L’objet cannabis est considéré différemment selon les acteurs qui l’appréhendent. Cette « flexibilité interprétative » témoigne de l’interaction permanente entre le monde scientifique et la société. La construction du savoir autour du cannabis en tant qu’artéfact est propre à chaque communauté de pratique. Ces différences ont une influence sur la catégorisation du cannabis et donc sur l’appréciation de son degré de dangerosité.
Le cannabis dans le champ scientifique
La communauté scientifique est divisée sur les effets de l’utilisation du cannabis et sur sa classification. Dans le champ scientifique, le terme cannabis (ou le chanvre), est employé pour désigner la molécule "THC", la substance dominante (quantitativement et qualitativement) dans la composition du produit. Comment les scientifiques s’identifient-ils à travers la définition de la substance ?
Les sciences exactes étudient les caractéristiques physico-chimiques du cannabis. En étudiant les effets sur le consommateur, les scientifiques adoptent une approche rationnelle et exacte pour obtenir des données chiffrées et univoques. Ils s’intéressent à la composition moléculaire du produit, à la modification de sa forme. En comparant ces traits avec ceux d’autres produits similaires, ils tentent de classifier le cannabis dans un groupe et d’anticiper la manière dont le produit agira au contact d’autres substances présentes dans le corps humain.
Jean Costentin (membre de l'Académie de médecine et spécialisé dans la recherche sur la toxicomanie), définit le cannabis comme : « une substance d’origine végétale, biologiquement active (oh combien !) ; ce n’est pourtant pas un alcaloïde car il n'entre pas dans sa composition d’atome d’azote. Dépassons vite ces considérations un peu formelles pour analyser les propriétés physico-chimiques de ce THC».
Termes associés au cannabis : cannabinoïdes, THC (tétrahydrocannabinol)
Le cannabis dans le champ politique
La question de la dépénalisation du cannabis est au cœur du débat politique. Le cannabis est-il considéré, ou non, comme une drogue – si oui, est-ce une drogue douce ou dure ? De cette réponse dépend la classification du produit et a fortiori la norme qu’il convient d’appliquer et qui elle-même conditionnera les pratiques sociales (plus d’explications dans le paragraphe qui suit). Dans cette optique, ce sont les effets de l’objet sur le comportement et la santé du consommateur, et par extension sur la société en général qui intéressent les acteurs politiques.
Les rapports émis par les institutions politiques ont pour but d’expliciter le fonctionnement moléculaire de la substance afin de prendre la mesure des risques et de pouvoir orienter les décisions politiques et sociales. Ce ne sont pas seulement les risques sanitaires qui intéressent les décideurs politiques mais encore les comportements sociaux qui sont corrélés à la consommation (trafic, distribution, criminalité, addiction etc.). Ainsi l’objet cannabis tel qu’il est perçu par les acteurs politiques est très spécifique et sa production en tant qu’artefact dépend fortement des relations entre les différents acteurs du débat.
Termes associés au cannabis : drogue douce / dure, dépénalisation, addiction, criminalité
Le cannabis dans le champ social
Le positionnement du cannabis dans le champ politique et scientifique (en tant que produit illégal et dangereux) influence celui des groupes sociaux qui vont constituer une norme de référence qui performe la réalité et conditionne la consommation de cannabis. Comme l’affirme H. Becker dans Outsider, les utilisateurs sont déviants à partir du moment où l’objet cannabis est considéré comme une drogue. De cette classification découle un ensemble de normes et pratiques qui participent à l’élaboration d’une représentation collective de l’objet cannabis comme objet dangereux. Notons toutefois que les usages qui sont faits de cette « drogue » et les effets qui s’ensuivent varient grandement selon les utilisateurs et remettent en cause l’objectivité scientifique qui a défini les dangers. La conception de l’objet cannabis dans la société remet en cause celle de l’objet cannabis dans la communauté scientifique, la diversité des effets est telle qu’elle remet en cause la généralisation faite par les conclusions scientifiques. (Voir à ce sujet la note sur l’ouvrage collectif Qu’est-ce qu’une drogue ?).