinée de comportements agressifs, emballement de l’humeur, sensation de toute puissance physique et psychique.

Sa conclusion : le THC est une substance toxicomanogène, inductrice d’une toxicomanie, d’une pharmacodépendance, avec un pouvoir d’accrochage très fort. Le THC induit une dépendance psychique, ce qui est consubstantiel de toute drogue ; cela se vérifie par l’intensification de la transmission dopaminergique dans le noyau accumbens, qui constitue la signature neurobiologique de toute pharmacodépendance.

Selon nos autres interlocuteurs, ces interprétations sont discutables, puisqu’il mélange par ses études plusieurs types de critères et arrive à des conclusions qui généralisent à la fois la toxicité de la substance en tant que telle et les potentiels toxicomanogènes, qui sont également liés à des facteurs plus sociaux et psychologiques, pas seulement physiques.

 

Une méthode pour ces recherches

Ces études de toxicologie détermineront les toxicités aigue, semi-chronique, chronique, sur plusieurs espèces animales (Rat-Lapin-Chien-Porcs). Elles comportent en particulier la mesure de très nombreux paramètres biologiques (par la pratique de très gros bilans de biologie clinique), suivis du sacrifice des animaux et de l’examen anatomo-pathologique des différents organes. À cela s’ajoute des études de fécondité, sur l’embryotoxicité, la foetotoxicité et sur le développement post-natal. Des études de mutagénèse de carcinogénèse viendront compléter les précédentes.

 

Le Cannabis est un produit aux caractéristiques spécifiques

Selon Costentin, le cannabis recèle une rémanence très élevée (persistance de la substance dans l’organisme après le ressenti des effets). Cette rémanence masquerait la dépendance psychique et physique du produit ; ce qui pousserait d’autres chercheurs à arriver à des conclusions différentes.

 

Un exemple précis quant aux dangers du cannabis où la controverse est vive et largement corrélée aux types d’études menées et aux méthodes de recherche : cannabis et schizophrénie

Selon Costentin, il y a responsabilité du THC « longtemps suspectée mais désormais bien établie au plan épidémiologique et bien expliquée au plan neurobiologique » dit-il, avec la schizophrénie. Il cite l’étude séminale d’Andreasson (publiée en 1983, après le suivi de dix ans d’une cohorte de 50 000 conscrits suédois (1971-1981) établissait que le fait d’avoir fumé plus de 50 joints en tout, avant l’âge de la conscription multipliait d’un facteur de 6 le risque de développer une schizophrénie. Il cite ensuite l’étude de M-L Arsenault (Nouvelle Zélande) qui montre que parmi 1000 jeunes ayant débutés leur consommation de cannabis entre 12 et 15 ans, à l’âge de 18 ans, 10% d’entre eux étaient devenus schizophrènes. Nous n’avons pas plus d’informations sur les méthodes utilisées dans ces études.

 

Fait intéressant : on retrouve les mêmes études, citées par différents acteurs qui s’opposent et que nous avons interviewé, pour soutenir des positions antagonistes

Jean Costentin cite l’étude SAM (Stupéfiant et Accidents de la Route) et explique qu’il a été établi que le cannabis seul était à l’origine d’environ 300 morts annuels en France. Il va même plus loin en disant que l’on sait maintenant que ces chiffres ont été sous-évalués.
Voir l’analyse de l’entretien avec Jean Michel Costes de l’OFDT, qui mentionne la même étude pour défendre l’idée que le cannabis est relativement peu dangereux, pris seul, dans les accidents ; il explique que c’est comparable avec l’usage du téléphone portable au volant alors que l’alcool est immensément plus facteur d’accidents de la route (voir analyse entretien J.M. Costes).

 

Une autre théorie controversée : la thèse de l’escalade

La théorie de l’escalade stipule que consommer du cannabis accroît les prédispositions à consommer des drogues dite dures : cocaïne, crack, héroïne. La question est de savoir si cela vient de facteurs sociaux, liés par exemple aux fréquentations du fumeur de cannabis et à une plus grande proximité d’autres produits, ou à des facteurs biologiques et physiques, liés à la substance du cannabis ; les conclusions sont ainsi très différentes et la question est clairement sujet à controverse, au regard de nos différents entretiens.

Selon Jean Costentin, « à l’heure où se développent les polytoxicomanies, on perçoit bien que l’escalade toxicomanique est de plus en plus manifeste ». Il parle d’une évolution : on commence par le café, puis le tabac, puis le cannabis, l’alcool, ensuite vient la cocaïne et enfin l’héroïne.

 

 

Deuxième article : Nouveau regard sur le cannabis

 

Dans cet article, Jean Costentin explique que, aujourd’hui, des données épidémiologiques soulignent la nocivité du cannabis, tandis que des études neurobiologiques éclairent ses mécanismes d’action. Selon lui, les conclusions de ces études sont « en rupture flagrante avec les propos erronés et banalisant qui continuent d’être tenus sur cette drogue ».

Un autre point de controverse : Costentin soutient la thèse qui stipule que le cannabis d’aujourd’hui est beaucoup plus dosé que celui hier, celui des années 70. Or, selon J.M. Costes, cette affirmation est fausse et invérifiable puisque nous ne disposions pas à l’époque des instruments de mesure des taux comparables à ceux d’aujourd’hui.

 

L’article décrit ensuite en détail les mécanismes d’action du cannabis dans le cerveau.

 

Des points intéressants sur les méthodes de recherche pour évaluer les dangers du cannabis

Costentin explique que le cannabis provoque une dépendance psychique qui a des équivalents expérimentaux chez l’animal. Il parle ainsi de la « classique épreuve de préférence de place ». Voici l’extrait de l’article concerné : « Dans cette épreuve le rongeur, après avoir reçu du THC, est introduit dans une enceinte aux caractéristiques bien identifiables par ses murs et plancher ; le lendemain, après avoir reçu le solvant, il est introduit dans une autre enceinte aux caractéristiques bien différentes de celles de l'enceinte fréquentée la veille. De semblables administrations et expositions alternées sont pratiquées à plusieurs reprises ( 2 à 4 fois ), puis l'épreuve finale est pratiquée. Lors de celle-ci l'animal, ne recevant aucun traitement, est mis dans un couloir s'ouvrant sur chacun des deux compartiments dans lesquels l'animal a expérimenté l'effet du THC dans l'un et l'absence d'effet du solvant dans l'autre. Si la substance étudiée avait, à la dose utilisée, des effets appétitifs, l'animal, afin de retrouver les sensations agréables qu'il avait éprouvées, va séjourner dans le compartiment préalablement associé à cette substance plutôt que dans celui associé au solvant. Le THC, à des doses élevées, induit une aversion de place. Elle procède de la mise en jeu d'endorphines du type dynorphine, opérant une stimulation de récepteurs opioïdes de type Kappa (Ghozland et coll., 2002 ). A de plus faibles doses que les précédentes, le THC induit une préférence de place (Cheer et coll., 2000 ; Chaperon et coll., 1998 ; Lepore et coll., 2000 ; Valjent et Maldonado, 2000); elle implique une médiation par des endorphines, stimulant des récepteurs opioïdes de type mu (Ghozland et coll., 2002 ) ».



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