Jean-Paul MEGRET, Commissaire et Secrétaire national du Syndicat Indépendant des Commissaires de Police (SICP).


Dans votre communiqué de presse du 12 avril 2011 sur la loi réformant la GAV, vous exhortez « les responsables politiques à enfin engager une réforme globale et équilibrée de la procédure pénale ». Quels points devrait aborder cette réforme à votre avis ?

Pour reprendre la genèse, on est parti d’une réforme globale de la procédure suite au discours du président de la République en janvier 2009, qui devait être une réforme d’ensemble. Elle avait des qualités et des défauts, mais c’était une réforme d’ensemble. Et on a basculé progressivement - à la suite d’un certain nombre d’arrêts de la Cour Européennes des droits de l’Homme et de décisions du Conseil Constitutionnel - vers une réforme menée en urgence. Donc on considère que la garde à vue étant l’aspect central de la procédure pénale dite policière, c'est-à-dire la première phase de la procédure, il faut, pour avoir un système équilibré, que ce système soit réformé dans son ensemble, pour reprendre un certain nombre de préconisations de la Cour Européenne. On ne peut pas avoir un système qui applique toutes les contraintes de tous les systèmes sans jamais en donner le moindre avantage. Je m’explique : aujourd’hui, la présence de l’avocat va bouleverser la GAV dans son mode de fonctionnement quotidien. Il ne s’agit pas de dire qu’on est opposés à la présence de l’avocat. La présence de l’avocat s’inscrit dans un mécanisme lent qui a prévu d’abord des systèmes d’entretien, et maintenant des systèmes d’assistance au moment de la garde à vue. On a tous conscience que ça se met en œuvre, et que ça se mettra en œuvre, qu’on y soit opposés ou non. Ce qu’on dit, c’est que ce système va être chronophage dans un dispositif qui est toujours resté borné sur les mêmes périodes. Une GAV, en droit commun, c’est 24h plus 24h, quand on est dans de la bande organisée, on peut aller jusqu'à 96 heures. A titre très très exceptionnel, quand on enquête sur des affaires de terrorisme, on peut aller jusqu'à six jours. Donc on va avoir un système qui va devenir très chronophage, très formaliste.

Ce qu’on dit c’est que, si on applique les principes du droit anglo-saxon avec la présence de l’avocat, pourquoi ne pas basculer vers quelque chose de beaucoup plus oral ? Aujourd’hui on a à la fois un système d’audition et un système où on écrit tout dans le moindre détail. On considère qu’il y a des éléments qui pourraient être allégés dans la procédure pour permettre de gagner du temps d’investigation pour les policiers. On considère aussi, contrairement à ce qui a été décidé dans la réforme du 14 avril, qu’il ne s’agit pas de considérer systématiquement que toute personne interpellée doit obligatoirement se trouver en garde à vue. On a cette crainte, on l’a déjà signalé par le passé. On considère qu’on peut très bien, sur certains dossiers - avec l’accord du mis en cause - faire une procédure ultra-rapide, quand on est notamment sur des mécanismes de réponse du parquet qui sont très longs. On considère qu’on pourrait faire un certain nombre de choses en matière de délinquance routière, de consommation de cannabis, de vol à l’étalage, de certains petits recels, on pourrait avoir cette marge qui permettrait aussi à l’opinion de considérer qu’il y a moins de garde à vue. Et aujourd’hui, on est très inquiets parce qu’on se demande si les objectifs de cette loi ne vont pas être en contradictions avec ses effets.

La réforme ne prévoit pas l’accès des avocats au dossier du gardé à vue. Pourquoi ? Cela va-t-il changer ?

La réforme ne prévoit pas l’accès au dossier parce qu’on est tous parti d’un énorme malentendu. La plupart du temps, dans une garde à vue, il n’y a pas de dossier. Tout est écrit au fur et à mesure, et quand on interpelle la personne, on l’interpelle généralement en flagrant délit, sur le fait lui même et après, progressivement, les policiers vont écrire un certain nombre de procès verbaux. Ils vont écrire notamment le procès-verbal de perquisition, qui est un procès verbal très long parce qu’il faut le détailler très précisément. C’est des procès verbaux qui n’existent pas au début de la GAV, et qui vont même des fois être tellement lus ou relus pour éviter les erreurs matérielles, qu’ils ne seront prêts qu’en fin de GAV. C’est un vrai problème : un mélange avec la notion de dossier qui existe au moment où on est devant le juge d’instruction… Quand on est devant le juge d’instruction, le dossier existe parce qu’il a déjà été transmis à l’autorité judiciaire. On a déjà eu toute cette phase de procédure pénale policière, puis toute cette phase devant le parquet qui l’examine, puis, après, son transfert au juge. À ce moment là, l’avocat peut avoir un véritable dossier où il a l’ensemble des actes : la filature, la perquisition, l’interpellation, les auditions de témoins… En garde à vue, on n’a pas tous ces documents. Donc nous, notre grosse crainte, c’est qu’on va nous demander un dossier qui n’existe pas ! Donc l’avocat va dire « si vous ne voulez pas me donner l’accès au dossier c’est que vous voulez retenir des éléments », sauf qu’on aura toutes les peines du monde à lui expliquer que ces éléments n’existent pas ou n’ont pas encore été pactés ni vérifiés pour - dans la forme et dans le fond - être cohérents avec l’état du droit existant. Il y a un formalisme qui doit être respecté. Tout procès-verbal doit être vérifié par la hiérarchie, c’est notamment le rôle des commissaires, pour vérifier que la procédure peut être transmise à l’autorité judiciaire parce qu’elle a une certaine valeur. Et c’est là la grosse difficulté. Aujourd’hui, les procès-verbaux des policiers sont généralement faits à des moments où on n’a pas besoin des gardés à vue. Traditionnellement, dans une affaire un peu complexe, le procédurier va écrire tout un tas de procès-verbaux vers deux trois heures du matin, pour s’avancer pendant qu’il ne peut pas contacter un certain nombre d’organismes pour faire ses recherches… On a une organisation du temps qui fait que certains procès verbaux ne sont faits qu’a la fin, en fonction de cette course contre la montre que sont les 24 ou 48 heures de garde à vue. C’est pour ça que nous n’avons pas de dossier.

Que pensez-vous du fait que le contrôle de la GAV puisse être attribué au Juge des Libertés et de la Détention au lieu du Procureur ?

Ce n’est pas le sujet sur lequel nous sommes le plus en pointe. On constate qu’il y a des décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui considèrent que le Procureur de la République ne peut pas à la fois être celui qui engage les poursuites et celui qui contrôle la mesure de garde à vue. Notre seule difficulté est d’avoir un interlocuteur joignable 24 heures sur 24. Aujourd’hui les parquets sont organisés pour avoir cette permanence. Les juges des Libertés et de la Détention n’ont pas ce mode de fonctionnement parce qu’ils estiment que, vu leur indépendance, ils ne sont pas contraints de s’organiser sous forme de continuité de service public. Ce qui veut dire que, à un moment, vers 19h le soir, ou le week-end, dans certains tribunaux, on ne peut pas les joindre. Notre crainte c’est de savoir si on aura des juges, des JLD (Juges des Libertés et de la Détention) qui seraient aptes 24h/24h ou si on va les avoir en pointillé. Si en face on a des interlocuteurs disponibles, après le débat ne nous concerne pas. […] On a pas de remarques à faire dessus, on attend de voir. C’est comme pour le dossier. Cette notion de dossier, ça fait partie de ce qui arrive sur l’agenda maintenant. Au début, on nous avait dit « la réforme de la garde à vue c’est juste de la préparation des avocats », on savait très bien qu’on aurait des demandes sur le dossier. On a des choses qui vont venir sur l’agenda après. Et c’est pour ça qu’on demande une réforme globale, pour dire « on met tout à plat ». On mettra peut-être un an, deux ans ou trois ans pour le faire, mais au moins, on aura une certaine sécurité juridique et on partira sur une réforme d’ensemble. Or, là, on le fait de façon impressionniste, et c’est une catastrophe.

Est-ce que - sous le nouveau régime de la GAV - l’équilibre entre protection du gardé à vue et efficacité de l'enquête risque d'être atteint ?

Là, je serais bien en peine de vous dire ce qu’il en est, puisque pour l’instant on est dans la phase transitoire. Aujourd’hui, nos interlocuteurs magistrats (juges d’instruction, représentants du parquet) nous disent « ce n’est pas la loi du 14 avril qui s’applique, elle s’appliquera au 1er juin. Ce sont les principes posés par la cour de Cassation ». Principes qui peuvent être en opposition avec d’autres principes. Et qui reprennent, sans les reprendre tous, certains principes de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Donc aujourd’hui, on a autant de principes que de représentants du parquet, chaque parquet disant qu’il veut faire une note d’application, disant qu’il n’appliquera pas la circulaire générale de la Chancellerie, chaque juge d’instruction voulant faire la sienne. Aujourd’hui, je suis bien en peine de savoir si ca va être une phase transitoire difficile. Je prends un exemple très simple : aujourd’hui, la loi du 14 avril prévoit des régimes dérogatoires pour délinquance organisé, trafic de stupéfiants et terrorisme. Elle les encadre conformément à la jurisprudence de la Cour Européenne, disant qu’il n’y a pas de droit à un report de l’intervention de l’avocat. Il y a la possibilité d’avoir le report de son intervention en cas d’accord de celui qui contrôle la garde à vue et en le justifiant au coup par coup pour que ce ne soit pas un principe mais un phénomène justifié par les circonstances de fait. Aujourd’hui, cela est battu en brèche par un certain nombre de juges d’instruction ou de parquetiers qui disent « moi je n’interprète pas les jurisprudences de la Cour de Cassation et de la CEDH de cette manière là ». Et d’autres qui vont dire encore le contraire. Ce qu’on appliquera au 1er juin, je n’en sais rien, et c’est la grosse difficulté.

Pourquoi n’y a-t-il pas de chiffres exacts du nombre de gardes à vue jusqu'à présent ? Va-t-il y en avoir ?

En termes de chiffres, on a une vraie difficulté sur ce qu’on appelle la garde à vue. Il y a la GAV statistique qui consiste à parler de la garde à vue sur ce qu’on appelle les 107 articles du 4001. Et il y a un 108e article qui est un article fourre-tout qui parle des gardes à vues liées à la conduite sous l’empire d’un état alcoolique (dont le nombre à explosé), toutes les GAV sur les excès de vitesse délictuels… Les gardes à vues liées à la délinquance routière. La dessus, chacun comprend ce qu’il veut pour minorer ou majorer le chiffre. La réalité c’est qu’il faut prendre l’ensemble. Est-ce qu’on aura un vrai chiffre à l’avenir ? C’est une question de volonté politique. La question de la volonté politique est énorme. Il y a des gens qui ont voté la loi, qui veulent à tout prix qu’on descende à 500 000 gardes à vues. Quid si on en a plus de 500 000 ? Est-ce qu’il y aura une tentation de dire « non, il y en a 500 000 » en escamotant une partie des chiffres, ou pas ? Même techniquement, on a des difficultés. Par exemple : un service, le 1er arrondissement par exemple, place en garde à vue quelqu’un et le met dans ses statistiques. Puis ensuite, cette garde à vue est reprise par un service de police judiciaire parce qu’on peut reprocher un autre fait. Est-ce qu’on compte deux faits ? Est-ce qu’on en compte un seul ? Tout cela fait qu’on a de grosses difficultés de comptage. Il y a une possibilité pour qu’on arrive à un vrai chiffre. Est-ce qu’on aura la volonté politique de le faire ? Je n’en sais rien.

Vous dénoncez les inégalités entre les gardés à vue pouvant payer un avocat expérimenté et ceux qui doivent se contenter d’avocats commis d’office, plus jeunes et moins expérimentés. Est-ce qu’un point de la réforme devrait prendre cela en compte ?

On nous dit aujourd’hui que c’est une réforme qui ne va quasiment rien coûter. On sait d’avance que l’intervention de l’avocat, contrairement à ce qu’a pu dire le précédent bâtonnier du barreau de Paris, ce n'est pas une intervention gratuite. L’avocat a besoin de vivre comme tout le monde, il n’y a rien de choquant à ça. Cela veut dire que l’avocat, qui va passer des heures à participer à des auditions, à attendre que les auditions aient lieu, va demander à être payé. Si on est dans un système d’aide juridictionnelle, on va avoir un coût qui explose, on l’a vu dans les autres pays. Si on est dans un cas où les avocats sont payés par des clients, c’est autre chose. Mais on a cette grosse difficulté à savoir si, à terme, on va quasiment fonctionnariser les avocats, ou si on va considérer que ce sont toujours des professions libérales, à qui on va donner un certain nombre d’aides. Là-dessus, on considère que la réforme n'a rien prévu - ne pouvait pas le prévoir - puisqu’on était sur un système qui aurait aggravé les charges publiques. Ces choses là doivent être prévues dans les budgets. Au minimum, ce que nous aurions souhaité, c’est des études d’impact à la fois budgétaires, matérielles et crédibles, pour qu'on puisse à la fois recevoir dans des locaux dignes des avocats - avoir des salles d’attente, tout simplement- et en même temps organiser quelque chose qui soit vraiment moderne. C’est là-dessus que nous considérons que tout a été fait à l’économie et à la va-vite. On est très limités. Aujourd’hui, on ne sait pas du tout si on va avoir assez d’argent pour tenir une aide juridictionnelle sur la fin 2011. Or, si les avocats refusent de participer aux auditions sous prétexte qu’ils ne sont pas payés, ils peuvent - par des mécanismes juridiques - bloquer la procédure. Et les auditions faites sans la présence d’un avocat auront moins de valeur. Personne ne l’a imaginé, personne ne l’a prévu, on ne sait pas comment on va réagir face à cela. On est très inquiets sur l’impréparation des coûts budgétaires. Même si ça ne pouvait pas être prévu dans la réforme, dans la mesure où on ne peut pas prévoir le budget dans une réforme du code de procédure.

Quelles relations entretiennent votre syndicat et le ministère de l’intérieur ?

On a des relations assez simples. Quand on s’est créés en mars 2006, on a été pris un peu pour des excités, les porte-parole d’un mouvement d’humeur. Le fait qu’il y ait eu deux élections - celle de 2006 et celle de 2010 - où on a maintenu nos positions, fait qu’on est rentrés dans le paysage syndical du ministère. Il faut savoir que, du fait de l’absence de droit de grève, du fait de l’absence de conflits majeurs impossibles à développer au ministère, le rôle des syndicats est fondamental. Il y a systématiquement un contact préalable sur un certain nombre de décisions - ce qui ne veut pas dire que ce soit de la cogestion, quelque soient les corps. Cela veut dire qu’aujourd’hui, le Syndicat Indépendant des Commissaires de Police, qui a été considéré comme le syndicat qui était le plus en opposition avec l’administration parce qu’affilié à la CFDT, n’est plus considéré comme tel parce qu’il y a un certain nombre de protocoles que nous avons accepté de signer, pour lesquels nous avons tenu notre parole. Alors que de l’autre côté, le syndicat majoritaire, pour essayer de récupérer des voix, a peut-être développé une attitude plus protestataire. On a donc un syndicat dit « maison » qui était le Syndicat des Commissaires de Police - certains l’avaient affublé du sobriquet de « schtroumpfs » - qui est devenu un syndicat un peu plus protestataire, et nous, qui sommes devenus un syndicat un peu plus écouté, un peu plus dans les normes. On peut donc avoir l’écoute du ministère, sans être pour autant le syndicat maison comme ça peut être le cas dans d’autres camps.

Ressentez-vous des pressions ?

Aucune. Il n’y a absolument aucune pression. On est dans un système où la pression n’existe pas. Il y a effectivement au niveau de la formation, au niveau de l’École des Commissaires, une tentation de conformisme en disant « attention, si vous allez chez le Syndicat des Jeunes Commissaires (ou le Jeune Syndicat des Commissaires, parce qu’on confond souvent les deux) vous ferez peut-être une moins bonne carrière » ce qui est faux puisque aujourd’hui on a des gens qui sont à des postes très hauts, qui sont contrôleurs généraux. La carrière se fait sur des critères professionnels et non sur des critères syndicaux.


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