Le principe de précaution est apparu en Allemagne, dans les années 1970 et concernait à l’origine les questions environnementales uniquement. Le principe a fait peu à peu des émules dans le droit international jusqu’au Sommet de la Terre à Rio en juin 1992 qui marque sa consécration planétaire. Au même moment, le Traité de Maastricht érige le principe de précaution en norme juridique dans la Communauté européenne, le faisant par là même entrer dans le droit national des Etats membres. La jurisprudence veut que le principe de précaution s’applique désormais dans toutes les questions concernant la protection de la santé humaine (et donc la sécurité des consommateurs) et de l’environnement. Le rôle des acteurs politiques, scientifiques et économiques dans l’application de ce principe de précaution s’est précisé au fil du temps par jurisprudence également.
Il n’existe pas de définition universellement reconnue du principe de précaution mais on peut
distinguer une philosophie commune malgré des législations différentes. Le point important est de ne pas confondre prévention
et précaution.
Le principe de prévention s’applique dans un contexte de certitude. On connaît les risques, ils sont clairement
identifiés, la seule chose qu’on ne sait pas est le moment où ils vont se produire. Dans un tel cas, on met en place des
mesures pour limiter le facteur de risque selon le proverbe « Mieux vaut prévenir que guérir ». Il s’agit par exemple de
programmer des contrôles de sécurité fréquents ou d’obliger un remplacement régulier de pièces d’usure.
Le principe de précaution s’applique dans un contexte d’incertitude. On a identifié des risques possibles mais il n’y a
pas de preuves scientifiques suffisantes pour qu’ils soient avérés. Le principe de précaution doit aider les politiques à
prendre des mesures face à l’incertitude scientifique. Il peut permettre de suspendre l’usage d’une technologie ou la
commercialisation d’un produit le temps d’évaluer le risque réel, le danger en fonction de l’exposition. Le manque de
connaissances scientifiques doit être compensé en multipliant les études afin de montrer si le risque est avéré ou non.
Il ne s’agit donc pas uniquement d’un frein qui bloquerait toute innovation mais également d’un soutien à l’investissement
dans la recherche et aux innovations en faveur de la santé et de l’environnement.
En France, le principe de précaution est défini par la loi « Barnier » relative à la protection de l’environnement
du 2 février 1995 comme le principe « selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et
techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de
dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ». Il est repris dans l’article 5 de la
Charte de l’environnement promulguée en mars 2005 : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des
connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent,
par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des
risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » La Charte de l’
Environnement appartenant au bloc de constitutionnalité français, le principe de précaution a une valeur constitutionnelle,
c’est-à-dire que toutes les lois et décrets lui sont subordonnés.
Dans le cas du bisphénol A, suffisamment d’études ont été menées pour que les risques potentiels
soient clairement identifiés : perturbation du développement hormonal et neurologique, accroissement du risque de cancer,
de diabète ou encore troubles du comportement. La plupart de ces effets ont été observés chez les animaux ; leur transposition à
l’homme est à l’origine de l’incertitude sur le danger que représente notre exposition actuelle au BPA. Les agences sanitaires ont
considéré ces différentes études et ont rendu leur avis aux gouvernants, leur présentant l’état des avancées scientifiques. L’absence
de consensus scientifique quant à la dangerosité du bisphénol A nous place bien dans un cadre de précaution et non pas de prévention ou
de prudence.
C’est au nom de ce principe de précaution qu’une loi interdisant l’usage de bisphénol A dans les biberons a été adoptée par le Parlement français en juin 2010. Cette loi a conduit à l’expression d’interprétation divergences du principe de précaution.
D’un côté, les partisans d’une interdiction du bisphénol A, comme Res, ne comprennent pas que la loi se limite aux simples biberons. En effet, ils considèrent que le principe de précaution doit être appliqué jusqu’au bout, les bébés étant plus exposés au BPA lors de l’allaitement que lors de l’utilisation de biberons en polycarbonates. Dans un tel contexte, le BPA aurait dû être interdit au moins dans tous les contenants alimentaires, au mieux dans tous les objets du quotidien.
De l’autre, les opposants à l’interdiction du bisphénol A, comme Plastics Europe, rappellent que l’énoncé du principe de précaution comprend une clause supplémentaire, celle du « coût économiquement acceptable ». Si dans le cas des biberons, la substitution s’est faite sans trop de difficultés, les usages du polycarbonate sont tellement divers qu’une interdiction généralisée aurait des conséquences économiques et sociales jugées inacceptables par les défenseurs du BPA. Ils proposent une évaluation de la problématique selon le rapport bénéfice/risque plutôt que sous l’angle du principe de précaution uniquement.
Pour en savoir plus sur le principe de précaution