La Russie
La demande de 2001
La Russie n’a pas encore officiellement déposé sa demande d’extension du plateau continental à la CLCS en 2009. Cependant, elle avait déjà déposé une demande en 2001, demande qui n’avait pas été retenue par manque de preuves scientifiques évidentes et de données précises. Outre l’avis rendu par la commission, les pays riverains en Arctique avaient réagi à cette demande. La Norvège, le Danemark et le Canada ne contestaient ni n’approuvaient l’extension demandée, et avaient juste mis en lumière le manque d’arguments tangibles. En revanche, les Etats-Unis avaient pris une position beaucoup plus marquée à l’encontre de la Russie, puisqu’ils contredisaient les scientifiques russes en affirmant que la dorsale de Lomonossov n’était pas de nature continentale mais océanique, étant le résultat d’un volcanisme certain au niveau du Pôle Nord. Ils n’approuvaient pas non plus la revendication de la dorsale de Mendeleïev (dorsale Alpha), s’appuyant sur des données officielles et officieuses (fournies par des scientifiques directement sur le terrain).
Cette réaction a donc participé au rejet de la demande russe de 2001. Certains acteurs, comme Michel Rocard, avancent que la Commission n’a pas accédé à la demande russe car elle avait estimé d’autre part que des intérêts militaires et diplomatiques entraient aussi en jeu dans cette demande, et n’a pas voulu être à l’origine d’une décision qui aurait participé à la dégradation des relations entre les États nordiques.
Une présence russe en arctique qui s’accroît depuis 2001
La Russie semble vouloir accroître sa présence militaire et son influence stratégique depuis 2001, et cela amplifie les tensions diplomatiques naissantes entre les pays. En effet, lorsque la Russie a déposé en Août 2007 son drapeau à 4200m de profondeur, lors d’une mission destinée à collecter en premier lieu des données scientifiques, elle a fait preuve d’une volonté marquée d’affirmer sa souveraineté dans l’océan Arctique, et plus précisément sur la zone symbolique du Pôle Nord. Cette action très forte politiquement a entraîné de nombreuses réactions des pays riverains en Arctique, notamment celle du Canada dont le ministre des Affaires Etrangères de l’époque, Peter Mckay, avait déclaré: «Voyons, nous ne sommes plus au 15e siècle. On ne peut plus parcourir le monde, planter simplement des drapeaux et déclarer: nous revendiquons ce territoire».
En outre, la Russie se déclare prête à défendre par la force les réserves qui lui seront attribuées, justifiant ainsi une augmentation de ses forces militaires patrouillant dans l’Océan Arctique.
Le Canada
Depuis quelques années, le Canada a mis en place un important programme de cartographie des fonds marins où il pourrait avoir des revendications fortes, c’est-à-dire au niveau de Grand Banks et du Cap Flamand sur sa côte est dans l’Océan Arctique, en Mer de Beaufort et dans une zone qui pourrait potentiellement recouvrir le pôle nord.
Le gouvernement fédéral canadien a estimé en septembre 2007 que la totalité de son plateau continental au-delà des 200 miles marins couvrait 1,75 million de km2, majoritairement en Arctique. Dans son budget de 2004, le gouvernement canadien avait annoncé que 51 millions de dollars seraient dépensés sur 10 ans pour cartographier le plateau continental Arctique. En Septembre 2007, c’est un total de 69 millions de dollars qui devaient être investi sur 10 ans pour le programme de recherche Canadien sur l’UNCLOS. Enfin, le budget 2008 annonçait un soutien de 20 millions de dollars supplémentaires pour la réalisation du dossier définissant les limites du plateau continental.
La collecte des données en rapport avec l’extension du plateau continental canadien se fait selon deux méthodes, la bathymétrie et la sismographie. Il est cependant très difficile de récolter les données dans certaines régions. Ainsi, dans la partie Est de l’Arctique, la délimitation du plateau continental se fera principalement en combinant la méthode de la prolongation naturelle du plateau (isobathe 2 500) et la formule de Hedberg (60 miles marins à partir du pied du talus continental). La méthode des sédiments sera nécessaire en Arctique de l’Ouest et ce afin de maximiser la surface réclamée par le Canada. Enfin, des résultats préliminaires tendent à montrer que la dorsale Alpha en Arctique de l’Est est rattachée au Canada ce qui entraînerait une possibilité d’extension du plateau continental.
La majeure partie des revendications canadiennes à propos de l’Arctique n’est pas contestée par la communauté internationale, à l’exception du passage du nord-ouest et de la mer de Beaufort.
Le Danemark
Le Danemark n'a pas encore déposé son dossier final de demande d'extension du plateau continental en Arctique. Néanmoins, selon toute vraisemblance et grâce aux différentes expéditions menées par le Danemark en Arctique, on peut avoir une idée assez précise des zones que le Danemark va revendiquer. Celles qui nous intéressent se trouvent au Nord du Groenland, celui-ci étant encore aujourd'hui un territoire danois. Si l'on considère la ligne médiane comme délimitation des zones des différents pays, alors le Danemark obtiendrait une zone en forme de triangle au dessus du Groenland. Cette zone comprendrait le Pôle Nord, ce qui est un détail non négligeable.
Il faut noter qu'en fonction des résultats des collectes de données scientifiques sur place et en fonction des accords diplomatiques avec les pays voisins, cette zone danoise pourrait s'étendre plus loin encore le long de la dorsale de Lomonossov ou au contraire se rétrécir.
La Norvège
La Norvège a soumis son dossier à la Commission des Limites du Plateau Continental le 27 Novembre 2006. Le 29 Mars 2009, la CLCS a rendu son avis quant à ce dossier : aucun pays ne s’étant opposé aux revendications norvégiennes, la Norvège s’est vue accorder l’extension du plateau continental exploitable qu’elle avait demandé, principalement au niveau de la Mer de Barents, du Bassin Western Nansen dans l’océan Arctique, et de la Faille de la Banane (Banana Hole) dans la Mer Norvégienne. On peut noter cependant que la Norvège a pris soin de ne pas inclure le Pôle Nord dans sa demande, afin de ne pas entrer en discussion avec le Danemark, le Canada et la Russie qui cherchent déjà à revendiquer cette zone. « Ainsi redéfini, le plateau continental norvégien couvre une superficie de 235.000 km², soit les trois-quarts de la Norvège continentale », a déclaré le ministre des Affaires étrangères norvégien, Gahr Stoere, lors d'une conférence de presse.
La préparation du dossier a été réalisée par le NPD principalement, mais aidé par le NMA et et le NPI de Bergen, et s’est effectuée sous la direction du ministère royal des affaires étrangères. Ce ministère s’est en effet chargé des négociations diplomatiques préalables au dépôt du dossier, notamment avec la Russie, le Danemark et le Canada, dont il a rencontré les représentants au cours de l’année 2006. Ainsi, il s’est assuré de la coopération des pays qui auraient pu être en désaccord avec les revendications norvégiennes. On peut donc constater que les délimitations demandées ont été établies en dernier lieu suite à des négociations bilatérales. Cependant, selon les conditions fixées par l’UNCLOS, ces délimitations fixées par accords bilatéraux ne prendront effet que lorsque tous les Etats partie-prenants de ces négociations auront présenté leur demande.
Les États-Unis
Les États-Unis jouent un peu le rôle du passager clandestin de l’UNCLOS. En effet, il est utile de rappeler que ce pays n’a pas ratifié la Convention de Montego Bay, bien qu’ils l’aient signée. Ainsi, ils ne sont pas encore soumis à la contrainte temporelle et n’ont pas encore de date buttoir de rendu de dossier. Cependant, les scientifiques américains sont déjà impliqués dans le programme US Extended Continental Shelf Project d’extension du plateau continental. En effet, le gouvernement américain a voulu commencer les recherches dès maintenant afin de profiter du climat de coopération internationale intensif au niveau de la recherche scientifique et de la collecte de données. Une fois le dossier constitué, c’est-à-dire aux alentours de 2015, les Etats-Unis devront ratifier l’UNCLOS pour pouvoir obtenir une extension effective de leur souveraineté en Arctique (et le long de ses autres côtes). Une fois le dossier déposé, ils pensent ainsi disposer d’une large période pour effectuer les ajustements nécessaires à la délimitation finale de leur plateau continental étendu. De plus, la confirmation de la ratification de l’UNCLOS par les Etats-Unis est une condition nécessaire pour permettre le financement institutionnel de l’exploitation de ces ressources. Pour le moment, la réticence du Sénat américain à faire preuve de multilatéralisme laisse planer quelques doutes quant à une effective ratification.
Il faut tout de même noter qu’avec la présidence Obama, le gouvernement américain affiche une volonté nouvelle d’œuvrer pour la protection de l’environnement. Ceci pourrait influencer l’action des Etats-Unis en Arctique, et ils pourraient mettre l’accent plus sur la coopération et la recherche scientifique que sur l’exploitation des ressources.
Dispute entre le Canada
et le Danemark à propos de l’île Hans.
Le Canada comme le Danemark réclament la souveraineté de l’île Hans. Cette île, située entre les îles Ellesmere et le Groenland, d’une superficie de 1,3 km2, est inhabitée. Un accord de 1973 entre les deux pays excluaient cette île de toute revendication mais depuis le début des années 2000, la dispute s’est rouverte. Les deux pays réaffirment leur souveraineté à propos de l’île en y effectuant des visites régulières. En Septembre 2005, les deux pays ont émis une déclaration commune disant qu’ils cherchaient à résoudre le conflit mais la dispute reste irrésolue, aucun des deux pays ne voulant abandonner sa demande de revendication du territoire. Les enjeux sont minimes en termes de superficie, mais ils concernent surtout la zone maritime affiliée ainsi que l’exploitation des ressources naturelles. Il faut également souligner que c’est la souveraineté des pays qui est en jeu, le Canada et le Danemark ne voulant pas perdre leur souveraineté sur cette zone de l’Arctique.
Le passage du Nord-Ouest
Le passage du Nord-Ouest est situé entre le détroit de Béring à l’Ouest et le détroit de Davis et la baie de Baffin à l’Est. Le Canada se considère souverain sur le passage du Nord-Ouest arguant qu’il s’agit de ses eaux intérieures historiques. Il utilise pour sa démonstration deux arguments majeurs. Le premier argument, historique, consiste à dire que le Canada est souverain autour des îles de l’archipel arctique depuis longtemps. Cet argument peut sembler faible au regard du droit international. Le Canada souligne également qu’il est le seul Etat souverain dans la zone concernée et qu’il n’est pas en conflit avec d’autres Etats. Le deuxième argument est de dire que ces eaux de l’archipel arctique sont à l’intérieur de la laisse de basse mer qui constitue la ligne de base droite du Canada.
Certains pays contestent le fait que ces eaux soient des eaux intérieures au Canada. Les Etats-Unis affirment qu’il s’agit d’un détroit. Ils considèrent que c’est un lieu de trafic maritime international qui doit bénéficier des droits propres aux détroits internationaux. L’argument américain est souvent décrit comme faible puisque le passage n’a jamais vraiment été le lieu d’un trafic international. Mais la récente fonte des glaces a ouvert ce passage qui risque d’être emprunté de plus en plus régulièrement dans les années à venir. Le passage pourrait alors devenir un détroit international. Enfin, certains experts mettent en avant que ces eaux pourraient obtenir le statut d’eaux territoriales soumises à un droit de passage en transit.
Le statut du passage du nord-ouest pourrait avoir un impact important sur la navigation dans cette zone et par extension sur la pollution de la région. En 1970, le Canada a mis en place une Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques, cette loi spécifie que les réglementations canadiennes à propos de la pollution sont applicables jusqu’à 100 miles des côtes. Les Etats-Unis ont réagi en écrivant qu’ils ne pouvaient « accepter la déclaration du Canada selon laquelle les eaux arctiques font partie intégrante de ses eaux intérieures […] Le faire remettrait en cause la liberté de navigation essentielle aux activités navales des Etats-Unis dans le monde entier » (Département d’État des États-Unis, Foreign Relations, 1969-1976, vol. E-1, Documents on Global Issues, 1969‑1972). Cependant, les deux pays se sont mis d’accord sur une « coopération dans l’Arctique ». Les brise-glaces américains doivent demander l’autorisation du Canada avant de naviguer dans les eaux du passage du Nord-Ouest. La souveraineté du passage du Nord-Ouest pourrait finalement revenir au Canada ce qui lui permettrait, en accord avec les Etats-Unis de contrôler cette région de l’Arctique ce qui serait profitable à ces deux pays du point de vue de la sécurité.
La délimitation maritime
de la Mer de Beaufort
Le conflit en Mer de Beaufort concerne l’extension maritime entre le Yukon canadien et l’Alaska, riche en ressources naturelles. Le Canada considère que la frontière maritime se situe le long du 141e méridien en vertu de l’extension de la frontière terrestre décidée avec les Etats-Unis. Cependant, les Etats-Unis contestent la position canadienne argumentant que la frontière doit être définie en utilisant la méthode de l’équidistance. Chacun des deux pays souhaite utiliser la méthode qui les avantage le plus ; c’est-à-dire leur permettant d’obtenir la zone maritime la plus grande possible.
La dorsale de Lomonossov
La dorsale de Lomonossov relie la Sibérie et les îles Ellesmere. Ainsi, le Canada, le Danemark et la Russie sont susceptibles d’étendre leur plateau continental en s’appuyant sur cette dorsale. Le Danemark et le Canada peuvent s’appuyer sur le fait que la dorsale de Lomonossov est une prolongation naturelle du continent nord-américain, ils ont mis en place une opération commune en juin 2006 sur la glace au nord des îles Ellesmere.
Pour tenter de revendiquer la dorsale de Lomonossov, les scientifiques russes ont à disposition des données bathymétriques, géomagnétiques, géologiques et sismographique. Le débat reste ouvert entre géophysiciens et géologues russes pour déterminer lesquelles de ces données permettraient de prouver par la nature de la dorsale qu’elle est un prolongement du plateau continental russe, comme le souligne Vladimir Glebovsky, chef du département de recherche en géo-écologie de l’institut chargé de l’élaboration de la demande russe à venir.
La Mer de Barents
En ce qui concerne la Mer de Barents, ce sont les gouvernements russe et norvégien qui sont les plus à même de trouver un accord pour établir leurs zones d’exploitation respectives dans ce bassin d’une superficie de 175 000 km² et devant receler près de 10 milliards de tonnes d’hydrocarbures. Le cas de la Mer de Barents est très intéressant dans l’étude de la délimitation des frontières en arctique, puisque l’aspect scientifique de l’extension du plateau continental n’y participe pas de la même manière et s’efface derrière les négociations diplomatiques entre ces deux pays. Ainsi, en 2006, une conférence réunissant des scientifiques des deux pays avait déjà eu lieu. Elle avait pour mission de transmettre aux ministères des affaires étrangères russe et norvégien des recommandations à suivre pour cette zone. Le président russe Dimitri Medvedev et le Premier ministre norvégien Jens Stoltenberg se sont ainsi rencontrés le 19 Mai 2009 afin de se mettre d’accord sur la répartition des ressources en Mer de Barents, contournant ici l’utilisation de l’article 76 de l’UNCLOS dans la résolution de leur différend.
Le Pôle Nord
La dimension symbolique de la souveraineté sur le Pôle Nord n’est pas négligeable dans les enjeux des revendications territoriales en Arctique. Pour un pays comme la Russie ou le Canada, affirmer sa souveraineté sur le pôle nord, c’est affirmer sa souveraineté sur l’océan Arctique. Selon les différentes méthodes utilisées, le Pôle Nord est soit danois, russe, canadien ou à la limite de toutes les zones. En outre, le Pôle Nord géographique est situé à proximité de la dorsale de Lomonossov. Le pays qui obtiendra la souveraineté sur la dorsale de Lomonossov inclura donc le Pôle Nord dans sa zone.