L'insecticide Cruiser :
le responsable de la surmortalité
des abeilles en France ?
Il devient de plus en plus difficile de contester
la toxicité des pesticides pour l'environnement
et pour les abeilles : une nouvelle étude publiée dans la revue Sciences du 29 mars affirme que les abeilles intoxiquées perdent leur sens de l'orientation et ne retrouvent plus leur ruche,
ce qui les entraine vers une mort certaine.
La surmortalité des abeilles est un phénomène touchant les ruches françaises depuis les années 1990, n'est pas sans conséquences économiques
et environnementales graves: outre la chute de
la production de miel, la surmortalité des abeilles peut affecter à long terme la pollinisation d'un grand nombre d'espèces végétales cultivées et donc causer de graves dommages au secteur économique français. Ce dépeuplement massif des ruches coïncide avec l'introduction sur les marchés
de nouveaux pesticides, très vite remis en cause.
Dès 1994, les insecticides Gaucho et Regent
sont remis en cause et interdits à la vente.
Cependant, le Cruiser, commercialisé par l'entreprise Syngenta, est autorisé en 2007 bien que la substance en jeu dans ce produit, le thiaméthoxam, soit de la même famille que les précédents insecticides.
Les études scientifiques commandées par le ministère à propos de la dangerosité du Cruiser pour les abeilles sont contradictoires, tantôt établissant que le Cruiser est hautement toxique pour les abeilles, tantôt affirmant que le processus est multifactoriel, les pesticides ne pouvant à eux seuls expliquer la surmortalité des abeilles.
De nombreux syndicats d'apiculteurs et associations environnementales demandent l'interdiction
du Cruiser et accusent Syngenta de continuer à commercialiser le produit pour sa haute rentabilité, au détriment de ses dommages environnementaux. Syngenta, pour sa part, continue de commercialiser son produit, destiné à assurer une protection insecticide aux semences de colza et de mais, et vante son efficacité. Ses représentants affirment que le processus de surmortalité des abeilles est multifactoriel : ils invoquent des infections virales, des attaques parasites ou encore de mauvais traitements apicoles.
En résumé, la nocivité du Cruiser pour les abeilles parait probable mais un processus multifactoriel n'est pas à exclure, et la responsabilité des apiculteurs ne peut non plus être écartée. Alors que le débat reste très virulent, le Cruiser est encore commercialisé à l'heure actuelle:
les autorisations de vente délivrées au pesticide font l'objet de recours devant le Conseil d'Etat qui effectue fréquemment des revirements de jurisprudence.
La controverse se caractérise d'abord par un clivage profond entre apiculteurs, le plus souvent regroupés en syndicats tels que le Syndicat National d'Apiculture (SNA) ou l'UNAF,
convaincus de la responsabilité du Cruiser dans
la surmortalité des abeilles, et entre Syngenta, entreprise puissante qui s'appuie sur des études scientifiques indépendantes provenant de l'INRA pour démontrer l'inoffensivité de son produit. Ces deux acteurs s'appuient sur des études fournies par un troisième regroupant les scientifiques venant du CNRS, de l'INRA (Institut national de recherche agronomique) ou de l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire). Ces études portent à elles seules la controverse : Syngenta commande plusieurs études aux organismes scientifiques et publie des résultats qui vont dans son sens, tandis qu'apiculteurs et chercheurs, en s'appuyant sur d'autres études, contestent les résultats obtenus par Syngenta.
Enfin, l'Etat français intervient sous deux facettes : d'abord par le ministère de l'agriculture, dont deux commissions d'enquêtent travaillent activement à évaluer les risques toxicologiques des produits et à examiner l'intérêt des produits face aux usages qui en sont faits. Mais c'est à l'Etat français dans son ensemble qu'il revient de prendre la décision finale, après avoir mobilisé des groupes d'experts spécialisés dans la surmortalité des abeilles.
Nous proposons dans ce site d'étudier cette controverse et ses différents acteurs afin d'éclairer le débat et les conséquences en jeu.
Ce site a été créé par une étudiante de l'ENSAD, Mélanie Davroux (Ecole Nationale Supérieure
des Arts Décoratifs) dans le cadre du cours « Cartographie de la controverse », de deuxième année de collège universitaire à Sciences po.
Le contenu a été rédigé par un groupe de six étudiants en double cursus Sciences de la vie et Sciences sociales, programme établi entre Sciences po et l'Université Pierre et Marie Curie.