L'IMAGERIE CÉRÉBRALE DANS LES TRIBUNAUX, L'ALLIÉE D'UN MEILLEUR JUGEMENT ?

HISTORIQUE

VERT : histoire des neurosciences

BLEU : mutations politiques et sociales engendrées

JAUNE : évolution judiciaire de la conception de la responsabilité pénale.

Apparition de la phrénologie

Le Code pénal français pose les premiers principes
de l’irresponsabilité pénale.

« Loi des aliénés » : institutionnalisation
des établissements psychiatriques

Localisation cérébrale : Paul Broca détermine le cortex
préfrontal gauche comme lieu du langage

Visualisation des neurones grâce à la coloration
argentique de Golgi sur des coupes de cerveau

Circulaire Chaumié sur introduction
de l’examen psychiatrique dans les tribunaux

le neurologue allemand Hans Berger
réalise le 1er électro-encéphalogramme chez l’homme.

Découverte du phénomène de résonance magnétique
nucléaire (RMN) sur lequel se base l’IRM.

Le centre de recherche médicale du ministère américain
de la défense étudie simultanément les aspects
psychiatriques et anatomiques des vétérans de la guerre du Vietnam.
Cette démarche ouvre la révolution cognitiviste.

Stephen Kuffler ouvre le premier département
de neurobiologie à Harvard.

Création de la première société des neurosciences aux USA
(Society for Neurosciences)

1ere image d’IRM produite par Paul Laubertur

1ere tomographie par émission de positrons (TEP)

1ere société des neurosciences en France

1ere IRMf réalisée par Ogawa, John Belliveau, Pierre Bandettini.

Le code Pénal statut que « n’est pas pénalement responsable la personne
atteinte aux moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique
ayant aboli/ou altéré son discernement » (article 122.1)

Scandale de l’Affaire dite d’Outreau

Tentative de «pathologisation» de la turbulence des enfants

Éclatement au grand jour des limites de l’expertise psychiatrique.
Rapport parlementaire de la commission d’enquête chargée
de chercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans
l’affaire d’Outreau.

Loi sur la rétention de sûreté et déclaration de l’irresponsabilité pénale
pour cause de trouble mental. Une importance nouvelleest donnée
à l’évaluation pluridisciplinaire où pourraient s’insérer les neurosciences

Audition publique parlementaire sur les sciences du cerveau
organisée par l’OPECST intitulée « Exploration du cerveau,
neurosciences : avancées scientifiques et enjeux éthiques »

Débat des Etats généraux de la bioéthique portant sur
les neurosciences (île de la Réunion). « Neurosciences et
imagerie cérébrale: quelles finalités et quels enjeux éthiques »

Séminaire du CAS. « Perspectives scientifiques et légales
sur l’utilisation des sciences du cerveau dans le cadre
des procédures judiciaires » / note de veille 128 publiée
en mars et note de veille 159 en décembre.

Un titre « neurosciences et éthique » est introduit
dans la nouvelle loi bioéthique après la première lecture
du texte de loi effectuée par l’Assemblée Nationale.

Texte modifié par le Sénat

Deuxième lecture en cours à l’Assemblée

cerveau cerveau cerveau cerveau

Avant de pouvoir accéder à «la boîte noire» qu’est notre cerveau, les scientifiques se sont contentés «du langage du crâne». Le médecin viennois Franz-Joseph Gall (1758-1828) prétendait qu'il y avait 26 "organes" sur la surface du cerveau, responsables des facultés mentales et du caractère des individus. La phrénologie (1808), présentée aujourd’hui comme une « pseudo science », considère que la taille des « organes du cerveau » est proportionnelle à l’intensité de leur fonctionnement.

De nos jours, alors que les techniques d’imagerie cérébrale font « intrusion » dans la justice, certains sont prêts à affirmer que nous en sommes revenus au point de départ... Qu’en est-il vraiment?

Droit et psychologie cognitive ont toujours été entrelacées. Dès le début du XIXe siècle l’importance de l’état « cérébral » d’un individu au moment du crime devient primordial pour la justice. En effet, peu de temps après l’invention de la phrénologie, le Code pénal de 1810 statue avec l’article 64 qu’ « il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu est en état de démence au moment des faits ». Cependant, il faut attendre presque un siècle pour que la justice en vienne à se fier aux experts pour statuer sur la santé mentale d’un accusé. La psychiatrie est la première science à être acceptée pour éclairer le juge sur la responsabilité de l’accusé. La Circulaire Chaumié (1905), marquant l’introduction de l’examen psychiatrique dans les tribunaux pour déceler d’éventuelles anomalies mentales en mesure d’atténuer la responsabilité de l’accusé, mène en 1994 à l’article 122.1 du Code pénal. Dans cet article, « n’est pas pénalement responsable la personne atteinte aux moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli/ou altéré son discernement ».

Pour donner un tel diagnostic l’unique aveu du psychiatre est-il réellement suffisant ? Les neurosciences, apparues dans les années 50 lors de la révolution cognitiviste, englobant diverses disciplines, de la biologie à la psychiatrie, ont pour objectif est de relier conceptions morphologiques et comportementales, semblent vouée à répondre aux exigences croissantes d’objectivité pour la résolution des affaires judiciaires. Le prouvent les tensions toujours plus fortes exercées par la société et les médias sur le juge.

En effet, en 2005, le scandale de l’affaire d’Outreau conduit à la rédaction en Juin 2006 d’un rapport parlementaire d’enquête sur les causes des dysfonctionnements de la justice dans cette affaire. Le retentissement médiatique de cet esclandre à pour conséquences la mise en lumière des limites de l’expertise psychiatrique. Les neurosciences, un outils d'objectivation de cette expertise en crise ?

Le débat actuel sur l’utilisation des neurosciences s’inscrit dans une longue lignée de découvertes biologiques, technologiques et psychologiques sur le fonctionnement du cerveau humain. En effet, tout au long du XXe siècle, poussée par la vague de recherche en physique nucléaire et la complexification des modèles mathématiques, l’imagerie cérébrale permet d’approfondir notre connaissance du cerveau humain. Dès 1929, le neurologue allemand Hans Berger réalise le premier électro-encéphalogramme chez l’homme et moins d’un demi siècle plus tard les premières images d’IRM (1973) et de tomographie par émission de positron (1975) sont produites. Ces techniques complémentaires permettent respectivement d’observer la morphologie du cerveau et son activité à un instant donné. Désormais, l’IRMf (apparue en 1992) se présente comme la dernière méthode de pointe, non invasive qui permet d’observer avec une haute résolution spatiale le cerveau en action.

Ces nouveaux savoirs acquis grâce à l’imagerie cérébrale couplée aux méthodes de la psychologie cognitive et expérimentale, viennent bouleverser nos conception de la responsabilité et du libre arbitre. La justice peut-elle rester indifférente à ces évolutions? À quoi peuvent concrètement servir les neurosciences dans les tribunaux?

Peuvent-elles être une réponse à la prévention de la dangerosité? En 2005, l’INSERM publie une expertise collective sur « le trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent». À y regarder de plus près cette initiative pourrait s’apparenter à une tentative de «pathologisation» de la turbulence chez l’enfant dans le but de prévenir la dangerosité à l’âge adulte.

De plus, la loi de février 2008 sur la rétention de sûreté et la déclaration de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, rend indispensable une expertise scientifique de pointe face à des sujets aussi sensibles.

En France, si aucun procès faisant intervenir l’imagerie cérébrale n’a encore eu lieux, tout laisse à penser qu’il n’en sera plus de même pour longtemps. En effet, le législateur et nos dirigeants se sont saisi de cette question comme en témoignent l’audition publique parlementaire de mars 2008 et la tenu des Etats généraux de la bioéthique l’année suivante en vue de la révision de la loi bioéthique. Ainsi, en trois ans notre controverse a pris un nouveau souffle en France. Alors qu’en 2009, les conseillers du Premier Ministres organisent une table ronde spécialement dédiée à notre débat, au début de l’année 2011, le législateur entérine l’entrée de l’imagerie cérébrale dans le champ du droit. La nouvelle loi bioéthique portant un titre « neurosciences et éthique »: Les techniques d’imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d’expertises judiciaires.»

Et après ? La suite de l’histoire est actuellement en train de s’écrire.