Interview Damien Mascret

 

Comment vous positionnez-vous par rapport au débat ?

 

Sujet « serpent de mer », qui réapparaît à chaque fois que quelqu’un fait quelque chose dessus. En dehors du fait médiatique, pour nous (sexologues) ce n’est pas un sujet très intéressant. Pas de demande des patients, ça ne les inquiète pas.

En tant qu’acteur, je suis intervenu suite à un mail d’Agnes Girard, qui voulait un avis plus scientifique. En tant que praticien, je m’y intéresse parce que ça participe aux représentations (qui peuvent dater).

Pas étonnant que ça ne soit que des petites études, un sujet « artisanal ». Comme la recherche est pluridisciplinaire, il faut avoir accès à beaucoup d’équipement, sans compter les difficultés de financement. Et puis c’est « mal vu », les scientifiques eux-mêmes hésitent.

 

Un équipement mal adapté ?

 

Encore, depuis l’obésité, on fait des IRM plus grosses (pour deux).

 

Difficultés juridiques aussi ?

 

En France, il faut l’accord d’un CPP (Comité de protection des personnes), qui ont demandé des assurances. Cela dit c’est très bien, moi je suis pour que des CPP surveillent ça, sinon on ferait n’importe quoi (gonflements au collagène ou acide, c’est du charlatanisme etc.)

 

Abus du manque de certitude ?

 

Même les médecins qui le font devraient vérifier avec un CPP

 

Pourtant en France c’est permis non ?

Non, c’est pas interdit, mais c’est pas permis ! en médecine on a pas le droit d’utiliser des techniques qui n’ont pas été éprouvées. Sinon il faut le faire dans le cadre d’un processus de recherche. Enfin tant qu’il n’y a pas d’accidents et que personne ne porte plainte.

 

Aux US ils ont carrément des G-shot parties !

 

Ils font même des ateliers, impensable en France.

 

Les US ont d’ailleurs lancé la notion, puis l’ont commercialisée, mais la recherche vient désormais plutôt d’Europe…

 

La question c’est toujours quel est le retour sur investissement. Or, dans ce domaine la recherche ne rapporte rien. Il y a quelques années, on a espéré (laboratoire cosmic treasure ?) trouver les viagra pour les femmes (vascularisation du clitoris). Mais ça n’a pas marché. Puis il y a eu un nouveau produit sur le désir…À chaque fois c’est un labo qui encourage la recherche pour un produit. Ce ne sont pas les sexologues, avec leurs moyens, qui vont se lancer là-dedans.

 

Pourquoi c’est en France qu’on a eu le plus de réaction à l’étude de King’s

 

Parce que les médias ont repris. Sinon vu la méthode de l’étude, au sein de la communauté scientifique on aurait même pas vu l’intérêt de lire la conclusion (Bien qu’il y avait d’autres choses intéressantes dedans, d’un point de vue déclaratif sur la vie sexuelle des femmes).

 

Vous parliez des autres études sur les 400 culs…

 

J’étais venu rapidement aux travaux d’Odile Buisson. L’équipe de Gravina et al. avaient aussi fait un truc pas mal. Les Coréens eux, avec la dissection, chacun ses méthodes !

 

Le point G c’est plus une dénomination …

 

C’est une zone. Tout le débat est là, c’est fonctionnel donc dire si ça existe ou pas c’est difficile.

 

Là maintenant on va peut être avoir la vague télévisuelle du débat. Le livre d’Odile pourrait servir aux médias de prétexte à en reparler avec un élément nouveau (puisque ce sont des sujets qui crèvent l’audience).

 

Et pour ce qui est de la recherche à venir ?

 

Là je ne suis pas sur que de nouvelles personnes travaillent dessus, qu’il y ait de nouvelles techniques.

 

Andrea Burri parlait de publier une nouvelle étude…

 

Parce qu’elle pense encore qu’elle a raison ? ça va être la guerre avec les sexologues ! Pourquoi pas avec une méthodologie plus sérieuse. Il faudrait expliquer aux femmes comment trouver cette zone avant. Ce n’est pas évident, quand on ne cherche pas on ne trouve pas. Donc c’était complètement absurde de leur demander si elles avaient trouvé !

Quand bien même une seule femme l’aurait trouvé, ça pourrait dire que ça existe (cf. cygne noir). Pas n’importe quel endroit non plus ! l’épaule ne marcherait pas. À cet endroit, il y a anatomiquement des terminaisons nerveuses. Maintenant, de là à dire que c’est ça qui déclenche l’orgasme !

1ère étape, le trouver : en passant le doigt on a l’impression de rugosité, anatomiquement

2ème étape, est ce que ça fait des sensations ? excitation, ambiance…

3ème étape, pour atteindre l’orgasme : besoins de stimulations physiques et psychiques

Dans un laboratoire il y a donc peu de chances que ça marche.

 

Le problème des conclusions de Burri et al. c’est qu’ils omettent complètement la part de physique…

 

Ce que cette étude prouve c’est qu’une femme sur deux avait trouvé une telle zone. Pas génétique ok. Mais de là à dire que parce que la génétique n’a rien à faire là-dedans ça n’existe pas !

 

Pourtant ils pensaient prouver le contraire au départ.

 

Même prouver qu’il existe, les sexologues n’auraient pas osé l’affirmer. On est dans le domaine des sensations, interprétées par le cerveau. On ne peut pas séparer les deux.

Avec le point G, on est dans le physique, l’anatomique, le fonctionnement physiologique. Mais on est aussi obligés de faire avec le cerveau, qui n’est pas si simple.

 

Que pensez-vous de l’expression « point G »?

 

Elle est mauvaise, elle donne l’idée d’un bouton magique alors que c’est une zone.

 

Pourquoi est-ce lié à l’éjaculation, au clitoris, etc. ?

 

C’est la même zone (système vestibulaire, clitoris et urètre). Un réseau veineux très riche relie aussi bien le système clitoridien que le système vestibulaire. Moins spectaculaire que chez l’homme car plus étendu. Comme l’éjaculation féminine vient de l’urètre tout est corrélé.

 

Ce qui dérange Burri c’est que tout le monde se sente obligé de le « prouver ». Frein à la recherche ?

 

On peut dire clairement aujourd’hui qu’il n’y a pas un « point ». Par contre, est ce qu’il y a une zone suffisamment sensible que par stimulation directe elle peut faciliter l’orgasme ? le débat est là.

 

Pourtant l’expression fait souvent les gros titres

 

C’est le privilège du 1er nommé (Whipple et al.). C’est difficile de changer de terminologie. On continuera à l’appeler « point », sachant que ça recouvre plus (et pourtant, on a réussi à changer impuissance par dysfonctionnement érectile).

Même si l’expression a été validée par le Comité de terminologie anatomique (certaines terminologies de muscles ont changées).

Ce serait bien de changer à « zone » car ça montrerait qu’on ne reste pas sur des idées d’il y a 50 ans. Mais le « point » fait plus scientifique, et donc fait débat.

Enfin, on peut se réjouir que les débats scientifiques soient plus intéressants car ils portent désormais sur – est ce qu’il y a une zone fonctionnelle ?

 

Le genre d’étude de King’s relance ce débat

 

Oui, car elle le met dans le domaine public. Il ne faut pas négliger les réticences des universitaires, des pairs. Le domaine de la sexologie reste très sulfureux car elle recouvre des enjeux majeurs (genre, etc).

Bien plus que le blocage culturel (« les femmes c’est pas intéressant »), c’est surtout le regard des pairs qui freine, manque de justification biologique (« érection = reproduction », ou le Sida qui a débloqué la sexologie dans les 80’s, justification de santé publique).

 

Les avancées seront-elles plutôt initiées par les sexologues ou les gynécologues ?

 

C’est tellement « artisanal » comme domaine de recherche que ça dépendra des personnes, des nouvelles techniques.

Ce qui est révélateur de la crispation scientifique, c’est que malgré le nombre de femmes l’ayant déclaré, ce n’est pas encore ancré dans les grandes enquêtes.

 

Et les enjeux économiques ?

 

Aujourd’hui il n’y en a pas. Ce qui est surprenant c’est le décalage entre les femmes, qui ont intégré que ça pouvait exister. C’est pour ça qu’il y a autant de réactions dans les blogs dès qu’une étude dit le contraire.

Pour le public, pas besoin de le prouver puisqu’il n’y a pas d’enjeux derrière.

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