Maitre Marie DOSE, avocat pénaliste à la Cour.

 

A quel niveau l'adaptation de la réforme a-t-elle résolu la problématique de la GAV en France et quels en sont les nouveaux enjeux pour vous ?

Pour commencer, je ne comprends pas comment un avocat peut conseiller une personne sans avoir accès au dossier. Un avocat qui conseille une personne et qui n'a pas de dossier, c'est un effet de manche. Moi, j'ai une obligation de conseil, et cette obligation, elle ne se fait pas en un instant. Elle se fait sur une base de travail. Or, sans dossier, tout cela n'a aucune utilité. Donc si l'on a pas accès au dossier, on n'est pas là pour conseiller une personne : on est là pour assister. Grossièrement, on est là pour verifier qui se fait taper dessus, et jene suis pas certaine que cela soit véritablement notre rôle. Je pense que d'autres personnes auraient pu jouer ce rôle là. Finalement, si l'avocat n'a pas accès au dossier, il n'est pas avocat : il est un tiers, qui va vérifier qu'il n'y a pas d'irrégularités ou de violences policières. Donc si la réforme ne va pas jusqu'à l'accès au dossier, elle est - en tout cas pour les avocats - assez inutile. En ce qui concerne les conditions de la garde à vue - cela fait dix ans que je suis pénaliste - les cellules restent des cellules; les locaux de garde à vue restent les locaux de garde à vue. Ce n'est pas parce que c'est absolument insalubre, que nous allons arrêter de rendre visite à nos clients. Moi, ça m'importe peu. On ne va pas non plus bénéficier d'un très beau local, alors que la personne que nous défendons, une fois seule, va dormir dans une « poubelle » : ce n'est pas non plus l'utilité de la reforme. Les conditions matérielles, je m'en moque un peu. Pour le reste, je ne sais pas très bien quelle est notre place dès l'instant où nous n'avons pas accès au dossier.

La réforme va-t-elle intervenir sur les procédures controversées des fouilles au corps ?

Quand on va au prison, on passe d'abord sous les portiques pour vérifier que nous n'avons rien. Quand on voit notre client en prison, avant de descendre en cellule, il est fouillé. Il est aussi fouillé après : au cas où l'avocat lui aurait glissé un téléphone portable, une corde pour se pendre ou un revolver. On est habitué à ça, à cette suspicion. Cela fait partie du jeu, ça ne nous empêche pas de faire notre métier. La fouille du gardé à vue est un impératif, déjà pour qu'il ne se suicide pas. Bien évidement, certaines fouilles sont pratiquées de façon plus élégante que les autres, mais force est de constater qu'on est obligé de fouiller la personne qui est gardée à vue. Lorsqu'elle est seule dans la cellule, elle doit être en sécurité.

Concernant la disponibilité des avocats 24h/24, la reforme prévoit-elle des installations adaptées à cette nouvelle mesure (des hôtels pour les avocats par exemple) ?

Non, bien sûr que non. Mais de toutes façons, je ne vais pas pouvoir aller en garde à vue : je suis dans une situation où tout cela me coûte trop cher pour travailler avec l'aide juridictionnelle (c'est à dire travailler pour une misère). Je suis installée à mon propre compte : je ne peux pas vivre avec l'aide juridictionnelle. Et je suis aussi dans une situation où mes clients sont trop pauvres pour pouvoir payer la garde à vue et le jugement. C'est à dire qu'il n'y a pas un seul dossier ici, en mesure de me payer 48 heures de garde à vue et le jugement après, c'est impossible. Encore une fois, ceux qui vont en profiter, ce sont les Bettencourt et compagnie, le droit pénal des affaires, ceux qui peuvent se payer un avocat au taux horaire pour toute une journée... mais pas les gens comme moi, donc pas 90% des gens qui ont affaires au droit pénal. Vous allez donc avoir d'un coté des gens qui auront leur avocat et LEUR avocat sera présent au jugement, et de l'autre coté, des gens qui ne pourront pas payer un avocat en garde à vue. Ils auront donc un avocat de permanence qu'ils ne connaissent pas en garde à vue, et un autre avocat au jugement : ce qui ne sert absolument à rien puisqu'il n'y a pas de suivi.

En ce sens, peut-on conclure que l'adaptation de la réforme n'a pas changé grand chose ?

Elle limite les risques. Il faut aussi que vous compreniez que la GAV c'est un vrai outil de travail, malheureusement. Je vais être franche : quand un avocat arrive au jugement, il est assez courant pour lui de plaider en disant « ce que la personne a pu dire en GAV ne compte pas, parce que la GAV c'est extrêmement dur ». Aujourd'hui, pour plaider cela, l'avocat s'appuie sur le travail des policiers, les auditions de la GAV, les conditions dans lesquelles les aveux ont été extorqués... mais demain, on va lui dire « Maitre, vous étiez là aussi, avec le gardé à vue, vous avez vu tout ça ». C'est un peu le problème aussi. Je ne suis pas certaine qu'il fallait donner ce rôle-là à un avocat. Je pense qu'il fallait la présence d'un tiers - d'un représentant d'une société civile - dans le commissariat et aux interrogatoires. Nous, tout d'abord nous n'avons pas accès au dossier donc nous ne sommes pas en mesure de faire notre métier, et surtout, on se prive de « l'arme » qu'était la GAV. Pour être franche, je ne suis pas tout à fait certaine qu'on ait beaucoup à y gagner.

Y aura-t-il d'autres changements pour vous compte tenu de toutes ces nouvelles problématiques ?

Vous savez, les reformes en droit pénal… On ne s'en sort plus! Il n'y a plus un texte qui fonctionne. Nous en sommes je crois à quatre réformes par mois, ou tous les deux mois. Nous n'avons pas le temps. On a par exemple voté la collégialité du juge d'instruction, on l'a supprimé, et finalement on est revenu au statu quo. Tout est comme ça. Donc, nous, les avocats, nous n'arrivons plus à nous adapter à ce qui vient d'être mis en place, parce qu'une nouvelle réforme va venir quelques mois plus tard : je n'achète plus le Code Pénal, ça ne sert plus à rien. C'est problématique. En ce moment, on enlève des jurés populaires en cours d'assise, on en met devant les tribunaux correctionnels… ça n'a plus aucun sens. Cette réforme s'inscrit donc dans une sorte de flux législatif. Or, il n'y a pas de moyens : les confrères de permanence ne pourront pas être payés. Si l'on calcule, 300 euros la garde à vue, c'est 4 euros de l'heure.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme pourrait-elle « inspecter » l'adaptation de la reforme en France ?

Peut-être en ce qui concerne l'accès au dossier. On verra si les choses bougent à ce niveau là. Mais tous les jours, les gens viennent ici, dans mon cabinet. Ils viennent avec leur histoire : « je suis convoqué devant le tribunal parce que, voilà ce qui s'est passé... ». Ils se défendent aussi devant l'avocat, ils racontent aussi des conneries à l'avocat. Il y a donc deux solutions : il y a l'avocat qui va dire « Ne vous inquiétez pas, votre histoire a l'air très bien, vous me donnez 700 euros et je serai là le jour de votre jugement », puis il y a l'avocat - comme moi - qui dit : « je ne peux pas vous donner un avis, je ne peux pas vous dire que tout va bien se passer, parce que sans dossier je suis un effet de manche. Et comme je n'ai pas envie de vous prendre pour un imbécile, j'attends votre dossier ». Qu'est-ce que je peux conseiller à cette personne ? Il va me raconter une histoire comme on m'en raconte tous les soirs, mais je sais rien : s'il y avait des caméras de surveillance, si l'ADN a été prélevée, si huit personnes l'ont vu... Nous ne pouvons pas assister aux interrogatoires si nous ne sommes pas en mesure de conseiller. Ou alors, nous ne sommes pas avocats, nous sommes autre chose. On peut peut-être inventer autre chose, il pourrait y avoir des éducateurs par exemple, qui vérifient que tout se passe bien, pourquoi pas.


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