Philippe_Batel.jpgPhilippe BATEL est practicien hospitalier. Psychiatre et addictologue, il est chef de l'unité fonctionnelle Traitement ambulatoire des maladies addictives au sein des Hôpitaux de Paris.

 

 

 

Nous avons interviewé Philippe Batel par téléphone, le 20 avril 2011.

 

 

Les principaux enseignements pour notre controverse :

 

La classification est particulièrement difficile et la question de la dangerosité est particulièrement difficile sur le plan scientifique

Il n’y a selon Philippe Batel, pas de drogue douce ou de drogue dure. Cette distinction ou classification relève de représentations erronées. La dangerosité s’avère difficile à évaluer dans la mesure où il existe une grande variabilité interindividuelle en ce qui concerne l’observateur qui étudie le produit. Par exemple, la mère de famille, le douanier des brigades anti stupéfiantes ou le ministre de la santé aborderont la dangerosité de façons complètement différentes.

 

Comment évaluer la dangerosité ? Des critères flous et l’obstacle pour la recherche du statut illicite du produit

On commence par regarder l’impact qu’a l’usage d’un produit en terme de mortalité spécifique, c’est à dire directement attribuable au produit. Ensuite, il y a la mortalité associée, liées à d’autres cofacteurs que le simple usage du produit. Il devient alors très difficile d’isoler de façon concrète les différents facteurs. Il y a ensuite le critère de la morbidité, c’est à dire la capacité que l’usage de ce produit a d’engendrer des maladies. Il y a ensuite, l’indice d’adictolimicité, soit la capacité que le produit aura, à un moment de son usage, dans une société donnée, de développer une dépendance. Dans les représentations sociétales, la dépendance est souvent envisagée comme le critère principal pour évaluer la dangerosité; elle est pourtant mal étudiée sur le plan scientifique. Les études de cohortes, qui permettent de suivre des usagers sont très rares pour le cannabis pour la simple et bonne raison que le produit est classé illicite. La recherche, comme la prévention sur le cannabis ont comme obstacle principal, le statut illicite du produit.

 

Le critère ambigu de la dépendance pour évaluer les dangers

Pendant très longtemps, on a classé les produits licites ou illicites à partir du critère de la dépendance. Cela ne tient pas la route puisque le cannabis est interdit alors que probablement, seulement 5% des usagers devenir dépendants. Le tabac, licite, provoquera l’ordre de 90% de sujets dépendants. Ce qui rend le sujet encore plus compliqué est le fait que la dépendance soit de plus très variable selon le contexte. On pensait à tort que la dépendance était le facteur majeur de mortalité. Or, cela est faux. Selon Philippe Batel, le critère de la dépendance doit être rétrogradé et il faut un réel appui scientifique pour démontrer cette idée; c’est ce que fait un groupe de l’ENS avec qui Batel a travaillé.

 

Des critères en nombre pour évaluer les dangers

Encore un autre critère d’importance, l’interphase entre l’usage de la drogue et le fonctionnement personnel, fonctionnement mental et aussi évidemment social. Il faut penser aux notions de coût social et coût juridique pour la société quand on évalue les dangers d’un produit. Le coût économique est également important à étudier, il est par exemple de l’ordre de 17,6 milliards d’euros par an pour l’alcool. Ensuite, on peut partir d’une approche plus sociétale en se demandant si une drogue a un impact sur le fonctionnement d’une société et l’image qu’une société peut avoir d’elle même.

 

Plusieurs types d’études

Globalement, on peut dire que l’on fait des études sur les humains et des tests sur les animaux, souris et rongeurs principalement. En ce qui concerne le cannabis, on n’arrive pas à construire des modèles de dépendance. Quand on étudient les consommateurs humains, il est également très compliqué d’évaluer le degré de dangerosité du produit en lui-même car bien souvent le mode de consommation influe dessus. Les risques ne sont pas les mêmes pour un usagé qui consomme le cannabis par voie digestive et un autre par voie orale.

 

Des méthodes de recherche propres à des catégories scientifiques, qui influent les résultats obtenus ?

Entre les unités au CNRS et les neuropharmacologues et neurobiologistes qui s’intéressent à l’impact sur les récepteurs et les psychiatres, addictologues et psychologues, l’approche est bien différente. Par contre, il n’y a pas vraiment de différence de résultats selon les méthodologies parce que la communauté scientifique reste critique par rapport aux différentes méthodes utilisées. Il y a des recoupements, des travaux de synthèse. Il existe par contre des biais importants en terme de recherche dus à différents types de produits, différemment dosés et différents modes de consommation des usagers.

 

Un classement et des frontières idéologiques plus que scientifiques

Selon Philippe Batel, le classement licite illicite est erroné parce que basé sur des représentations idéologiques qui sont déconnectées des données scientifiques, même les plus pures. Selon le classement réalisé par David Nutt, on voit que les produits licites comme l’alcool et le tabac sont parmi les plus dangereux alors d’autres, très peu dangereux sont classés illicites.  Il s’agit d’une fracture fondée sur une dangerosité qui s’avère fausse scientifiquement. Un exemple d’erreur : le président de la MILDT est un magistrat purement élevé dans la représentation : les produits sont illicites parce qu’ils sont dangereux. Il justifie ensuite que le cannabis soit interdit par la théorie de l’escalier ou de l’escalade; qui vole un œuf vole un bœuf et qui fume un pétard à 20 ans aura ensuite envie de se mettre de l’héroïne dans les veines; c’est totalement faux et largement prouvé scientifiquement; il n’existe aucun lien causal.



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