Quelles
conséquences pour le statut de la surdité ?
La
question de la systématisation du dépistage n’est pas sans soulever des
interrogations quant au statut de la surdité dans notre pays.
Ainsi la Fédération Nationale des
Sourds de France (FNSF) s’est inquiétée de la proposition de
systématisation du dépistage par la HAS. Voici en quels termes elle a
décidé de saisir le CCNE à
son propos:
« Peut-on ignorer la tendance qui s’affirme mondialement de
ne plus saisir le handicap sous le seul angle médical ? La surdité
est-elle à considérer comme un état, un déficit sensoriel ou comme une
maladie ? La parole est-elle le but de l’éducation des sourds ou un
moyen parmi d’autres ? »
La
surdité : une maladie à traiter ?
En effet, l’instauration d’un dépistage
vient questionner notre rapport à la surdité.
Actuellement seulement cinq pathologies
sont dépistées à la naissance : la phénylcétonurie, l’hypothyroïdie
congénitale, l’hyperplasie des surrénales, la mucoviscidose et la
drépanocytose. Il s’agit de cinq affections graves. En comparaison la
surdité ne met pas en danger la vie ou même le bien être des enfants.
Pour de nombreux sourds, la mise en place du dépistage risquerait
cependant de créer la confusion dans l’esprit des parents et de les
amener à considérer la surdité de leur enfant comme une maladie grave.
En effet, plus de 90% des parents d’enfants sourds sont entendants :
ils n’ont pas fait eux même l’expérience de la surdité et sont
particulièrement soumis aux préjugés.
Ce danger est repris dans le
rapport
du CCNE qui rappelle que les populations sourdes ont toujours
souffert d’un manque de considération sur leur situation par les
populations entendantes. Longtemps on a tenu les personnes sourdes pour
des déficients intellectuels et on a tenté de les forcer à entendre et
à s’exprimer à l’oral.
Aujourd'hui la surdité continue à être
perçue par beaucoup comme un frein au développement personnel et
intellectuel de l’enfant. Pourtant la communauté sourde affirme avoir
une qualité de vie sociale et intellectuelle comparable en bien des
points à celle des autres membres de la société.
Elle revendique également une culture
propre, issue d’une langue indépendante, la LSF (langue des signes
française). La LSF permet de restituer des idées, des sentiments tout
aussi complexes que la langue orale, et en ce sens elle permet de
communiquer tout autant qu’elle.
Le dépistage, en revanche, peut
véhiculer l’idée que la surdité est une maladie, un déficit qu’il faut
réparer et que le traitement réside uniquement dans la restitution, le
plus possible, de l’audition. Les parents sont ainsi amenés à croire
qu’il faut intervenir le plus vite possible et que le développement
cognitif et psychosocial de l’enfant dépend de l’apprentissage oral.
Souvent, à cause de la focalisation des
médecins sur la forme orale de la communication, les parents refusent
la condition sourde de leur enfant. Le dépistage peut donner aux
parents l’illusion que le traitement par l’appareillage ou
l’implantation permettra de « guérir la surdité » de leur enfant. Il
peut alors se trouver maintenu à l’écart des institutions et des
associations susceptibles de favoriser son acquisition de la langue des
signes, au risque comme le souligne le CCNE, « de laisser durablement
en friche ses possibilités de communication. ». En effet, aux yeux de
la communauté sourde et d’associations comme RAMSES l’enfant appareillé
reste un enfant sourd. On ne « guérit » jamais de la surdité. L’enfant
ne maîtrisera sans doute jamais le langage oral comme un enfant normal
: c’est pourquoi il est capital de lui fournir, dès son plus jeune âge,
un mode alternatif de communication avec la LSF, par exemple.
Enfin il ne faut pas négliger la
dimension symbolique d’une systématisation du dépistage. La communauté
sourde reste aujourd’hui traumatisée par une longue histoire de mépris
voire de rejet à son encontre. Elle aspire au respect de sa condition
particulière et à la reconnaissance de son identité et de sa culture.
Le dépistage envoie plutôt le signal inverse, expliquant une certaine
crispation des acteurs. C’est aussi pourquoi le CCNE, dans son rapport,
insiste sur la nécessité d’intégrer le plus possible les personnes
sourdes dans les processus de décisions sanitaires.
La
surdité, une dimension handicapante à considérer
Toutefois si le fait que la surdité
puisse constituer un handicap en soi est contestable, on ne peut pas
nier le fait qu’elle entraîne une situation de handicap pour les
enfants. Elle les empêche de communiquer avec la plupart des autres
individus, parfois leur famille, et elle les empêche d’accéder à
l’ensemble des univers musicaux.
C’est pourquoi on peut également penser,
tout comme le CCNE, que « l’aide auditive et l’apprentissage du langage
des signes sont complémentaires et méritent d’être combinés ». Dès lors
un dépistage précoce se justifie pour améliorer l’efficacité de
l’appareillage.
Une solution « compromis » pourrait être un dépistage à trois mois.