Interview Odile Buisson

Première Partie : Interview Audio

 

Sur la prostate féminine et l’éjaculation

 

Pour l’instant on ne sait pas qu’elle est l’origine de l’éjaculation. S’il y a un lien avec l’éjaculation et le point G, c’est probablement une séquence. Les petites glandes para-urétrales sont des reliquats qui sont massés pendant la pénétration: elles secrètent un liquide, qui désinfecte lors du rapport. C’est une séquence, dont l’éjaculat pourrait être une conséquence, mais qui n’est pas à confondre avec le point G.

 

Sur la substance du liquide

 

Pendant l’orgasme, il est possible parfois que la femme lâche ses muscles au point de libérer de l’urine pour maximiser le plaisir. Jannini a analysé de l’éjaculat féminin et m’a dit « je nage dans l’urine ». Les tests ont montré que le liquide blanc est riche en phosphatase mais est généralement peu abondant. Certaines femmes ont des prostates rudimentaires : je ne crois pas que tout le monde puisse éjaculer. On n’a pas réussi à démontrer la présence des glandes de Skene en échographie. On peut voir en revanche les glandes de Skene au niveau anatomique.

Certains mouvements féministes revendiquent la possibilité de l’éjaculation féminine pour toutes les femmes - c’est ridicule, ça met une pression inutile.

 

Sur la recherche

 

On s’interroge encore sur l’éjaculation, mais personne ne confond prostate et point G. Zaviacic a montré qu’on pouvait dire qu’il s’agissait d’un « résidus prostatique », mais ce n’est pas une prostate compacte comme chez l’homme.

 

Sur la recherche et ses entraves

 

Je n’ai pas le droit d’enquêter, alors je fais ça sur des copines. Ils m’avaient demandé 1641€ pour un couple de copains… C’est le comité d’éthique et les lois Hurriet. Avec les lois bioéthiques d’il y a 20 ans, on pouvait vraiment faire avancer la recherche. Aujourd’hui, c’est une administration incroyable. J’ai passé 2 mois à retraduire tout mon anglais en français, à l’expliquer au Comité des personnes, et ils m’ont dit « il vous faut une assurance ». J’ai essayé de les convaincre : ils m’ont dit « Madame, je représente la République ». Qu’est ce que vous voulez répondre à ça ? On peut faire de la prison !

 

Sur le lien Orgasme / point G / Plaisir

 

Sur l’étude de Jannini :

On montre qu’il y a un orgasme par pénétration vaginale (et pas un « orgasme vaginal »), mais c’est le clitoris qui est stimulé de différentes manières. C’est la perception qui est différente, mais beaucoup d’acteurs disent que c’est le même orgasme. Gert Holsteg dit « je pense que ce ne sont pas deux types d’orgasme, c’est la même chose, c’est mon sentiment ». Ce sont les hommes qui se prononcent sur nos perceptions ! Est-ce que je sais ce que c’est moi la sensation de l'érection ? Comment peuvent-ils dire ça sans l’avoir prouvé au niveau neurologique ?

 

Selon vous y a t il 3 sortes d’orgasmes? ( Vaginal, clitoridien, point G)

Il y a plusieurs types d’orgasmes, et il y a plusieurs types de perception et plusieurs types de puissance. L’orgasme est multiforme, la femme est très orgasmique !

 

(Visionnage de vidéos)

Échographie du coït - lors d’une pénétration pénienne, c’est le clitoris qui est stimulé, à travers le vagin (l’uretère, lui, n’est pas très vasculaire). Le point G est une zone agréable parce que le clitoris est stimulé en interne.

Échographie d’une pénétration au doigt - On voit que quand on se masse la partie intérieure du vagin, c’est bien le clitoris (lorsqu’on contracte les fesses) qui s’applique sur la paroi. Pas étonnant que ce soit sensible, puisque le clitoris est gorgé de corpuscules de Paccini.

Je me suis ensuite intéressée au plexus de Kobelt. (…) Quand ils ont fait des dissections de vagin, ils n’ont pas vu de structure qui corresponde au point G, mais il y a des veines. On sait que les veines clitoridiennes sont relarguées dans la circulation vaginale. Et les femmes décrivent souvent une sensation de chaleur particulière dans la partie intérieure du vagin. Pas étonnant si la pompe augmente le concentration de neurotransmetteurs, relargués dans la circulation par l’intermédiaire des veines. La sensation de chaleur serait donc due au passage des neurotransmetteurs dans la partie antérieure.

Gros plan des veines - On voit le sang, qui stagne puis virevolte, comme s’il y avait un pulse. Comme un lac qui se vide. Peut-être que ces pulses sont différents d’une femme à l’autre. Hypothèse: Peut être que les Kobelts jouent le rôle d’un réservoir pour des petits moments, et étaient ensuite relargués.

J’ai ensuite fait une série sur deux femmes clitoridiennes (qui n’arrivent pas à avoir d’orgasmes vaginaux) et j’ai vu que leurs fréquences de releasing étaient rapides. Peut-être tellement que les neurotransmetteurs n’ont pas le temps de s’accumuler, ou en trop petite quantité pour pouvoir générer les sensations de l’orgasme. Peut-être qu’une femme avec un orgasme vaginal a un rythme de releasing plus lent, ça s’accumule, et “quand ya un shot, ça déménage!”

Tout ça ce sont des hypothèses (présentées dans le Journal of Sex med). Ce que je disais c’est peut-être que l’orgasme par pénétration vaginale est medié neurologiquement et par voie vasculaire, alors que l’orgasme clitoridien est lié par médiation neurologique. Vous faites ça sur une centaine de personnes et vous êtes fixés! Mais il faut des sous...

Ça impliquerait un traitement! une crème pour ralentir le relargage... Mais tout ça c’est des conjonctures, si ça se trouve c’est du pipeau, c’est de la recherche quoi.

 

Il faut le faire sur une centaine pour le prouver?

Ou une cinquantaine puis statistiques pour voir si c’est significatif ou pas. Tout ça pour dire qu’il y a un champs de travail immense! et “c’est quand même pas de la gaudriole, c’est des vaisseaux, c’est de l’immuno-chimie. C’est scientifique, c’est concret.

 

Pierre Foldes vous soutenait dans ces idées?

C’est moi qui fait les échographies, mais c’est lui qui est venu me demander de le faire. Moi j’y avais pas pensé, pas du tout. Puis de fil en aiguille jme suis intéressée et j’ai bricolé - avec un concombre, avec un tampax - il faut bien, “à la guerre comme à la guerre!” C’est idiot qu’on ne sache pas, qu’on ne veuille pas savoir.

(…)

Si c’est la connaissance pour améliorer les choses, c’est bien. Si c’est la connaissance pour discriminer, là ça pose un problème éthique. Nos recherches sont plutôt humanistes, parce que c’est justement pour aider les femmes.

 

Mais qu’est ce qui prouve que le point G existe et... qu’il y a plein de femmes qui ne le trouve pas, c’est aussi une pression aussi énorme...

Le point G n’est pas la seule façon de jouir. On n’a pas besoin d’avoir un rapport sexuel avec orgasme pour être content, hein! Souvent les femmes n’en ont pas et elles sont très contentes! Pourquoi? Parce que c’est une rapport inter-personnel, c’est une fusion psychique, c’est des caresses, c’est dire de gentilles choses, savoir que quelqu’un tient à l’autre, se faire caresser...

 

Oui mais si on dit qu’il y a un saint graal, enfin qu’il y quelque chose d’incroyable, et qu’il y a des gens qui n’y arrivent pas, si on nous dit que c’est sur qu’il existe un truc.

Ça, c’est faux. Faut démentir.

 

Surtout que c’est martelé par les magazines et autres.

Oui, mais ça c’est la presse. Justement si la presse se permet de dire ça, c’est parce que la science n’a pas occupé le territoire. Il y a des injecteurs de point G alors qu’on ne sait même pas ce que c’est. Ils injectent où? Comment? Sans contrôle échographique. 300 euros l’injection. C’est quoi cette escroquerie? Et ce sont des médecins qui font ça?

 

Pour l’instant il n’y a pas eu encore d’accidents, malgré les risques.

Il y a un risque d’hémoragie, vous pouvez bloquer un urètre.

(…)

On est passionnés par nos recherches, et des fois la passion l’emporte. Les scientifiques ne sont pas des gens raisonnables, ce sont des humains. La science, ce n’est pas une affaire d’opinion. On doit dire ce qu’on pense, on doit dire ses hypothèses et on doit les prouver.

 

Mais du coup est-ce que nécessaire pour vous d’avoir des gens qui disent des bêtises

Bah, oui! l’avantage de ces discussions, c’est que ça met le doigt... Si j’ose dire... Sur un terrain qui n’est pas exploré.

 

 

Deuxième Partie : Interview Vidéo

 

Est-ce que finalement ça ne sert pas la science qu’il y ait des polémiques ?

 

Je suis contente de cette polémique parce qu’en fait elle a mis en évidence l’absence de science car s’il y a une polémique c’est que personne ne sait réellement. Et qu’il y ait de la passion c’est normal, puisque pour faire de la science il faut fatalement être passionné. Donc le débat est là justement pour nous retenir d’aller trop loin. Et moi j’étais ravie parce que comme la médecine sexuelle en France n’existe pas, le fait qu’il y ait cette polémique a montré qu’il y avait quand même une lacune et que les médecins, la science, avaient déserté ce terrain. Tout ça parce que la sexualité féminine est lestée de tous les tabous. Donc je remercie infiniment Tim Spector et son équipe de ne pas être d’accord avec moi (rires).

 

La dispute consiste presque en un conflit de définition... comme il y a de l’incertitude certains l’associent aux glandes de Skene, d’autres l’associent au clitoris…

 

Vous avez raison parce qu’en fait la dispute, comme on ne sait pas de quoi on parle exactement et qu’on traite le sujet par des voies différentes (Andrea Burri est épidémiologiste, moi je suis médecin gynécologue-obstétricien mais plutôt proche des tissus, des nerfs, des vaisseaux) c’est aborder différemment un problème inconnu, donc effectivement on est un petit peu dans le flou.

 

Et qui peut trouver la réponse ? il y a des gynécos, des sexologues, des épidémiologistes.

 

La médecine moderne a maintenant suffisamment de moyens, on a des imageries très perfectionnées, de l’immuno-istochimie, on a tout ce qu’il faut pour faire de la recherche. Mais encore faut-il le vouloir. Il y a une volonté réelle de non-savoir. Parce que c’est un terrain complètement inexploré. Quand on est dans l’inconnu, dans un terrain inexploré, on laisse toutes sortes de rumeurs se répandre. Je crois fondamentalement que la réponse sera scientifique sur des études cliniques et pas sur des sondages et des statistiques. Les statistiques c’est une virtualité pour moi. Jamais vous ne pourrez prouver d’une statistique qu’un fonctionnement existe ou non. A mon avis, non.

 

Il faut donc poser l’hypothèse d’un fonctionnement avant de chercher ?

 

Je pense que oui. D’après ce qu’on a vu (cf. vidéos), si la partie antérieure vaginale basse est sensible c’est dû à une interaction d’organes qui fait que le clitoris est comprimé par la verge en érection lors du coït. Ce serait donc plutôt une fonction, pas une structure. Ce n’est pas un petit bouton on-off qui existe ou qui n’existe pas.

Or la question d’Andrea Burri dans son sondage posait l’idée d’une structure : « Avez-vous l’impression d’avoir une petite zone de la taille de 20 pence sur la partie antérieure, et qui quand elle est stimulé déclenche un orgasme ? ». Si on me pose la question de cette façon, je réponds non. En plus, le sondage a été fait en envoyant un questionnaire par la poste, les gens ont répondu au petit bonheur la chance. Parce qu’un questionnaire de sexologie c’est extrêmement subtil, on peut très bien mal l’interpréter, on a jamais examiné ces femmes, on ne sait pas si elles avaient de la pathologie, si elles avaient des antécédents particuliers sur le petit bassin, sur le vagin, on ne savait pas qu’elle était leur sexualité préférée, est-ce qu’elles étaient hétérosexuelles, homosexuelles, on ne savait pas qu’elle était leur position préférée, leur position amoureuse…Donc vous brassez beaucoup d’incertitude et vous en sortez des statistiques et vous concluez que ça n’existe pas.

Je préfère avoir de la science classique, c’est-à-dire, examiner, voir la normalité, voir comment fonctionne un organe, voir comment est-ce qu’il dysfonctionne, et l’étudier comme on a toujours su le faire avec maintenant l’aide de l’imagerie moderne.

malheureusement, c’est plus cher…

C’est coûteux, très coûteux.

 

Prend-t-on en compte les assurances dans le financement d’une étude?

 

Bien sûr, parce que ces études tombent sous la loi Hurriet-Sérusclat qui a été votée en 88. C’est à partir de là que les chercheurs ne peuvent plus chercher comme ils veulent. On a des tonnes de papiers à remplir, il faut avoir une assurance pour les patients qui sont étudiés. Les assurances peuvent être très chères. Moi par exemple pour l’échographie du coït on m’a demandé 1641 euros TTC, pour un coït d’un couple de médecins volontaires mariés, donc qui connaissaient la musique si j’ose dire.

 

Dans votre livre, vous avez écrit que ce serait facile d’obtenir des financements parce que c’est un champs peu exploré ?

 

Ce que je voulais dire, c’est que c’est facile de trouver puisque c’est un champ qui reste peu exploré. Tout est à faire. Il n’y a qu’à se baisser, c’est comme un champ de pépites si vous voulez. Mais encore une fois, s’il y n’y a pas de volonté de le faire, ou on ne peut pas.

 

Andrea Burri m’a dit que pour elle ce label de « point G » parle au public, mais qu’il ralentit la recherche parce que les chercheurs veulent prouver que ce point existe. Par exemple, elle admire le travaille de Jannini, mais aurait préféré qu’il fasse juste cette observation sur l’épaisseur de la paroi vaginale par rapport aux types d’orgasme.

 

Là je la rejoins tout à fait, mais le point G a été dénommé comme ça grâce à Beverly Whipple, ça a été une opération finalement intéressante parce que tout le monde en parle. Mais je pense que Mme Burri a raison, ça a un peu ralentit parce qu’on est parti dans une fausse direction. Je partage son avis.

 

Damien Mascret, un sexologue, proposait de le renommer en « zone G »

 

Oui, c’est une région, une région fonctionnelle. De toute façon, c’est un peu ce que dit Helen O’Connell quand elle propose de parler de « complexe clitoridien », de complexe clitoro-urétro-vaginal. Finalement, on dit « point g » parce que c’est l’ancienne terminologie et que c’est celle qu’a fait beaucoup de publicité à cette zone. Elle en a fait beaucoup parler parce que tout ce qui est mystérieux on aime bien. Mais c’est vrai qu’on pourrait peut-être le renommer. Peu importe qu’on appelle point g, point Pierre, point Paul, le principal c’est de savoir comment marche cette chose.

Et puis c’est surtout un prétexte pour faire avancer la recherche. 

Oui, oui, oui. Et vous avez raison en ça, les débats, les polémiques… et puis quand elles sont passionnelles c’est bien plus amusant.

 

Andrea Burri a délibérément mis ce titre « le point g n’existe pas » pour être publié.

 

Kings College, c’est un peu ce que Harrod’s est au luxe. Ils ont d’énormes moyens, ils doivent sûrement avoir de gros attachés de presse, et ils doivent publier des choses pour augmenter leur impact et pour leur propre réputation. C’est du reste un biais dans la recherche scientifique, parce qu’il suffit de publier sur tout et n’importe quoi, le faire dans de bonnes revues. Ce n’est plus le petit scientifique qui passe des années et des mois dans son laboratoire, maintenant il faut prouver. Et je pense que c’est ce qu’ils ont fait. Ce n’est peut-être pas respectueux vis-à-vis d’eux, mais j’ai toujours eu l’impression que c’était un papier de commande. En tout cas, ça a fait le tour du monde, le tour de la planète en 24h.

Ce qui est marrant, c’est que leur hypothèse était de prouver l’existence du point g. Elle était étonnée par la conclusion de leur étude (à savoir, « le point G perçu existe, le point G anatomique n’existe pas »).

Je ne pense pas qu’avec les statistiques on puisse prouver ce qui est charnel. Je crois que ce qui relève de la chair doit être étudié par les moyens appropriés.

 

Il y a aussi une différence entre la vision de l’opinion publique qui sait tout de suite de quoi on parle.

 

Les médias ont beaucoup parlé de ça. Et c’est vrai qu’il y a une « dictature du point G », une « dictature de l’orgasme » qui est mauvaise. Il faut absolument, absolument dissocier le point G de l’orgasme, parce qu’on peut très bien jouir de différentes façons. « Je vais vous montrer où est le point G, je vais vous apprendre à la stimuler », c’est une recette pour faire l’amour, c’est ridicule. Si une femme est très heureuse dans sa vie sexuelle autrement… « Je veux mon point G, je veux mon point G », c’est vraiment du consumérisme.

 

La Pression du Point G sur les hommes et les femmes

 

Je trouve que ça met une pression inutile sur les femmes et les hommes. Certaines femmes réclament maintenant aux hommes de leur donner plusieurs orgasmes puissants, pour un homme ça doit être désastreux : « Vais-je y arriver ? Vais-je la satisfaire ? Est-ce qu’elle va faire semblant? ». La situation des hommes est difficile ; il faut éliminer la dictature du Point G et savoir qu’on peut être très heureuse autrement.

C’est poussé à l’extrême aux US, avec les ateliers de masturbation etc. On a l’impression qu’il y a un vrai « commerce du point G ». 

Ici aussi vous savez, puisqu’on a les injections. En général ce qui se fait aux US, on le rattrape.

 

Les US par rapport à Europe : avancée de la recherche

 

C’est bizarre qu’eux, qui ont moins de législation pour les recherches, ne recherchent pas davantage ; on a l’impression que ça s’est un peu calmé là-bas et que maintenant les découvertes se font davantage en Europe.

Non, j’ai plutôt l’impression que la recherche américaine est en avance car les féministes américaines sont très actives et plus combatives que les nôtres. Récemment sur un article du Journal of Sexual medicine, sur 247 références, il n’y en avait que 7 françaises, c’est très peu. Sur ces 7 références, il y avait deux articles de Pierre Foldes et moi, deux sur le clitoris des rats (car oui il y a des similitudes importantes entre le clitoris des rattes et le nôtre).

Les universités françaises ne s’intéressent pas au plaisir des femmes. Plus aux troubles de l’érection car l’éjaculation est liée à la reproduction. La médecine sexuelle n’est pas étudiée dans les études médicales. Souvent quand on est jeune médecin et qu’on débute et qu’on a des questions de patientes sur le sujet, on ne sait pas quoi répondre. Les études scientifiques s’éloignent de l’humain, Il n’y a pas assez de sciences humaines, trop de sciences dures.

C’est vrai que les confrères qui disent que ça n’existe pas trahissent un peu leur sexualité. C’est très personnalisé, un médecin dont la femme ne jouit pas par le vagin se dit que ça n’existe pas sinon il aurait trouvé. Pour être sexologue il ne suffit pas d’avoir de bonnes relations sexuelles.

La sexualité repose sur l’intime (elle ne répond pas à la question « a-t-elle un point G ? »). Ça relève du privé en tant que personne, mais comme scientifique on a besoin de savoir.

 

Médecine Sexuelle et Féminisme

 

Vous proposez une médecine sexuelle féminine qui existe depuis peu. 

En fait elle n’existe pas : on connaît le clitoris depuis 1998, la première imagerie en 2005, la première échographie en 2008 et l’échographie du coït en 2010 . Seulement 10 ans, on ne sait pas grand-chose car le clitoris est tabou puisqu’il ne sert qu’au plaisir féminin. Le plaisir féminin on en a peur, les hommes en ont peur, c’est mystérieux et c’est pour ça que certaines femmes sont mutilées dans certains pays d’Afrique. Les hommes se disent qu’ils peuvent contrôler la reproduction, « si elle peut jouir avec moi comme ça elle peut jouir avec un autre». On est sous l’ère du patriarcat depuis très longtemps maintenant et ça continue aujourd’hui.

Justement quels sont vos rapports avec le féminisme ?

Je ne crois pas être féministe, je suis humaniste. Je suis pour un humanisme équitable. Moi j’aime les hommes, mais ce n’est pas une question de genre. J’ai vu des femmes se conduire comme des machos épouvantables et des hommes se conduire comme des femmes - ce qui était très agréable. Je n’ai pas la haine du masculin du tout, j’adore les hommes. Je trouve que simplement il faut de l’équité, je suis une fervente supportrice de la parité à l’Assemblée et au Sénat, c’est pour moi une évidence. Tant qu’il n’y aura pas la parité, je ne voterais plus pour les législatives et les sénatoriales.

Nous (les femmes) devrions compter plus car nous sommes majoritaires dans le pays. Nous participons à l’économie, nous faisons beaucoup d’enfants, donc si on décidait de bloquer plus on aurait sûrement plus de droits. L’université est si andro-centrée, l’université médicale n’est que le reflet de la société. Les femmes du gouvernement sont des Ferraris de compétition mais ce n’est qu’un écran de fumée. Je suis ravie pour elles, ce sont des femmes magnifiques, mais moi je voudrais que ces mêmes pouvoirs soient déclinés à l’échelle de la société.

Nous avons des différences de nature (XX, XY), on n’a pas la même sexualité, la même reproduction, ça joue sur des différences de culture. C’est pour ça que le clitoris est éminemment politique.

C’est pour ça que vous dites que les américains qui font de la recherche sont des féministes ? Faut-il être féministe pour faire de la recherche ? 

Oui, du moins il faut aimer les femmes je pense. Il ne faut pas avoir peur des femmes, il ne faut pas avoir peur d’examiner un clitoris et le plaisir féminin. Il faut que les femmes aussi cessent d’avoir peur des genres : pour certaines féministes, le coït c’est terrible. Donner son corps c’est déjà beaucoup, alors vous imaginez le coït ? Il y a une expression qui m’étonne : « il l’a prise », ce qui veut dire il l’a pénétrée. Mais moi je trouve que quand un homme prend la femme, la femme prend l’homme aussi c’est parfaitement réciproque. La définition parfaite de la sexualité c’est prendre autant que de donner.

Je plaide également pour une éducation de la psychologie féminine, qui est complètement différente de celle des hommes. Et s’étudiant on se comprend mieux. Par exemple : les hommes après avoir fait l’amour s’endorment. C’est normal, ils sont gorgés d’endorphine qui leur donne envie de dormir ; mais madame le prend mal. Il suffit de savoir ça pour dénouer les malentendus. S’il s’endort c’est qu’il ne peut pas faire autrement. Et ça c’est une éducation intellectuelle et une éducation du sexe que nous n’avons pas.

Regardez les mouvements islamistes - haine profonde des femmes, ils en ont une trouille phénoménale. La façon dont nous traitons les femmes montre la peur panique qu’on peut en avoir.

 

Pour revenir à des questions plus « scientifiques », pourquoi est-ce que l’étude de la pénétration que vous avez faite montre plus de choses que celle de la stimulation avec un doigt ou avec un tampax ?

 

Avec le tampax, je n’avais pas l’orientation physiologique normale, c’était au petit bonheur la chance. Avec le gode, j’avais une structure dense qui bloquait les rayons et le gode est plus fin qu’une verge en érection. La chose la plus normale et la plus pratiquée c’est le coït, j’étais sure d’être dans le mouvement le plus naturel. De plus une verge ne bloque pas les rayons des ultra-sons et je pouvais aller voir sur les côtés.

 

Il était question de sortir un sex toy plus adapté au point G

 

Oui, car les sextoys qui existent sont adaptés à des femmes qui ont déjà des orgasmes, mais à la rigueur là seul un doigt suffit. Pour les autres, je ne pense pas que les sextoys puissent donner un orgasme aux femmes qui n’en n’ont jamais eu. Il ne faut déjà pas l’utiliser dans le but d’avoir un orgasme sinon vous n’en aurez pas.

Ce n’est pas avec un laboratoire que vous deviez faire ça ? 

Le but était d’aider mécaniquement les femmes à stimuler leur vagin et j’avais noté que les godes sur le marché avait toujours une forme phallique pas forcément la mieux adaptée. L’idée, c’était d’associer stimulation du vagin et du clitoris, pour qu’une fois que l’orgasme était installé, le cerveau associe aussi le vagin à l’orgasme.

Le laboratoire n’a jamais vu le jour et on a laissé tomber. Notre but premier n’était pas du tout de faire du commerce. Mais c’est vrai qu’il y a peut-être une rééducation du périnée à faire, car on a remarqué que les femmes qui ont un périnée bien tonique ont plus d’orgasmes parce que la mobilité du clitoris en dépend. Là encore ça réclame de la science, ce n’est pas un bout de plastique bleu fabriqué à la chaîne en Chine qui va rendre heureux!

 

Pourtant, s’il y avait un sextoy à la clé vous ne pensez pas que ça motiverait les financements?

 

Il faut d’abord de la Science, voir comment ça fonctionne et dysfonctionne, et comment corriger les mécanismes. Le sextoy c’est pas mal parce que ça déculpabilise, mais il faut savoir passer de 1 à 2, parce qu’un monsieur ce n’est pas la même chose qu’un sextoy.

 

Comment est ce qu’on prouve une fonction scientifiquement?

 

On la regarde. Avec l’échographie, on voit que les organes bougent d’une certaine façon. On pourrait faire des mesures sur de grandes séries, c’est ce qu’il manque. Comme il n’y a pas d’études universitaires on travaille sur de petites séries.

De toute façon le Point G n’a pas été trouvé sur des cadavres. C’est un fait sexologique. L’échographie montre qu’il y a inter-réactivité entre les organes. O’Connell parle « d’unité anatomique », soit unité fonctionnelle.

 

Qu’est ce qui pourrait finir la controverse et établir le point G comme un fait?

 

Des études. Ne pas se contenter de l’échographie dynamique pour montrer que sur le plan fonctionnel le clitoris est comprimé lors de la pénétration. Faire aussi des études vasculaires, immuno-histo-chimiques... voir s’il y a une différence entre les femmes qui ont des orgasmes par stimulation externe ou pas. Tout est à faire!

 

Vous différenciez la prostate féminine et le point G, pourtant ils semblent intrinsèquement liés. Quel est le rapport entre le point G, l’éjaculation féminine, les glandes de Skene et ce qu’on appelle la prostate féminine?

 

C’est souvent mélangé parce que c’est dans la même région. Je pense que ce sont des choses différentes - il faut différencier le plaisir féminin du phénomène d’éjaculation. Autour de l’urètre des petits canaux secrètent du liquide similaire eu liquide prostatique. Ce sont les glandes de Skene (prostate féminine depuis Zaviacic), développées plus ou moins chez chaque femme. Mais ce tissus n’est pas tellement innervé. Or pour avoir une sensation aussi forte qu’un orgasme vaginal il faut beaucoup de terminaisons nerveuses. Le seul organe qui en est bourré c’est le clitoris.

Je pense en plus que l’éjaculation provient d’une séquence. Comme les orgasmes vaginaux sont plus puissants, ils déclenchent des contractions périnéales qui vont masser les glandes prostatiques qui aboutiront à une petite sécrétion (3cl) riche en enzymes prostatiques. Quand l’éjaculation est plus importante ça peut être une évacuation d’urine. C’est un phénomène mal connu, avec beaucoup d’hypothèses.

Je ne pense pas qu’il faille lier glandes de Skene et plaisir. Mais comme elles sont dans la région du clitoris, ça donne matière à confusion.

 

Ce sont donc clairement les terminaisons nerveuses qui permettent l’orgasme?

 

Oui, ce sont les voies neurologiques qui permettent les sensations.

 

Vous nous avez parlé de vos hypothèses, laquelle allez-vous creuser?

 

On s’est aperçu qu’au sommet de la double arche il y a les plexus de Kobelt. Comme la région est gorgée de neurotransmetteurs, on se demandait si le clitoris n’était pas une pompe veineuse, et le coït une supplémentaire, qui font qu’il y a accumulation puis relargage de neurotransmetteurs dans la vascularisation générale. On se demande donc s’il n’y a pas de participation vasculaire aux phénomènes sexuels. Mais ce ne sont que des hypothèses.

Mais laquelle voulez-vous poursuivre dans vos recherches?

J’aimerais voir s’il y a une différence dans ces relargages veineux entre femmes vaginales ou non. Compléter par des résonances magnétiques fonctionnelles du cerveau, pour voir si les taches qui s’allument dans le cerveau sont différentes d’une femme à l’autre. Mais ce sont des projets très coûteux. Par contre on a tous les techniciens qu’il faut! C’est dommage que la France reste en retrait alors qu’on a le matériel et le savoir. Malheureusement on a pas l’argent.

 

C’est en France qu’il y a eu le plus de soulèvement contre l’étude de King’s.

 

C’est un peu grâce à Sylvain Mimoun qui faisait en même temps son congrès. Quand je me suis aperçue de cette publication j’ai sauté en l’air. Je lui ai dit, à lui et Jannini, qu’on devait réagir. C’est grâce au congrès, où étaient invités les journalistes, que la polémique Franco-anglaise a enflé. Les féministes Américaines étaient très contentes que les Français répondent. Alors qu’on est peu nombreux sur le terrain, on a été pugnaces. Avant de faire de l’épidémiologie il faut faire de la science.

 

Vous parlez au nom de tous les gynécologues?

 

Non, c’était un congrès de sexologies (urologues, médecins, etc.). Mais c’était bien de répondre alors que les anglais avaient déjà fait le tour du monde.

 

Qu’est ce que vous pensez du rôle des sexologues et tous ceux qui ne sont pas dans la recherche?

 

Ils sont utiles car ils ont un rôle de conseil. Mais ça n’empêche pas qu’il faille de la science pour éventuellement traiter - les deux sont complémentaires. Depuis Master et Johnson on dit que 90% des dysfonctions féminines sont d’origine psychologique, et depuis on n’a pas fait de recherche. Or dans ces 90% je suis persuadée qu’il y a des causes organiques qui n’ont pas été découvertes parce que pas étudiées. La sexologie n’est donc pas une panacée parce qu’elle va laisser des femmes sur la touche. Il faut traiter en multi-disciplinarité.

Du reste je préfère médecine sexuelle à sexologie. Mais comme en France il y a une grosse école Freudienne qui n’accepte pas les traitements, leur attitude retarde les choses.

 

C’est un alibi de dire “c’est dans la tête” pour ne pas rechercher plus loin.

 

Oui, on m’a dit “l’orgasme c’est dans la tête”. Je suis d’accord, mais une des gâchettes de l’orgasme c’est aussi le vagin, le clitoris. Envoyer une femme systématiquement chez le psy sans l’examiner c’est léger.

Il y a donc des causes physiques?

Oui, quand on ne sait pas on dit “c’est psychogène”, c’est le diagnostic d’élimination. À 90% c’est étrange! Je veux bien, mais qu’on prenne au moins la peine de le prouver, et qu’on prenne la peine d’étudier le clitoris de façon correcte de la même manière qu’on étudie le pénis. Vous n’imaginez pas un homme venir voir un sexologue pour des troubles d’érection et qu’il l’envoie chez un psychologue - Il y a son traitement! pourquoi ne pas traiter si on trouve quelque chose ?

Il y a une disparité de traitement! Je suis d’accord, il y a une grande intrication au niveau psychologique dans l’orgasme féminin: on dépend des relations interpersonnelles etc. Mais 90% de causes psychologiques ou psychogènes, ça me paraît énorme. Le dire sans science nouvelle depuis Master et Johnson’s ça me paraît à la limite du scandaleux.

 

Quelles sont vos recherches actuelles / futures?

 

Comme je n’ai pas d’argent, je n’ai pas le droit de travailler (sans assurance et sans l’avis du Comité des personnes). Je vais continuer à me battre sur d’autres terrains. J’espère convaincre un de ces quatre un universitaire à faire de la médecine sexuelle. Mais c’est toujours inconvenant, c’est toujours considéré comme quelque chose de pas convenable. J’ai regardé le livre scolaire de mon petit garçon, qui a des cours de SVT : je regarde l’homme, il a les testicules et le pénis, la femme elle, elle a une vague vulve, même pas les petites lèvres, et pas de clitoris. Le clitoris n’existe pas car c’est honteux.

 

Est-ce pour ça que vous avez publié votre livre?

 

Oui, et puis le livre n’est pas centré uniquement sur les recherches. C’est pour dire que l’université médicale était très andro-centrée. C’était pour dire que c’est une section de la société française qui n’est pas ouverte aux femmes. Si la moitié des femmes détenait les postes à responsabilité, aussi bien dans le Comité National d’Ethique Consultative ou dans les décisions d’universités, les choses seraient différentes - pas forcément mieux mais différentes. Moi, que les lois d’éthique aient été bloquées pour 4 ans, ça me met en rage. Le Comité National d’Ethique est à majorité masculine. C’est l’exemple type de patriarcat sociétal : ils vont encore interdire qu’on insémine les dames lesbiennes. On interdit la grossesse pour autrui. Même les partis de gauche sont très réactionnaires là-dessus. Donc les femmes vont en Inde ou en Angleterre... Ils sont en train de construire une prison éthique française et j’aimerais bien que les femmes aient leur mot à dire. Vous imaginez un comité féminin qui décide sur la prostate des hommes? Sur le sperme des hommes?

 

Quelles réactions avez-vous eues à votre livre?

 

Plutôt positives. ils sont très contents, ils rigolent. J’ai eu des réactions sympathiques. Au départ, quand j’ai commencé, ils se sont foutus de moi: « miss Point G », « le clitoris, et puis quoi encore ?», « c’est quoi ces conneries ? », etc. Et puis quand le livre est sorti, ils disent oui au fond... Et j’ai eu l’aide du professeur Israel Nisand, grand féministe qui fait beaucoup pour les femmes. C ‘est le seul patron féministe de France. Il se bat pour la reconnaissance du déni de grossesse. Il a empêché une jeune fille d’aller en prison en montrant qu’il y avait une pathologie sous-jacente. Il a fait beaucoup pour la prévention des IVG chez les jeunes filles, et j’ai réussi à le persuader de l’intérêt de cette recherche. Avec sa caution, je pense que les autres m’ont écoutée car il est un moteur de pensée. Il a créé le premier forum de bioéthique à Strasbourg, et il a fait salle comble.

Il ne faut pas prendre le peuple pour un imbécile, et surtout éviter d’avoir une oligarchie d’experts qui décident sur votre vie privée. Il faut éviter qu’il y ait de nouveaux directeurs de conscience qui nous guident. Le peuple n’est pas idiot. S’il y a un vrai débat de bon niveau, s’il y a un vrai échange, il peut se faire une idée. Il faut lui faire confiance sur ce sujet.

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