Témoignage d'un étudiant gardé à vue souhaitant garder l'anonymat

 

Comment est arrivée ton interpellation?

C’était fin août, je sortais d'un bar avec un copain, on était plusieurs, et trois gars ont commencé à insulter mon ami qui était devant. J’avais pas encore fait attention à eux. C’est quand je l’ai rejoint que je me suis rendu compte qu’ils étaient en train de s’engueuler. Un des gars a poussé violemment mon ami, et pour prendre sa défense, je l’ai frappé. Il était saoul, il est tombé par terre et s’est ouvert la tête. On a paniqué, on a essayé de le réveiller, mais il était dans les vapes. Du coup on s’est enfui. Mon ami s’est fait attrapé deux rues plus loin par les flics qui tournaient dans le quartier, et le sachant arrêté, je suis allé me dénoncer au commissariat.

Une fois arrivé là bas, on a pris mon nom, ma carte d’identité, mes empreintes. On a ensuite mesuré mon taux d’alcoolémie : j’avais 0,56g. J’ai passé la première nuit en dégrisement dans un autre commissariat, après un passage à l’hôpital pour un contrôle. J’ai demandé au médecin comment allait le blessé mais il n’a pas voulu me répondre. J’étais seul dans la cellule de dégrisement, elle est éclairée toute la nuit. Il devait être 2 ou 3 heures, ma garde à vue a commencé à ce moment là. Le lendemain on m’a interrogé, avec une première confrontation. Ça s'est bien passé, tout le monde a raconté sa version des faits, il y a eu des échanges. J'ai ensuite été placé avec mon ami dans une autre cellule, une des geôles, qui sont des cellules sans lumière directe ; il devait être 9h du matin.

Tu n’as pas vu d’avocat avant tout cela?

Non je n’en ai pas vu. On me l’a proposé mais on m’a aussi dit qu’on allait sortir rapidement, que ça n’était pas grave. Du coup je me suis dit qu'il valait mieux ne pas faire de vagues. On m'a laissé entendre que je devrais rapidement rentrer chez moi, mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça. J’ai été interrogé une première fois, et après confrontation, replacé en geôle. On a attendu toute la journée dans là, toujours dans l’obscurité ; ça pue, il ne doivent pas nettoyer, tout pue en fait, tout est en béton, il n’y a pas de toilettes, il y a juste un trou dans lequel on peut pisser. Pour le reste on est obligé de demander au gardien de nous sortir d'ici, mais ils ne parlent pas beaucoup donc c'est difficile de leur demander. Il y a de la merde sur les murs, du sang, des trucs écrits. On a du mettre nous couchettes près des bouches d’aération parce que l’odeur était vraiment horrible. On nous a donné à manger.

En début de soirée, on est passés devant l’OPJ qui a revu toute la situation et qui nous a dit qu'on allait encore passer cette nuit au commissariat. Entre temps, un autre mec qui s'était fait arrêté pour vol nous a rejoint dans la cellule. Il voulait en sortir donc il a essayé de se suicider en mangeant ses boutons de chemises mais ça n'a évidemment pas bien marché. On a demandé à ce qu'il soit viré parce qu’il était insupportable, il criait, essayait de s'échapper... Il a fini par être déplacé en dégrisement.

On a repassé la nuit là bas, c'était la deuxième. Au matin, vers 10h, on pensait qu’on allait pouvoir sortir mais en fait non. On nous a tenu toute la matinée et le début de la journée avant de nous adresser la parole. C'est vers 13h qu'on est repassés devant un nouvel OPJ, à qui on a dû tout ré-expliquer.

On n’a pas de montre donc on ne sait pas s'il fait jour, s'il pleut, s'il fait beau. Les gardiens ne nous parlent pas. Du coup on passe la journée là bas, on attend. Et finalement en fin de journée on nous dit que notre garde à vue de 48h se termine cette nuit, vers 2h du matin vu que je suis arrivé à cette heure là. Mais on ne nous relâche pas tout de suite, on doit passer devant le procureur, qui doit décider de notre emprisonnement ou de nous faire passer en comparution immédiate. Il a fallu attendre le lendemain pour avoir cette décision, du coup on a été transférés au dépôt de Paris. C'est le pire endroit du monde : ce sont des salles très vieilles, tout est complètement pourri, on est mis dans des salles communes avant d'être répartis dans des cellules, avec tous les mecs qui se sont fait attraper dans le week-end. On mange sur place. Puis j'ai été séparé de mon ami, je me suis retrouvé avec deux personnes que je ne connaissais pas avec qui j'ai sympathisé, on s'est raconté nos histoires. On est classé par « dangerosité », par crimes commis donc je n'était pas avec des gens très dangereux.

La particularité du dépôt de Paris, c'est que pour aller aux toilettes, il faut que les gardiens tirent la chasse depuis l’extérieur, donc il y a de la merde partout, ça pue et c'est sale. On a eu la bonne surprise d'avoir des cafards au matin qui avaient bouffé ce qu'il y avait sur la table. On attend que chacun passe à son procès, et on reste solidaires. Je suis passé le soir vers 18h après avoir vu un avocat commis d'office qui a fait venir mes parents et ceux de mon ami, mais il nous a un peu mis la pression pour qu'on le garde, pour se vendre. C'était pas terrible, du coup on a changé d'avocat. On a finalement été libérés et j'ai été jugé six semaines après.

Finalement tu es resté combien de temps en garde à vue ?

Je suis resté 66 heures en tout : la première de 24 heures, qui a été reconduite 24 heures, plus celle de 18 heures au dépôt.

Au cours de ces gardes à vue as-tu vu un médecin pour la visite médicale ?

J'ai vu un premier médecin à l'entrée, ensuite on nous a proposé plusieurs fois d'en revoir un, notamment quand on est arrivés au dépôt de Paris, après avoir fait la fouille.

Quel genre de fouille ?

Une première fouille en arrivant au commissariat au début : on a du vider nos poches. La fouille au dépôt de Paris c'était nu, accroupi, à tousser. C'est un policier qui m'a demandé de le faire devant lui.

Combien de temps a duré ton entretien avec l’avocat ?

C'était avant de passer devant le procureur, un entretien d'une heure, un peu moins. J'ai aussi vu une assistante sociale étant donné que je dépendais de mes parents.

Quelles observations peux-tu faire sur le comportement des policiers ?

Etant donné que je me suis présenté au commissariat de mon plein gré leur dire ce que j'avais fait, il n'ont pas du tout essayé de me mettre la pression. Ils étaient là pour éclaircir l'affaire. On ne s'est pas fait chahuter mais on s'est beaucoup fait ignorer.

Sais-tu si celui que tu as frappé a lui aussi été placé en garde à vue ?

Non, aucun d'entre eux ne l'a été. Étant donné que c'était la victime, qu'il était allongé par terre et qu'il a été envoyé à l’hôpital, ils n'ont pas du tout considéré que ça pouvait être les agresseurs et nous les victimes.