Interview Sophie Branly
Le mois du point G, une infographie, des sextoys spécialisés… tout dans votre site semble dire que le point G existe. Dans ce cas, la controverse est-elle justifiée ?
Oui, je pense que la controverse est aussi justifiée que l'information, pour une raison toute simple : le point G est une partie sensible de la vulve, on peut en parler, comme on parle du gland ou des testicules : ce sont des zones érogènes plus sensibles que d'autres chez certaines personnes: à chacune de le savoir et de vérifier si ce sont des zones qui peuvent ou non leur apporter plus de plaisir.
Comment définiriez-vous le point G : « la partie interne du clitoris » ? « la prostate féminine » ? « une zone d’innervation plus forte de la paroi uretro-vaginale » ? autre ?...
Je dirais tout simplement que c'est un zone bombée et légèrement granuleuse située à peu près à trois centimètres de l'entrée du vagin, grosse comme une pièce de 2 €.
Je préfère vous faire une réponse globale : il n'y a pas une seule partie du corps qui soit érogène si le cerveau est concentré ailleurs. J'ai du mal à dissocier l'un de l'autre, comme si nous pouvions avoir un corps sans tête ou inversement. On a tendance à vouloir disséquer la sexualité féminine pour enfin la découvrir, ce que je veux bien comprendre, mais cela reste un tout. Qui aurait l'idée saugrenue aujourd'hui de morceler la jouissance masculine, d'isoler ceux qui ont besoin d'une sollicitation de la prostate pour jouir, par exemple ?
Pensez-vous que tout le monde a un point G, ou qu’il s’acquiert avec la pratique sexuelle ?
Drôle de question ! Toutes les femmes ont une zone définie sous le nom de point G, qui est plus ou moins sensible selon les femmes. Certaines vont jusqu'à suivre des cours pour mieux développer cette sensibilité, ou pour devenir femmes fontaines. Je ne comprends pas qu'il puisse y avoir d'idée de performances ou de normes en matière de sexualité, je crois que plus une femme s'obligera a un résultat, moins elle prendra de plaisir, mais comme il n'y a pas de règles, peut-être aussi que certaines sont rassurées d'avoir appris une mécanique, laquelle les libère. Pourquoi pas, après tout...
Comment expliquez-vous la facilité avec laquelle l’opinion populaire a adopté l’expression « point G », alors que son existence est encore discutée scientifiquement ?
On peut discuter scientifiquement de beaucoup de zones érogènes de la femme, puisqu'elles ont été si peu étudiées jusqu'à ce jour, mais il est indéniable je pense que toutes les femmes ou cette légère protubérance dans le vagin, laquelle est plus ou moins sensible selon les unes et les autres, et selon leurs humeurs aussi.
Comment voyez-vous l’évolution de ce débat scientifique ? Quand et comment atteindra-t-il une conclusion?
Pour les raisons évoquées plus haut, je ne suis pas sûre de la pertinence du débat. On sait que certaines femmes jouissent d'un simple effleurement de peau, que certaines souffrent d'orgasmes à répétition qui handicapent leurs vies (je crois me souvenir que récemment la presse anglaise parlait d'une jeune femme qui avait jusqu'à 200 orgasmes par jour), et que d'autres passent leurs vies à atteindre ce qu'elles vivent comme un miracle. On sait que plus encore que chez l'homme, le cerveau est le principal moteur du plaisir féminin, et que le stress et l'idée de la performance ne font pas bon ménage avec l'orgasme. Cela me semble suffisant. Il y a bien d'autres choses plus intéressantes à étudier autour de la sexualité féminine que d'essayer de trouver des "boutons à enclencher", comme si c"tait une opération mécanique.
Pour Andrea Burri, de King’s College, la notion de « point G » et le besoin de le trouver, fait pression sur les femmes et les hommes alors que son existence est subjective, qu’en pensez-vous ?
Le fait d'avoir besoin de trouver une partie de son corps est inhibante. Une femme, comme un homme, connait son corps et son plaisir par la masturbation (solitaire ou a deux) et peut ainsi aller chercher son plaisir comme elle l'entend. Et si l'orgasme ne suit pas, il suivra une autre fois, quand l'esprit sera libre.
D’après ce que vous pouvez lire sur votre site, est-ce que « trouver son point G » est réellement une préoccupation des internautes ?
Le problème c'est que la presse fait un tel cas de la sexualité féminine, elle met une telle pression aux femmes qui ne sont pas comme ci ou comme ça (clitoridiennes, vaginales, femmes fontaines, multi-orgasmiques, ...) que oui, les internautes deviennent pré-occupés et nous cherchons à tout prix à les rassurer, à réintroduire l'idée que la sexualité ne nécessite pas un mode d'emploi, mais une disponibilité d'esprit et du désir.
Vous qui êtes au plus près des consommateurs, peut-on dire que le label « point G » constitue un argument de vente ?
Non, je ne pense pas. Mais les vibromasseurs conçus spécialement pour le point G ont quelques avantages : ils ont souvent une ergonomie plus sophistiquée qui permet des usages plus variés sur toutes les parties du corps. Par exemple certains ont une tête plate, qui permet de mieux caresser les seins, les grandes lèvres, etc.
Une incertitude scientifique plane sur le plaisir féminin, et la sexualité féminine en général (surtout comparé à celle des hommes). Odile Buisson porte pour responsable le machisme de la médecine et des universitaires (particulièrement en France) et le manque de financement et d’intérêt pour la recherche qu’il engendre. Etes-vous d’accord ?
Oui, je suis d'accord avec elle, mais j'ai l'impression que ce n'est pas que le machisme qui est en cause. Même s'il s'agit de recherches scientifiques, il me parait préférable d'être femme pour bien comprendre ce qu'il faut aller chercher, et ne pas avoir peur d'y mettre un peu du sien. J'ai souvent l'impression, quand j'entends le discours des femmes scientifiques françaises, qu'il y a comme une sorte de gêne à se pencher sur le sujet. Les anglo-saxonnes me paraissent plus libres et toutes les études intéressantes viennent du Canada et des US. Mais je reste optimiste, c'est une question de temps et on voit bien que les scientifiques françaises commencent doucement à vouloir prendre les choses en main, elles aussi.