L'apprÉhension de la pÉdophilie par les psychiatres
La pédophilie: un problème d’ordre physiologique ?
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Les causes profondes de la pédophilie demeurent à ce jour inconnues. Cependant, plusieurs éléments déterminants ont été relevés par les psychiatres. Nous n’entrerons pas ici dans le détail des facteurs explicatifs de la pédophilie, tels que des expériences traumatisantes lors de l’enfance.
Certaines études ont cherché à montrer une détermination du comportement sexuel par le cerveau le lien qu’il existe entre le cerveau et le comportement sexuel, en identifiant des dysfonctionnements cérébraux, notamment dans les régions du cerveau qui s’activent lors d’une excitation sexuelle, chez les sujets « pédophiles ». Les recherches actuelles dans ce domaine utilisent les techniques modernes d’imagerie cérébrale, notamment la Magnetic Resonance Imaging (MRI) et Positron Emission Tomography (PET). L’étude du Dr. Stoléru, (2003), dont les résultats sont exposés dans son article sur le cerveau et la pédophilie1, a mis en évidence des différences entre les individus « sains » et les « malades »2 dans l’activation des ces régions du cerveau. Une autre étude a été conduite par ce psychiatre récemment, mais elle n'a pas encore été publiée. Nous avons pu néanmoins voir les résultats de cette étude lors de notre entretien (voir description des résultats*) et ils mettent en évidence le lien entre le cerveau et le comportement sexuel et l'effet positif des médicaments de la « castration chimique ».
Des différences physiologiques entre des individus « pédophiles » et « sains » ont été relevées dans une étude de Canto et al. (2008) apparue dans le Journal of Psychiatric Research, qui a observé une diminution du volume de la substance blanche dans les régions du cerveau qui connectent les régions impliquées dans le comportement sexuel, chez 44 hommes pédophiles, par rapport aux 53 délinquants sans « anomalies sexuelles »3. Cette diminution, selon la psychiatre chercheuse Dr. Thibaut, traduit probablement une anomalie dans les connexions entre les différentes régions du cerveau qui déterminent le comportement sexuel. D'autres études récentes (Schiltz et al. 2007, Archives of General Psychaitry)4 ont montré que les individus souffrant de psychopathie ont une réduction de 20 % du volume de leurs amygdales cérébrales, les structures impliquées dans les émotions, alors que leur striatum, qui participe au le circuit de la récompense, serait augmenté de 10 %.
“the brain is a major determinant of sexual motivation, sexual fantasy and sexual behavior.” Dr. Stoléru 5
Par ailleurs la chimie, à travers les hormones, a aussi un rôle dans la détermination du comportement sexuel.6 Cependant, les travaux scientifiques comme celle de Thibaut et al. (Encyclopédie Médico Chirurgicale Psychiatrie, publié en 1999), n'ont pas réussi à montrer un lien direct entre un dysfonctionnement hormonal et la pédophilie. L'explication des paraphilies et précisément de la pédophilie par un taux trop élevé de testostérone est donc controversée, ainsi que le lien entre pathologie et comportement. Cependant, il est admis qu'une réduction du taux de testostérone diminue la libido et les pulsions sexuelles (Stoléru et al. 2003 , en savoir plus*) d'où l'efficacité du traitement anti-hormonal. entre pathologie et comportement. Cependant, il est admis qu'une réduction du taux de testostérone diminue la libido et les pulsions sexuelles (Stoléru et al. 2003 7, en savoir plus*) d'où l'efficacité du traitement anti-hormonal.
Une déresponsabilisation du pédophile?
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Ces liens entre physiologie et pédophilie ne doivent pas, selon la communauté des psychiatres, déresponsabiliser l'individu ayant passé à l'acte.
Dr. Coutentieux, président de la Ligue Française de Santé Mentale, psychiatre et criminologue: « l'agression sexuelle n'est pas un excès d'hormones ou de sexualité, c'est simplement le fait que quelqu'un s'autorise de vivre son désir sur d'autres êtres humains ». 8
Réduire le comportement sexuel à des mécanismes physiques ou chimiques induirait l'idée que l'origine de la pédophilie, et plus généralement de la délinquance, est dans le corps. Or cela est une posture intellectuelle polémique, car elle validerai les actes des délinquants en invoquant l'idée qu'ils ne se contrôlent pas. L'individu serait ainsi séparé de son acte, alors que selon les psychiatres, notamment le Dr. Coutentieux, celui-ci doit comprendre la souffrance qu'il génère et reconnaître sa faute avant de pouvoir être guéri (cet avis est partagé par tous les psychiatres que nous avons rencontrés ou dont nous avons étudié l’opinion).
Les juristes paraissent, dans cette question, être d'accord avec les psychiatres. Ludovic Fossé, Secrétaire général de Association Nationale des juges d'application des peines (ANJAP) et vice-Président du TGI de Créteil, a affirmé qu'« il ne faut pas penser que le délinquant sexuel est emporté par testostérone ».
L'effacement des frontières entre sphères professionnelles
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En ce qui concerne les psychiatres, nous pouvons voir que la sphère juridique intervient dans le médical, vu que le juge d'application des peines peut prescrire un traitement après la décision du collège d'experts. Le rôle du médecin coordonnateur, intermédiaire entre la justice et les soins, est une illustration de l'interaction croissante entre sphères professionnelles.
Expliquez d'avantage son rôle. Dites bien que le travail de ce médecin est précisément de construire la séparation entre le judiciaire et le médical... mais que la séparation ne tient pas toujours (c'est la citation de B Cordier que vous avez en dessous).
«On a psychiatrisé la justice et judiciarisé la psychiatrie», Robert Badinter (sénateur du PS et ancien garde des Sceaux).
Pour certains psychiatres, comme le docteur Bernard Cordier, chef du service de psychiatrie de l'hôpital Foch de Suresnes, cet entremêlement est problématique.
« En tant que psychiatre, je traite les troubles psycho-sexuels, je ne suis pas guidé par le code pénal. Si le traitement que je prescris permet au patient de négocier sa liberté avec la justice, ce n'est pas mon affaire. Je ne suis pas indifférent à la protection d'autrui, mais dans l'exercice de mon métier, c'est l'indication médicale qui prime. » (Le docteur Bernard Cordier, chef du service de psychiatrie de l'hôpital Foch de Suresnes). 9
« Je suis inquiet, car les politiques et la justice font une pression importante dans le choix de ce traitement". Dr. Cordier. 10
« La pression mise sur les médecins n'a jamais été aussi forte, déplore Florent Cochez. Alors que le soin doit être adapté à chaque patient, on se heurte à une loi qui systématise la prise en charge autour d'un enjeu : l'incarcération. » 11
Cependant, d'autres psychiatres ne voient pas un empiètement du domaine politique et judicaire dans le domaine médical. Le Dr. Thibaut et le Dr. Stoléru évoquent que c'était déjà le cas lors de la mise en place de l'injonction de soins par la loi de 1998, qui prévoit déjà l'obligation de suivre un traitement médical prescrit par le médecin et donc un entremêlement des sphères professionnelles.
Dr. Lorteau « Il n’y a pas intrusion véritable si les indications de soins restent du domaine médical. » (voir questionnaire du Dr. Lorteau).
Dr. Stoléru: « L’aspect fondamental est que le juge se fonde sur l'avis d'experts qui évaluent si ce traitement est indiqué et nécessaire. Ce n'est pas le juge qui prescrit le traitement, mais les experts médicaux » (voir entretien avec le Dr. Stoléru)
Les hommes politiques à l'origine de la loi et des propositions qui l'ont précédé ne trouvent pas de problème à cet entremêlement, ils évoquent notamment la supériorité de la loi:
Bernard Debré: « Les médecins doivent avant tout obéir à la loi » (voir entretien avec M. Debré)
Comment catégoriser les pédophiles selon les psychiatres ?
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Établir une définition précise de la pédophilie est essentiel pour le psychiatre, afin qu'il puisse bien évidemment prescrire le traitement adéquat, et de nombreux critères existent à cette fin.
Selon la Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) de la American Psychiatric Association les critères sont les suivants : 12
- Durant une période d‘au moins 6 mois, des fantasmes sexuels intenses, des pulsions sexuelles ou des comportements sexuels impliquant des enfants impubères (généralement de moins de 13 ans).
- Un passage à l’acte ou des pulsions sexuelles marquantes qui provoquent des difficultés interpersonnelles.
- Et l’individu a au moins 16 ans et a au moins 5 ans de plus que le(s) enfant(s) du premier critère.
Cependant, le traitement anti-hormonal n'est pas la solution adéquate pour traiter tous les types de pédophilies. Selon le Dr. Coutentieux, président de la Ligue Française de Santé Mentale, psychiatre et criminologue, ainsi que le Dr. Thibaut et le Dr. Stoléru, la « castration chimique » ne serait utile que dans 10% des pédophiles ayant passé à l'acte. En effet, le traitement présente des nombreuses contre-indications, à la fois physiques (diabètes, hypersensibilité à la GnRH, antécédents d'affection thromboembolique...) et psychologiques (dépression, schizophrénie...). De surcroit, il ne s'adresse qu'à des cas très graves, où la psychologie seule ne serait pas suffisante, et dont le risque de récidive est perçu comme élevé par le psychiatre. Le fait de devoir établir la « dangerosité » du pédophile et son risque de passage à l'acte, qui permet de savoir s'il faudrait prescrire un traitement anti-hormonal ou pas, peut être difficile.
« On ne sait pas dire qui est dangereux ou pas », Florent Cochez. 13
« La France accuse un retard extrêmement préjudiciable en matière d’évaluation de la dangerosité. » Association « Institut pour la justice » 14
« Contrairement à des systèmes judiciaires étrangers, la France ne dispose pas de protocoles standards concernant l’évaluation et la gestion du risque criminel dans ses diverses composantes » 15
L’association juridique « Institut pour la Justice » 16 dénonce l’évaluation peu fiable de la dangerosité en France, qui, selon eux, est fondée sur les critères peu structurés et inefficaces. Les conséquences d’une mauvaise évaluation du risque de récidive seraient cependant néfastes, vu qu’elles déterminent la situation du délinquant ainsi que les éventuels dispositifs auxquels il peut être soumis.
Il existe néanmoins des nombreuses recommandations d'organisations psychiatriques, comme le World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) 17, dont la présidente est le Dr. Thibaut, ainsi que le « American Journal of Psychology » et des autorités de santé. Une nouvelle liste de recommendations de la Haute autorité de Santé (voir recommandations de la HAS) sont sorties cette année à propos de l’application du dispositif mis en place par la loi du 10 mars 2010, qui soulignent notamment l’importance de la bonne évaluation clinique initiale. Le Dr. Stoléru a crée, lors de son étude comparative des deux médicaments du traitement hormonal (cf. page « recherches et traitement »), sa propre liste de critères d'inclusion pour l'administration du traitement anti-hormonal (voir annexe de l’entretien Dr. Stoléru pour la liste des critères de prescription).
Le traitement psychiatrique et le consentement contesté
L'efficacité du traitement anti-hormonal selon les psychiatres...
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L'efficacité du traitement dans la réduction des pulsions sexuelles a été mise en évidence par les recherches (voir page « Recherches et traitement »), même s'il demeurent, selon certains, des incertitudes et des effets indésirables non-négligeables.
La communauté des psychiatres est majoritairement en faveur du traitement anti-hormonal, d'après les psychiatres que nous avons étudiés qui ont déjà eu à administrer le traitement d'après les avis de psychiatres (qui ont déjà eu à administrer le traitements) que nous avons lus et étudiés. Ils décrivent une transformation du comportement de leurs patients en quelques mois de traitement, avec une disparition de leurs pensées sexuelles obsédantes.
« En trente ans, j'ai traité une cinquantaine de patients dont 50 % n'ont jamais eu affaire à la justice. Les personnes qui prennent ces traitements se disent apaisées et les demandes d'interruption sont exceptionnelles. » Bernard Cordier, chef du service de psychiatrie de l'hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine) 18
« Pour moi, ce n'est pas une castration mais une libération » Condamné sexuel de 47 ans ayant suivi le traitement volontairement à sa sortie de prison. 19
Ces médicaments sont-ils efficaces ?
Dr. Thibaut : « Je pratique la castration chimique depuis une vingtaine d'années. Aucun des violeurs en série et des pédophiles dont je me suis occupée n'a connu de rechute. Tous avaient déjà fait plusieurs passages à l'acte et de la prison, mais il n'y a jamais eu de récidive. En prenant ce traitement médicamenteux, le sujet n'a plus de comportement déviant sexuel.”
“Ce traitement change la vie ! Lorsque je revois mes patients deux mois après, ils disent que leur vie est transformée, qu'ils peuvent enfin s'intéresser à autre chose. (...) C'est surprenant.” 20
Il existe aussi des psychiatres, minoritaires dans le débat, qui évoquent l'efficacité limité de ce traitement lorsqu'ils ont eu à l'administrer. Ce traitement anti-hormonal, qui a pour objectif de diminuer la libido du patient, n'aurait pas d'impact sur d'autres troubles psychologiques qui peuvent amener le délinquant sexuel à récidiver, comme l'emprise, le sadisme...
"Bien des délinquants sexuels ont des pulsions de violence que les pilules ou les injections antilibido ne calment pas. Il faudrait donc développer le recours au bracelet électronique, au GPS mobile et surtout la prise en charge par des psychiatres ou des psychologues. »Psychiatre et directeur du service spécialisé dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles à l'hôpital Charles-Perrens à Bordeaux, Florent Cochez 21
...avec un nécessaire consentement du patient
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Si l'efficacité du traitement fait toujours débat, la nécessité d'avoir le consentement du patient fait consensus parmi la communauté des psychiatres.
D'une part, dans les principes de la médecine, inscrits notamment dans les codes de Déontologie, est incluse l'idée d'un « consentement libre et éclairé » de la personne qui se fait soigner. Il appartient aux médecins, et plus précisément ici aux psychiatres, de convaincre leurs patients de suivre le traitement qu'ils croient être le plus adéquat, en exposant les bénéfices mais aussi les risques et les effets secondaires.
La loi du 10 mars 2010 ne rend pas le traitement anti-hormonal obligatoire (voir page des politiques). Mais l'idée du « consentement libre et éclairé » du patient peut se trouver limitée par le fait que l'alternative au traitement est un prolongement de la peine en prison.
Selon vous, peut-on obliger un patient à prendre ce traitement ? Dr. Thibaut: « Non, ce n'est pas possible. Avant de prendre l'Androcur ou le Salvacyl, les personnes doivent être bien informées et donnent un consentement par écrit.” 22
D'autre part, l'efficacité du traitement pour une personne qui ne serait pas « sincèrement » motivée de le prendre n'est pas garantie. La nécessité de la bonne volonté du patient dans les soins psychologiques et psychiatriques est évidente, puisqu'ils reposent en bonne partie sur leur motivation. De surcroît, les psychiatres, comme le Dr. Coutentieux (référence?) soulignent l'importance pour le patient d'assumer la responsabilité de leurs actes. En effet, si le patient ne connait pas, ou refuse de reconnaître, la souffrance qu'il a générée ainsi que son infraction, le dispositif du traitement anti-hormonal ne risque pas de le « guérir ». Les principaux pays européens ayant recours à de tels traitements se basent d'ailleurs sur le principe du volontariat.
Dans quelle mesure ce traitement dépend-il de la volonté du patient ?
Dr. Stoléru : « Il est clair qu'il ne servirait à rien de traiter les gens contre leur volonté. ” 23
Ludovic Fossé: “Le dispositif ne marche que si la personne reconnait l'acte et la faute qu'elle a commise.” 24
Il existe donc un conflit entre les hommes politiques qui défendent la loi et un consentement que l'on pourrait qualifier de limité par les circonstances du patient, et les psychiatres qui réclament l'indispensable “consentement libre et éclairé” de leurs patients.
Bernard Debré (auteur de la première proposition de loi dans ce domaine en 2007, cf. page des politiques) [concernant l'efficacité du traitement avec un consentement limité]: « Oui, c'est un traitement chimique qui limite les pulsions de l'individu, donc bien sûr que c'est efficace. Les psychiatres vous diront peut-être le contraire, mais c'est parce qu'ils voudraient traiter les patients d'une manière qu'on ne peut pas concevoir dans le cadre des délinquants sexuels. »
...et un accompagnement psychiatrique
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Il est prévu par la loi du 10 mars 2010 que le traitement anti-hormonal sera accompagné d'un suivi par un collège de médecins. La communauté des psychiatres souligne le caractère indispensable de cet accompagnement car les effets indésirables des médicaments (voir page « Recherches et traitement ») impliquent une nécessaire précaution et surveillance quant à leur réaction chez le patient. Pour les psychiatres, un suivi psychiatrique est aussi important pour l'efficacité du traitement, car le lien entre pédophilie ou infractions sexuelles et pathologie n'étant pas directe, un traitement purement chimique ne semblerait pas pouvoir soigner le délinquant.
Une variété importante de thérapies existe dans ce cadre, et il appartient au collège de médecins de savoir laquelle prescrire, en fonction du « profil » du délinquant sexuel à traiter (ses agressions sexuelles antérieures, son choix de la victime, ses expériences personnelles...) (en savoir plus sur les psychothérapies).
Certains chercheurs, comme Kyle et Israel, considèrent le traitement par le psychiatre comme primordial et supérieur aux médicaments dans le cadre de la « castration chimique ».
Kyle and Israel: “a meta-analysis of sexual offender treatment found that cognitive-behavioral and hormonal treatments were equivalent in their ability to prevent recidivism, and that there were far fewer drop-outs from cognitive behavior treatment compared to hormonal methods (Hall, 1995)
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Par rapport au texte de loi, la communauté des psychiatres semble être d'accord sur le fait qu’il faut à la fois un traitement médical et psychiatrique (comme prévu par la loi, vu que c’est au psychiatre de savoir s’il veut prescrire le traitement au délinquant sexuel).
« L'approche psychothérapique est indispensable pour traiter les patients présentant une pédophilie, mais bien souvent elle n'est pas suffisante pour prévenir les rechutes. La prescription de médicaments peut donc s'avérer nécessaire pour permettre aux patients de contrôler leurs désirs et ne pas passer à l'acte. » Dr. Stoléru 26
Une loi nécessaire ?
Lorsque le délinquant sexuel sort de prison, il peut continuer à avoir des troubles psychologiques et se trouver « à risque » lors de son réinsertion dans la société.
« la durée de l’emprisonnement ne modifie aucunement leurs pulsions sexuelles déviantes » « La période qui suit la remise en liberté est une période à risque puisque le sujet est à nouveau en contact avec des victimes potentielles. Elle doit donc impérativement faire l’objet d’un accompagnement médical spécifique et d’une vigilance judiciaire particulière. » Dr. Thibaut
Un suivi médical pour les ressortissants de prison peut donc paraître justifié, notamment si le collège de médecins considère qu'ils ont une « dangerosité élevée». Si, sur le fond, les psychiatres semblent être d'accord avec cette affirmation, le dispositif mis en place par la loi du 10 mars 2010 est contesté par les psychiatres et loin de faire consensus.
Les associations et syndicats de psychiatres, comme le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH) et l'Association Nationale des Psychiatres Hospitaliers Experts Judiciaires (ANPHEJ), dénoncent cette loi. Ils réclament une analyse plus approfondie des études qui existent, en relation avec les mesures mises en place par la loi. Lors des discussions de la loi au Parlement, ils souhaitaient notamment l'abandon de la procédure accélérée ainsi qu'une plus grande implication dans le débat, notamment en réclamant la concertation des associations professionnelles ainsi que des syndicats.
Certains psychiatres dénoncent la mauvaise application de lois préexistantes dans ce domaine, notamment l'injonction de soins mis en place en 1998, faute notamment de ressources et de personnel psychiatrique (voir entretien avec le Dr. Stoléru). Une nouvelle loi ne ferai qu'accentuer ce problème si elle ne s'accompagne pas du financement qu'elle requiert. L'analyse du Dr. Lamothe , psychiatre, médecin chef du SMPR de Lyon, et expert près la Cour de cassation, soulève le problème de santé publique ainsi que la question du coût du traitement:
« Quel est le coût qui est acceptable en faveur des auteurs d'infraction à caractère sexuel par rapport à ce dont bénéficie la population générale ? Rappelons à ce propos que la notion de traitement psychothérapique n'est toujours pas explicitement reconnue par la Sécurité sociale. » Dr. Lamothe
« Peu de confrères libéraux acceptent de s'occuper des délinquants sexuels. Des centres médicaux psychologiques les refusent. Avec ce genre de loi qui nous place en position d'apprentis sorciers, on trouvera de moins en moins de médecins pour les prendre en charge », Docteur Florent Cochez. Ce psychiatre dirige à Bordeaux, au sein de l'hôpital Charles-Perrens, un service spécialisé dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles.
Des propositions différentes pour traiter le problème de la récidive chez les délinquants sexuels sont suggérées par les psychiatres. Le syndicat et association de psychiatres cités ci-dessous évoquent la nécessité de soins plus adaptés pendant la période de réclusion, avec un nombre plus élevé de psychiatres. Dans un communiqué commun, l’Union syndicale des magistrats et deux syndicats de psychiatres rappellent que:
"La récidive pourrait être écartée de façon plus efficace pour la majeure partie des condamnés par des soins adaptés pendant l'exécution de la peine"
D'autres psychiatres demandent plus d'investissements dans la recherche sur la pédophilie, afin de mieux connaître les causes et les manières de la traiter, ainsi qu’améliorer les critères d’évaluation de la dangerosité que nous avons évoqué en deuxième partie. Le Dr. Stoléru envisage la création en France d'institutions spécialisées de recherche, qui existent déjà dans d'autres pays comme l'Allemagne ou le Canada.
« Ma collègue Sophie Baron-Laforet et moi-même avons écrit aujourd'hui au président de la République, afin de lui faire part de notre souhait de créer un centre de recherche, de soins et de formation consacré aux auteurs d'agressions sexuelles. Dans ce cadre, il serait possible de travailler sur les causes et les façons de les traiter. » Dr. Stoléru
Le Dr. Stoléru nous a montré les graphiques illustrant les résultats de ses dernières expériences, qui n’ont pas encore été publiés. Ces graphiques montrent une courbe permet de relier le niveau « d’excitation sexuelle », mesurée grâce à l’activation de certaines zones du cerveau mise en évidence par les techniques Magnetic Resonance Imaging (MRI) et Positron Emission Tomography (PET). Il y a deux graphiques, un pour un individu « sain » et l’autre pour un « pédophile » ayant déjà passé à l’acte. La courbe varie à des moments d’exposition des individus à des images, dont certaines peuvent avoir des connotations sexuelles. Le niveau d’excitation sexuelle du pédophile est bien plus élevé, notamment concernant les images d’enfants. La deuxième partie de l’étude consiste à analyser le pédophile après la prise des médicaments anti-hormonaux. Une diminution de l’excitation sexuelle est évidente par rapport au pédophile sans traitement exposé aux mêmes images.
La loi du 10 mars 2010 délègue au « collège d’experts » (composé d’un sexologue, un médecin traitant ainsi qu’un psychiatre) la compétence de prescrire le traitement anti-hormonal aux délinquants sexuels. Le psychiatre a un rôle primordial dans cette décision, puisqu’il est le principal responsable du suivi psychologique de son patient. Il est donc intéressant de voir le positionnement de la communauté des psychiatres au sein de la controverse. Les psychiatres doivent, avant de prescrire tout traitement, constituer une expertise sur l’individu et, dans le cadre de notre étude, du délinquant sexuel. Celle-ci est construite grâce à un ensemble de dispositifs (expérimentaux, d’évaluation et de validation de la connaissance, de contrôle d’application…) et sera mobilisée par le dispositif législatif crée par al loi du 10 mars 2010. Nous allons donc nous pencher aussi sur les rapports entre la construction du pédophile par les psychiatres et par la justice et la législation. L’efficacité du traitement tel qu’il est perçu par les psychiatres est aussi à analyser, ainsi que leur opinion globale sur la loi. Il parait donc pertinent d’analyser la position des psychiatres selon trois axes :


