L'IMAGERIE CÉRÉBRALE DANS LES TRIBUNAUX, L'ALLIÉE D'UN MEILLEUR JUGEMENT ?

ÉPILOGUE

Un débat actif sur la scène mondiale

Cette controverse ne cesse de prendre de l’ampleur, sa mondialisation avançant de paire avec sa vulgarisation. La question ne cesse de se répandre dans tous les pays et d’animer débats et publications, en particuliers aux Etats-Unis. Ainsi, l’essor d’articles à ce propos témoigne de l’importance naissante de cette controverse : de 70 articles publiés de 1990 à 2000, on est passé à 350 de 2000 à 2008. Le sujet des applications juridiques des neurosciences dans lesquelles elle s’inscrit est même devenu une thématique de recherche à part entière dénommée « neurolaw » (le « neurodroit »).

En France, bien que ce sujet soit loin de faire consensus, on assiste également à la multiplication des articles. Les publications sur la controverse pullulent dans les médias, aussi bien profanes (article du 20 mars sur le site rue 89) que juridiques (appel à article du 27 février 2011 du comparative Law journal of the Pacifique sur le thème « L’impact des neurosciences sur les disciplines juridiques ») ou de vulgarisation scientifique (entretient datant de mars 2011 intitulé « Quelle place peut on accorder aux neurosciences dans les procédures judiciaires » dans « Dossier pour la science », dossier spécial consacré à l'imagerie cérébrale à l'occasion de la Semaine du cerveau dans La Recherche en mars 2011).

Une controverse alimentée par l’évolution constante des techniques

Notre controverse a encore une longue vie devant elle ! En effet, il est important de voir que l’imagerie cérébrale, loin d’être une science figée promet encore de nombreuses découvertes. L’amélioration et le perfectionnement des techniques auront irrémédiablement des conséquences sur l’évolution du débat qui anime notre réflexion.

Dès 2009, les scientifiques ont commencé à travailler sur une nouvelle technique d’imagerie cérébrale appelée « diffusion spectrum imaging » permettant de cartographier le cerveau avec une fidélité plus grande que l‘IRMf. Contrairement à cette dernière technique, qui observe les mouvements du sang de manière indirecte, l’« imagerie par diffusion spectrale » se concentre sur les particules d’eau dans la matière grise et représente ainsi le gradient de ces molécules, ce qui permet d’imaginer les trajectoires des neurones actifs. Grâce à cette nouvelle avancée, il est possible voir quels sont les neurones actifs et la direction de la propagation du signal en temps réel.

Pas à pas, nous avançons progressivement vers une compréhension plus globale de cet organe complexe, dont la plasticité rend l’interprétation et la généralisation difficiles. Face à un foisonnement d’innovations, il est peu aisé de mesurer la portée de telles découvertes. Mais une chose est sûre, le progrès est un vecteur d’accélération et de multiplication des terrains inconnus à découvrir. Que puissent en dire les pessimistes, les rouages de notre cerveau son chaque jour un peu moins mystérieux.

Les neurosciences en justice redéfiniront-elles le procès de demain ?

S’appuyant sur des acquis techniques indiscutables, les neurosciences et en particulier l’imagerie cérébrale connaissent un essor important et investissent de plus en plus des espaces nouveaux comme le montre la question de l’imagerie cérébrale au sein des tribunaux qui souligne des dynamiques sociétales générales.

Ce débat illustre l’interpénétration de plus en plus grande entre science et société, deux domaines de moins en moins isolés dans une tour d’ivoire. Les neurosciences sont intrinsèquement liées à des enjeux politiques et juridiques, qui révèlent aussi le danger de considérer la science comme productrice de vérités infaillibles. Le vécu « profane » de cette controverse permet aussi de pointer l’écart entre la formation d’un savoir scientifique et son acceptation par le public.

Cette controverse met également en évidence les peurs et les attentes de nos sociétés contemporaines : face à la rapidité des découvertes, la vision de l’Homme comme une « machine neuronale », s’intègre de plus en plus chez le plus grand nombre et attire par son déterminisme absolu autant qu’elle effraie par son caractère inhumain. De fait, la modernisation des techniques de visualisation accompagne la production d’une nouvelle conception de l’homme et de ses agissements. Cependant, sortis de la sphère scientifique et médicale, ces objets perdent une partie de leur signification car ils sont réservés à des experts qui sont au fait de leurs limites. Les scanners et autres neuro-images prennent une autre dimension dans un cadre judiciaire ou politique. Aveuglés par les potentialités apparentes qu’elles semblent offrir, on peut être amené à oublier qu’elles proviennent d’une science en voie de consolidation. Les politiques ne peuvent plus compter sur la science comme puits d’arguments inattaquables, mais doivent désormais considérer ses imperfections et dialoguer avec les experts pour prendre la décision la plus juste.

A l’instar des modélisations économiques ou des cartographies géographiques, les images produites par IRM ou ECC restent des images de synthèses issues d’un travail de traitement informatique. Ces modèles sont de représentations stylisées d’une réalité qui dépendent du travail du scientifique, du logiciel utilisé et de l’interprétation qui en découle.

Enfin, on peut se demander si cette étude ne met pas en évidence une perméabilité croissante des sciences. Paradoxalement, même si les sciences dites « dures » se révèlent incertaines et mouvantes, une nouvelle conception du procès, tendant vers un idéal d’objectivité (au lieu d’une grande marge laissée à la subjectivité du juge et des jurés) se dégage.

diffusion spectrum imaging

Diffusion spectrum imaging, les lignes bleues
représentent les fibres de neurones reliant
les différentes parties du cerveau.