La controverse des machines à voter

Perspectives

 

En guise de conclusion

Nous avons tenté de comprendre l objet "machines à voter", ainsi que de répertorier les acteurs de la controverse et leurs arguments (voir les fiches acteurs). Comme vous avez pu le constater, la controverse n'est pas monobloc et plusieurs questions sont sous jacentes. Si on s'y intéresse plus particulièrement et qu'on dégage de la dispute certains arguments, on peut répertorier quelques points d'achoppements particuliers :

Pour chaque point de controverse, nous aurions pu mener le même travail d'analyse que celui qui a été effectué pour l'aspect général de la controverse. En restant à un niveau général de l'analyse, nous avons souhaité proposer une brève analyse de la controverse, ainsi que quelques idées pour essayer de la dénouer.

 


 

Une évolution dans la composition du collectif...

Adaptation d'une représentation en deux axes, empruntée à l’ouvrage de Messieurs Callon, Lascoumes et Barthe Agir dans un monde incertain, essai sur la démocratie technique, édition Seuil

0. Dialogue entre les acteurs nul car pas de structuration du collectif
1. Publication du règlement technique et des données constructeurs 
2. Des collectifs anti machines se forment (en mai 2005: recul-démocratique), un dialogue entre acteurs du même bord se crée.
3. En réaction, le collectif pro-machine se structure, ce qui permet au collectif anti-machines de se développer d’avantage, de cibler ses critiques. Un dialogue inter acteurs s’amorce
4. La machine restant fermée, l’avancée sur l’axe horizontal stagne.


    Il nous semble qu’au cours de cette controverse, une nette progression a eu lieu le long de l’axe de la création d’identités sociales. Des collectifs anti-machines se sont formés et comme le Navycrawler le montre, ces collectifs sont en lien permanents entre eux (ordinateurs de vote), ils communiquent étroitement avec les acteurs de la société civile (informaticiens engagés, élus locaux etc.). D’autre part, les trois constructeurs font front pour démontrer l’utilité de leurs machines et la nécessité de préserver secret qui les entoure, ils sont en contact étroit avec les mairies. Il y a donc bien une composition approfondie d’un collectif pluriel autour de l’objet. 
    Le secret noue notre controverse et c’est ce qui explique une très légère progression sur l’axe de l’exploration des mondes possibles (le secret industriel ne pouvant être levé, on ne peut ouvrir la boîte noire). Les connaissances sur la machine restent donc faibles (le code source est toujours inaccessible pour le collectif anti-machine, l'impression d'un controle papier reste très floue). Dès lors la composition d’un monde commun (où la discussion et le dialogue permettront sans doute de parvenir à un point d’entente) n’est pas possible et cet espace de démocratie dialogique, qui permettrait de trouver un accord, n’est pas encore atteint.
    « L’exploration d’un monde commun » (i.e la progression sur l'axe des connaissances) n’est possible que par le dialogue. C'est pour cela qui nous avons intégré au site un forum (par définition hybride...). Nous souhaiterions que les acteurs puissent s’y entendre pour ouvrir ensemble cette boîte noire.

 

 


 

 

La controverse américaine & le Republicanisme moderne

La controverse autour l’intégrité de machines à voter électronique s’intensifie aux États-Unis à cause d’un récent contexte géopolitique caractérisé par une tendance où « Soccer moms and NASCAR dads come and go, but swing states are always in fashion ».  La dernière décennie constate l’émergence de Floride et Ohio comme « swing states », premièrement, où les démographies électorales se rapprochent vers une marge étroite entre les soutiens républicains et démocratiques, et deuxièmement dont les collèges électoraux peuvent néanmoins déterminer l’élu présidentiel contre le résultat national de votes mesuré par le système de suffrage universel.  La controverse se manifeste d'ailleurs à des élections hors de la concurrence présidentielle.   Les acteurs, du côté du camp favorisant la machine de vote, sont souvent impliqués dans les activités suspicieuses – parfois criminelles – entre le parti républicain et les fabricants des machines de vote, alors que les critiques de la machine à voter se trouvent dans les champs plus académiques et indépendants sans une base fortement commerciale et politique.  

En supportant un climat de pseudoprogrès, mais de vraie rentabilité et impact politique, la controverse de la machine à voter aux États-Unis se comporte comme une véritable énigme.  Peut-être la loi d’HAVA pourrait-elle réussir à mettre fin à la confusion visible telle que les butterfly ballots. Néanmoins, l’objet, ou le champ de contestations s’est déplacé désormais en l’immatériel.   L’implication est donc que étant donné leurs positions de ne pouvoir poursuivre que les investigations mais pas d’intervention dans la certification et le scrutin du fonctionnement actuel des machines, les organisations militantes et les chercheurs ne peuvent jamais témoigner les fraudes, s’il y, en temps réel ou rattraper toutes les évidences nécessaires. 

La mise en application des machines électroniques s’appuie, comme démontre le bilan, sur un réseau politique-commercial que maintient l’industrie pour but de dépasser biens des scrutins bipartisans et publics, pour pouvoir persuader les officiels électoraux, ou pour contraindre les investigations.  D’une manière cette démarche se produit donc à deux paysages qui s’interpénètrent : l’un de la technique de représentation de la machine à voter et l’autre de la stratégie à mobiliser les ressources à l’échelle pertinente pour intervenir dans le système/processus institutionnel déjà en place, et à minimiser les culpabilités aux différents niveaux. Durant le processus, être condamné pour fraudes ne fait que partie de la pratique dans cette industrie.  Tel contexte nous suggère une dynamique de pouvoir similaire à celle prédite par sociologues Paul DiMaggio et Walter Powell : que le pouvoir de nos jours s’exerce comme celui « de poser prémisses, de définir les normes et les standards pour diriger et donner des formes aux comportements » et comme celui capable de l’« intervention critique ». 

Ici, le pouvoir dont il est une question en sein de cette controverse américaine soit, plus ou moins, celui relié à la vitesse. Car à travers les « recomptages » impossibles, les activités criminelles et les investigations, l’on constate plutôt une dimension sous-jacente assez pertinente : l’économie du temps.  Sous l’angle du temps, la controverse se composerait de fait non des débats ou des « concurrents » d’intérêt spécifique, mais plutôt des incidents et investigations se formant en une sorte de processus comme « arrête-moi si tu peux ».  Les enquêtes entreprises par les organisations sur les activités des emplois de fabricants et sur les incidents ont eu lieu introduisent peu à peu des références connectées pour contester les machines de vote.  Mais ce qui ne cessait avoir lieu, c’était que les fabricants osaient falsifier la certification, soudoyer les officiels si nécessaire pour que les machines eussent pu être s’installées à l’heure de l’élection, et même intervenir dans les comptages des votes, car les contestations et les procès durent toujours plus loin que la courte période de contestation à la suite de l’élection. Les enquêtes a posteriori ne changent pas les élus impliqués – soit-il Chuck Hagel (1998), George W Bush (2004), ou voire Verns Buchanan (2006).  En là, la reproduction républicaine des élites politiques semble aussi lier à ce mouvement de machines à voter. En bref, malgré sa gravité, cette controverse se produit en quelque sorte dans une situation où les fabricants de machines et les officiels agissants sont toujours les déterminants de chaque cas soupçonné, et où les militants et les équipes restent toujours en retard.  Les études expertes aboutissent à des nouvelles propositions de loi, comme l’une par Rush Holt à renforcer l’impression de bulletins.  Quelques organismes certificateurs s’interdisent de fonctionner. Toutefois, les États peuvent seulement se résoudrent aux mêmes fabricants, de sorte que la modification reste toujours contestable, la fiabilité précaire, mais la rentabilité garantie ($28 millions en Floride cette fois-ci). Et la raison en est claire :  l’industrie a agi quelques années avant les États pour établir une norme de remplaçabilité des machines, et surtout pour s’habituer aux procédures litigieuses.

Enfin, en ce qui concerne la dynamique de cette controverse à propos l’histoire contemporaine des États-Unis, il s’agit d’un terrain par excellence qui reflète un principale logique interne du Républicanisme moderne américain.  Tout d’abord, dans la controverse autour la machine à voter, la frontière se compose à la fois du paysage microphysique (la boîte noire) à cause de la miniaturisation des composants et le paysage techno-politique où s’entrecroisent le premier et les patriarches du capitalisme avancé (républicains modernes, mafias et PDGs).  Une controverse qui se construit autour et se reproduit par ces deux environnements imbriqués donne chaque dimension encore plus d’épaisseurs – sans des limites internes ou externes.   Cela correspond à l’atmosphère générale ou se fonctionne le politique néo-conservatrice : c’est à dire, un politique véritablement fondé sur l’incertitude, au sens d’être toujours s’engagé en état de déplacements vers un espace inconnu et y combatte – soit en domaines scientifiques ou militaires. 

 

 


 

 

Quelques pistes

La controverse sur les machines à voter est de taille car elle touche au fondement de notre système politique : le suffrage universel. Il serait logique qu'on lui accorde une importance réelle et officielle. Pour que la controverse puisse avancer, nous proposons quelques pistes, plus ou moins ambitieuses...

 
  • Tout d'abord, il semblerait très bénéfique à la controverse de réunir physiquement les acteurs de la controverse lors d’un forum ouvert au public et retransmis sur internet (pour qu'un maximum de citoyen y ait accès), dans l'objectif de permettre à tous les acteurs de s'exprimer sur un pied d'égalité et de présenter leurs arguments.
Lors de notre travail de recherche nous avons eu des difficultés à contacter certains acteurs (ministère de l'intérieur, bureau véritas, certains constructeurs, M. Muller fondateur d'Ordinateur-de-vote...)
D'ici à ce qu'une ville se porte volontaire pour organiser une telle rencontre, notre forum pourrait peut-être permettre l'expression des acteurs en un lieu relativement neutre.

 

  • En reprennant le schéma proposé par M. Calon et alii, il paraît évident que la discussion actuellement est bloquée par un manque de transparence important sur l'objet. Pour cela, nous pensons que la publication volontaire par les industriels des rapports d’analyse des bureaux d’audit (sans même la publication des codes) est indispensable. Ce serait un geste qui permettrait de lever de nombreuses crispations.

 

  • Comme nous l'avons dit, nous considérons cette polémique comme grâve car touchant au suffrage universel. En conséquence, le peuple français doit décider ; dans le cas contraire, une partie de sa souveraineté est remise en question.

    Pour cela, nous pensons qu'il serait souhaitable de lancer un grand débat national, avec des conférences de citoyens avec intervention des acteurs (organisées par exemple par la conférence nationale de débat public).

    Autant de questions que possible doivent être posées et des réponses précises doivent être apportées :

    -pourquoi utiliser les machines à voter ?

    -quelle perception des citoyens ? des élus ?

    -quelles caractéristiques techniques précises sont nécessaires pour qu'elles soient acceptables ? (bulletins papiers, clés, codes, écran tactile, sécurité...)

    -quelles disposition juridiques sont nécessaires ?
-...
Une synthèse des avis devrait être réalisée. Sur la base du compte rendu du débat national, le Parlement doit légifèrer (de telle sorte que les décisions ne soient pas laissées à l’exécutif).

Ceci est peut-être possible, puisque ce genre d'initiative est déterminée par la loi organique 2003-705 qui prévoit que "L'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale peut soumettre à référendum local tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité."

Toutes ces propositions peuvent bien sûr faire l'objet de critiques (sur le forum)... L'important est que la discussion continue !

 

 

 

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