Plusieurs propositions de loi incluant un dispositif de castration chimique obligatoire avaient déjà été déposées avant 2009, mais ils n’étaient jamais parvenus au stade de la discussion parlementaire et a fortiori ils n’étaient pas passés au vote. Ils étaient l’œuvre, en 2005 et en 2007, du député-médecin UMP Bernard Debré. Ces propositions visaient à rendre obligatoire le traitement hormonal pour tous les auteurs de viols, pendant leur peine et après la fin de leur incarcération. Le traitement hormonal pouvait déjà être prescrit dans le cadre de l’injonction de soins, mais en aucun cas le refus du détenu ne pouvait entrainer de sanction. Citation Debré : « Voici qu'un nouveau crime sexuel vient d'être commis par un récidiviste. La France s'en est émue, la droite et la gauche réclament une nouvelle loi, elle est prête depuis plusieurs années, que ne l'a-t-on discutée et votée ? Ce crime aurait peut-être été évité ! » C’est seulement avec les faits divers de 2009, notamment le viol et le meurtre de Marie-Christine Hodeau, et l’émoi qu’ils ont provoqué dans l’opinion publique, que le gouvernement a décidé d’inscrire à l’ordre du jour l’introduction d’un traitement hormonal obligatoire. Le Conseil Constitutionnel ayant censuré partiellement le projet de loi de 2008 instaurant la rétention de sureté, le gouvernement a créé pour le remplacer, et se mettre en conformité avec la décision du Conseil, le projet de loi « tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle ». Il en a profité, les faits de récidive ayant fait la une des médias entre temps, pour inscrire dans ce nouveau projet la castration chimique obligatoire. Contrairement aux propositions de Bernard Debré, ce projet de concerne uniquement les auteurs d’agressions sexuelles sur les mineurs de moins de 15 ans, et non plus l’ensemble des auteurs de viols.
Le projet de loi initialement présenté par le gouvernement
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Le mot « obligatoire », s’il est souvent utilisé dans les débats parlementaires, est impropre. Le texte initial prévoit en effet que le traitement repose sur le consentement de l’individu qui a purgé sa peine pour pédophilie. Mais sans ce consentement, ou s’il décide en cours de traitement de mettre fin à celui-ci, l’individu concerné s’expose, selon sa situation, au retrait de ses réductions de peine, à la réincarcération ou au placement en rétention de sûreté. Autrement dit, si l’individu ne sera jamais contraint de force à prendre un traitement, son refus pourra conduire à prolonger sa privation de liberté. Dans le projet initial, présenté par la Garde des Sceaux d’alors Michèle Alliot-Marie, le médecin traitant, chargé de prescrire et de suivre l’administration du traitement, rend compte impérativement à un médecin coordonnateur, lequel a l’obligation d’informer les juges d’application des peines de toute interruption ou contournement du traitement. Le médecin coordonnateur est ainsi soumis à l’obligation d’informer le juge de l’exécution de la mesure, et non du protocole médical suivi, qui relève du médecin traitant.
Les débats parlementaires
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Il faut noter l’existence d’un consensus dans la classe politique autour de la nécessité d’aggraver les sanctions en cas de récidive, ainsi qu’un consensus sur la nécessité d’utiliser le traitement hormonal pour traiter les délinquants sexuels. La question du traitement à privilégier est finalement très peu évoquée dans les discussions et les textes parlementaires. Le mot « traitement hormonal » est utilisé, sans plus de distinction entre le traitement par comprimés et le traitement par injections. L’objet des discussions a plutôt été de savoir si ce projet de loi constituait une réelle avancée, par rapport à la loi de 1998 qui avait créé l’injonction de soin et permettait l’utilisation du traitement hormonal, avec le consentement de l’individu. En fait, les parlementaires ont débattu autour de la possibilité de menacer les pédophiles de poursuivre leur incarcération en cas de refus du traitement hormonal.
Les différents arguments utilisés lors des discussions parlementaires
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Pour
Sont invoqués les chiffres de la récidive : pour la seule année 2008, l’autorité judiciaire a constaté 2,6 % de récidives en matière de viol, 4,5 % de récidives en matière de délits sexuels, sans compter les faits qui ne sont pas dénoncés. En valeur absolue, cela représente 43 viols et 467 délits. On retrouve souvent dans les discussions parlementaires cette affirmation simpliste selon laquelle « quand bien même il n’y en aurait qu’un seul, il nous reviendrait de tout faire pour empêcher qu’un tel crime ne se reproduise ».
Références à quelques études cliniques sur le traitement qui ont montré son efficacité. Mais ces références sont rares, et on ne trouve même aucune référence à certains rapports réalisés par les parlementaires eux-mêmes comme le rapport du député Etienne Blanc de juillet 2009 sur la prise en charge sanitaire, psychologique et psychiatrique des personnes majeures placées sous main de justice.
Concept de dangerosité : certains individus restent dangereux même après avoir purgé leur peine, il serait nécessaire de tout mettre en œuvre pour les surveiller, les contrôler et les empêcher de commettre un nouveau délit sexuel.
Contre
Citation du médecin et député PS Serge Blisko : « les députés socialistes, radicaux de gauche et citoyens s’opposeront résolument à ce projet de loi pour trois raisons majeures: premièrement, cette loi de circonstance repose sur des fondements théoriques faux; deuxièmement, c’est une loi dangereuse pour les libertés de chacun; troisièmement, c’est une loi inutile, car elle ne fait qu’ajouter et complexifier des dispositifs existants et qui ne sont pas complètement utilisés. »
L’opposition a en premier lieu critiqué le contexte de ce projet de loi : une loi ne devrait pas être adoptée selon la seule logique du fait divers et de la réponse à l’émotion de l’opinion publique.
Le taux de récidive est aussi évoqué : il oscille généralement entre 1% et 2% pour les crimes sexuels, c’est-à-dire nettement moins élevé que pour les autres catégories de crimes et délits. De plus, plusieurs études ont montré que ce taux de récidive est deux fois plus faible en cas de libération conditionnelle. La réaction du gouvernement serait trop importante.
Le concept de dangerosité est remis en cause : il serait impossible d’évaluer scientifiquement la dangerosité. Ce concept est trop flou, ce qui va à l’encontre du principe de légalité et le rend inapplicable par le juge. De plus, le projet de loi a pour logique « l’élimination sociale de la personne potentiellement dangereuse, c’est-à-dire du criminel potentiellement récidiviste ». (Serge Blisko). Il va à l’encontre du principe d’individualisation de la peine, et s’applique à des faits pas encore commis. annexe
Opposition au caractère obligatoire du traitement hormonal, même si il n’est pas décrit comme tel dans le projet de loi. La perspective selon laquelle un individu qui refuserait ou abandonnerait le traitement hormonal pourrait être privé de sa liberté revient à le priver de sa liberté de choix.
Certaines références aux effets secondaires des traitements hormonaux, notamment à la possible déminéralisation osseuse qui apparait dans certains cas.
Atteinte au secret médical : le fait que le médecin traitant soit forcé d’informer le médecin coordinateur, et que celui-ci doive impérativement informer le juge, serait contraire au principe du secret médical et briserait le lien de confiance entre le médecin et son patient.
Le traitement hormonal doit être accompagné d’importants dispositifs de suivi socio-psychologique. Or, l’administration judiciaire ne dispose pas des moyens suffisants pour le mettre en place. Le rapport Lamanda (lien) pointait le nombre insuffisant de juges d’application des peines, de conseillers de probation et de réinsertion, de médecins coordinateurs. Le projet de loi ne résout pas ces problèmes d’effectif. L’opposition avance ainsi des arguments économiques : la loi telle qu’elle est présentée dans le projet du gouvernement serait inapplicable.
L’opposition dénonce ainsi le fait que les mécanismes déjà existant, tels que le suivi socio judiciaire institué en 1998, ne sont déjà pas appliqués, et qu’ils constitueraient une réponse plus efficace à la récidive en matière de crime sexuel que le nouveau projet de loi. Citation député Mme George Pau-Langevin : « en Île-de-France, une vingtaine de médecins coordonnateurs seulement gère quatre départements. Il est inutile d’étendre l’injonction de soins lorsque l’on est dans l’incapacité d’appliquer de manière satisfaisante les injonctions de soins et le suivi prévus par les dispositifs de contrôle existants ».
Les travaux en Commission
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La Commission des lois de l’Assemblée Nationale a renforcé les dispositions relatives aux traitements hormonaux. Elle a précisé et durci les conséquences du refus ou de l’arrêt du traitement hormonal. Elle a conforté l’obligation pour le médecin traitant d’informer le juge de l’application des peines ou l’agent de probation du refus ou de l’interruption d’un traitement inhibiteur de libido.
Les membres de l’opposition qui faisait partie des Commissions ont proposé de nombreux amendements qui ont pour la plupart été rejeté. Ils demandaient notamment que le gouvernement commande des rapports sur les effets des traitements hormonaux, cela a été refusé.
Le Sénat, sous l’impulsion tant de la commission des lois que de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, Nicolas About, a prévu que c’est uniquement lorsque le refus ou l’interruption du traitement intervient contre l’avis du médecin traitant que celui-ci est contraint de prévenir sans délai le médecin coordonnateur qui en informe le juge de l’application des peines. Si le médecin traitant approuve et encourage le choix de sont patient, il n’est pas tenu d’informer le médecin coordinateur de la situation. L’Assemblée Nationale et le Sénat ayant voté des textes différents (amendés par leur différentes Commission), une Commission mixte paritaire a du se réunir. La version retenue par cette commission mixte paritaire retient la version du texte votée par le Sénat quant au rôle du médecin traitant. Celui-ci n’est finalement obligé d’informer le médecin coordinateur (ou directement le juge d’application des peines en l’absence de celui-ci) que s’il n’est pas favorable à la décision de son patient. Cela est censé permettre de concilier le respect du secret professionnel médical et le décloisonnement des relations entre le corps médical et les services judiciaires.
CHRONOLOGIE
Lois et propositions de loi préalables
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17 juin 1998
Création par la loi du suivi socio-judiciaire (qui peut comporter une injonction de soins).
12 décembre 2005
Nouvelle loi renforce celle de 1998 en élargissant les cas où l’injonction de soins peut être prononcée. Le député Bernard Debré propose un amendement rendant la castration chimique obligatoire, il est refusé.
27 septembre 2007
M. Bernard Debré, député, dépose une proposition de loi tendant à imposer la castration chimique aux personnes condamnées après avoir commis une agression sexuelle, sans distinction entre les pédophiles (agresseurs sexuels sur mineurs de moins de 15 ans) et les autres agresseurs sexuels. Cette proposition ne sera ni discutée, ni votée.
Loi du
25 février 2008
sur la rétention de sureté, censurée partiellement pour le Conseil Constitutionnel, c’est au moment de préparer un nouveau projet de loi que la castration chimique a été intégrée.
5 novembre 2009
Proposition de loi de Yves Nicolin (député UMP) « visant à rendre obligatoire et permanente la castration chimique pour les coupables d’agressions sexuelles sur mineur de quinze ans ».
Chronologie de la loi qui nous intéresse
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5 novembre 2008
Dépôt du projet de loi n°1237 « tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale ».
22 octobre 2009
Le gouvernement engage la procédure accélérée sur ce projet de loi.
24 novembre 2009
L'Assemblée nationale adopte le projet de loi après l'avoir durci en Commission.
18 février 2010
Le Sénat adopte le projet de loi après l’avoir amendé (texte différent de celui adopté par l’Assemblée Nationale).
22 février 2010
Une Commission mixte paritaire se réunit pour parvenir à un accord sur le texte final.
25 février 2010
Le Parlement adopte définitivement le projet de loi.
10 mars 2010
Promulgation de la loi par le Président de la République : elle rentre en vigueur le lendemain.


