Voici une synthèse du Rapport Nutt que nous avons rédigée. La parution en 2009 de ce rapport fait partie des points chauds de notre controverse.

 

Le professeur David Nutt, alors président du Conseil gouvernemental sur l'abus des drogues (ACMD), publie en 2009 un rapport pour le Centre d'Etudes sur le Crime et la Justice de l'Université de King's College.

Dans ce rapport, il revient sur l'évolution du classement du cannabis par la loi britannique en 2007. En 2007, le Ministère de l'Intérieur a demandé au Conseil Gouvernemental sur l'abus des drogues (ACMD) de revoir le statut du cannabis, en raison d'une préoccupation générale du public concernant les effets potentiels sur la santé mentale de l'usage du cannabis.
La loi britannique classe les drogues en 3 catégories :
A : les drogues dures comme la cocaïne et l'héroïne
B : les drogues douces comme les amphétamines et le cannabis
C : les stéroïdes, les tranquillisants, les antibiotiques. En 2007, le cannabis est passé de la catégorie B à la catégorie C.

 

En 2008, David Nutt avait déjà publié un rapport avec l'ACMD, sur lequel il revient longuement dans son rapport de 2009. Dans ce premier rapport, ils avaient estimé que les dommages causés par le cannabis n'étaient pas aussi sérieux que ceux des drogues de catégorie B, et qu'il devait donc rester dans la catégorie C. Concernant ce dernier point, David Nutt précise que, certes, les fumeurs de cannabis ont 2,6 fois plus de chances d'avoir des effets psychotiques que les non fumeurs, mais que si l'on compare cela au fait que les fumeurs de tabac ont 20 fois plus de chances d'avoir un cancer des poumons que les non-fumeurs, le risque pour les fumeurs de cannabis d'avoir une maladie psychotique est relativement faible.
Par ailleurs, il souligne un paradoxe : sur les trente dernières années, la schizophrénie semble disparaître, alors que l'usage du cannabis a augmenté. Ainsi, on ne peut pas dresser un lien évident de cause à effet entre les deux.

 

David Nutt traite longuement de la question de la perception par le public. En effet, selon lui, la classification qui est faite par le Gouvernement est influencée par l'opinion du public. Ainsi, après le changement de catégorie du cannabis, le Gouvernement a mené en 2007 une consultation du public. Il en était ressortir que 43,5% des personnes interrogées voulaient que le cannabis reste en catégorie C, alors que seulement 18,9% voulaient qu'il revienne en catégorie B.

David Nutt souligne qu'au niveau gouvernemental, le principe précaution est régulièrement invoqué dans les débats. Ainsi, si on voulait l'appliquer totalement dans le cas des drogues, on devrait toutes les mettre dans la catégorie A. En effet, il est impossible d'évaluer les méfaits du cannabis sur la vie entière d'une population, et l'on ne pourra jamais savoir si, à un moment donné, une drogue est davantage susceptible causer des dommages que dans le passé. Concernant la dissuasion, selon David Nutt on ne peut pas affirmer qu'elle ait un impact sur l'usage des drogues. Le contraire pourrait être vrai : en voyant qu'une drogue est classée en catégorie A, les gens pourraient se dire « c'est intéressant, elle est en A plutôt qu'en B ou en C, pourquoi ne pas l'essayer ? ».

Pour évaluer les méfaits causés par une drogue, l'équipe du ACMD dont fait partie David Nutt est partie de neuf paramètres, à la fois sur le plan physique, sur le plan social, et sur la plan de la dépendance :

 

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Dans ce rapport de 2007, l'équipe de David Nutt dresse, à partir de ces paramètres, un classement des substances légales et illégales, selon le degré de risque pour l'utilisateur. Ainsi, alors que l'acool est au cinquième rang, le tabac est classé neuvième et le cannabis est classé quatorzième.

 

Schma_Nutt.gif

 

Un point intéressant : pour Nutt, il est intéressant de classer une drogue lorsque l'on compare ses méfaits à ceux causés par d'autres substances. C'est pourquoi il a intégré l'alcool dans son classement («  I believe that using analogies with other harmful activities helps us engage in appropriate debate about relative harms of drug »). Selon lui, la frontière entre le tabac/l'acool (« non drogues ») et les drogues est une frontière artificielle. A ce propos, il rapport une conversation qu'il a eu à plusieurs reprises, notamment avec des hommes politiques :

« MP: ‘You can’t compare harms from a legal activity with an illegal one.’
Professor Nutt: ‘Why not?’
MP: ‘Because one’s illegal.’
Professor Nutt: ‘Why is it illegal?’
MP: ‘Because it’s harmful.’
Professor Nutt: ‘Don’t we need to compare harms to determine if it should be illegal?’
MP: ‘You can’t compare harms from a legal activity with an illegal one.’ repeats … »

Or, David Nutt dit qu'il a été surpris de voir combien de personnes avaient ce raisonnement pourtant absurde, qu'il s'agisse d'hommes politiques, de scientifiques ou d'individus lambda.

 

David Nutt conclut en soulignant la nécessité de s'interroger sur la classification : quelles sont les frontières entre les catégories A,B et C de la législation ? Il serait plus logique de trouver des critères de mesure absolus, qui permettent de justifier que telle drogue est dans telle catégorie. « One thing’s for sure: at present, experts and politicians don’t agree, which is why I think the public debate needs to begin ». Si selon Nutt, les scientifiques gagnent sur le plan intellectuel, ce ne sont en revanche pas eux qui gagnent quant à la désicion en termes de classification. Or, ces difficultés à tomber d'accord continueront tant qu'ils ne parleront pas le même langage, c'est-à-dire tant qu'ils n'évalueront pas les méfaits en utilisant les mêmes mesures relatives.

Enfin, il fait remarquer qu'il serait intéressant de regarder quels sont les effets produits par un changement de catégorie. Concernant le cannabis, il y a eu une récente baisse d'utilisation, mais on ne sait pas si cela a un lien avec le changement de catégorie du cannabis, et si la classification a un impact sur le désir des individus de consommer une drogue.

 

Le texte du rapport est disponible à cette adresse : http://www.crimeandjustice.org.uk/opus1714/Estimating_drug_harms.pdf



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