Enjeux philosophiques :
Impossible de parler des abeilles sans avoir à
l'esprit la phrase attribuée à Albert Einstein. Le père de la théorie de la
relativité aurait ainsi dit que "si les abeilles venaient à disparaître,
l'humanité n'aurait plus que quatre années devant elle".
Au-delà de cette prédiction, l'abeille fascine.
Depuis des siècles, l'abeille est tour à tour une divinité pour les Egyptiens
et les Grecs, le symbole des premiers rois de France. Le destin des hommes et
des abeilles semble étroitement lié. De nombreux philosophes, sociologues et
intellectuels se sont intéressé aux abeilles. C'est ainsi que Maurice
Maeterlinck dans la vie des abeilles explique que « la bibliographie de
l'Abeille est des plus étendues. Dès l'origine, ce petit être étrange, vivant
en société, sous des lois compliquées, et exécutant dans l'ombre des ouvrages
prodigieux, attira la curiosité de l'homme. Aristote, Caton, Varron, Pline...
Virgile s'en sont occupés.» (Maurice Maeterlinck, La vie des
abeilles, Fasquelle Éditeurs, 1935, p. 13. - publication du domaine
public).
Il existe même un mythe antique pour expliquer la
naissance de l'apiculture. Dans le quatrième livre des
Géorgiques, Virgile explique comment Aristée est devenu le père de
l'agriculture. «Coupable d’avoir provoqué la mort d’Eurydice, le berger
Aristée est puni par les nymphes, qui font périr ses abeilles. Après que, sur
les conseils de Protée, il a sacrifié quatre taureaux et quatre génisses, le
neuvième jour il trouve dans les chairs putrescentes de l’un d’eux un essaim
d’abeilles. Alors, Aristée peut reprendre l’exercice de son art et devenir le
père de l’apiculture. »
Si l'abeille fascine autant
c'est parce qu'elle vit en sociétés organisées. La ruche
comprend ainsi plusieurs colonies d'abeilles organisées en castes d'individus.
La reine, la seule femelle capable de pondre est entourée de faux bourdons par
centaines (les seuls mâles) et de dizaines de milliers d'ouvrières, stériles.
Les ouvrières occupent une fonction précise au sein de la ruche selon leur âge.
Les ouvrières sont ainsi tour à tour nettoyeuses, nourrices, bâtisseuses,
magasinières, gardiennes et butineuses. Pendant quelques semaines, elles
récoltent alors le nectar et le pollen puis meurent. Pour indiquer la
localisation des sources de nourriture, les butineuses effectuent une danse
élaborée qui correspond au langage dansé des abeilles. La signification des
danses d'abeilles a été étudiée par Karl von Frisch. Il publie en effet La vie des Abeilles en 1927 et ils
expliquent alors les modes de communications. Une danse en rond correspond à
une source d'approvisionnement proche (moins de 50 mètres) tandis que la
danse frétillante ou en huit signifie que la source est plus éloignée.
Aujourd'hui, le langage des abeilles est mieux compris encore puisqu'il est
établi que les informations transmises proviennent des mouvements de la danse
mais aussi des sons émis et des odeurs de leur corps.
L'abeille est également utilisée pour expliquer
les différences sexuelles entre les individus. Simone de Beauvoir dans le tome I de son essai
sur la question des femmes, Le
deuxième sexe, fait ainsi état de l'abeille comme symbole d'un
monde sexué parfait où la Reine
est condamnée à la ponte. La reine pont en effet jusqu'à 1 500-2 000 œufs par
jour à la belle saison. De même, plus récemment, Gilles Tétart dans Le sang des fleurs, mythologie de l'abeille et du miel analyse la
vie sociale des abeilles pour montrer comment le mythe de l'abeille et du miel
sert à enseigner la nécessité d'une désexualisation afin d'accéder à
l'incorruptibilité et à l'immortalité.
L'abeille est, après l'homme, l'objet du plus grand nombre de
publications scientifiques. Son génome a par ailleurs été entièrement séquencé.
L'abeille en tant qu'animal social sert de cadre d'analyse comparatif et
explicatif de nos sociétés. Parler de l'abeille revient de la sorte à charrier
l'ensemble de ces imaginaires ou réalités qui y sont étroitement attachés.
|