Conclusion du rapport commandé
par le Premier Ministre - 2006
En 2006 sont publiés des rapports diligentés par le premier ministre pour faire un audit financier, technique et bureaucratique des travaux. Ils sont réalisés par des inspecteurs généraux de la Cour des Comptes et du Sénat. Les conclusions sont les suivantes : « un engagement total de l’Etat bâtisseur mais une absence de contrôle de l’Etat financeur ». Elles vont électriser les acteurs responsables du projet et recadrer leur gestion. L’Etat s’était engagé sur la voie d’un financement par pourcentage dans le projet à hauteur de 50%, mais le budget total était extensible et son surcoût est évalué à 86 millions d’euros (il passe de 134 à 220 millions entre 2002 et 2004), pour un retard de deux ans.
Ces résultats ont des conséquences sur certains aspects techniques du projet en tentant à l’avenir de réduire son cout : en choisissant des matériaux moins coûteux, en réduisant la longueur du pont-passerelle ou encore en externalisant certains services. On prend également conscience que les ingénieurs ne sont pas infaillibles, contrairement à ce que les autorités politiques avaient semblé mettre en avant dans les décennies précédentes, ce qui donne lieu dans la presse à des commentaires acerbes : « Les ingénieurs avaient imaginé qu'un petit train ferait l'affaire. Mais ils ont apparemment mal pris en compte les différents paramètres et ils reconnaissent aujourd'hui "une erreur d'appréciation. […] Résultat : il faut construire un engin spécifique avec un système guidé, qui coûtera 50 % de plus que l'estimation de 2002 et que personne ne veut construire. Les grands industriels du secteur, comme Bombardier et Alstom, n'ont même pas répondu à l'appel d'offres, prétextant qu'il s'agissait d'une fabrication en trop petites séries » (Françoise Chirot, Le Monde). Les journalistes raillent notamment l’inutilité supposées des quatorze enquêtes publiques réalisées en 2002. Cependant, le projet technique continue à fédérer le consensus sur ses grandes lignes, même si la question de la navette notamment crée quelques remous en raison de l’échec de plusieurs propositions (plateforme de demi-tour, véhicule réversible, problème des vents violents).
Ces ajustements ont également un impact sur la gestion politique. Le rapport commandité au sommet de l’Etat par de grandes institutions républicaines vient remettre en cause la gestion du Syndicat Mixte et de la Mission Saint-Michel : il va forcer ces acteurs à prendre la responsabilité de leurs décisions, notamment budgétaires. L’Etat choisit en effet en 2006 de bloquer sa participation à 60% de 140 millions d’euros. Cette décision fait porter sur le maître d’ouvrage une responsabilité de gestionnaire et non plus seulement de bâtisseur mandaté par le pouvoir central. Elle provoque évidemment des réactions mitigées des collectivités territoriales : « L'Etat doit supporter les conséquences des erreurs des agents qu'il a missionnés, pas question qu'il baisse sa participation. En outre, la somme que nous accepterons de remettre au pot sera, cette fois, pour solde de tout compte », Jean-François Legrand, président (UMP) du conseil général de la Manche pour Le Monde. En définitive, la légitimité étatique et scientifique perd de sa valeur après ce rapport, et le centre de gravité se déplace vers les acteurs locaux et politiques, qui sont véritablement chargés au jour le jour de coordonner les travaux. Cet évènement conforte donc la localité du projet.