FAUT-IL INTERDIRE LE BISPHÉNOL A?

Le processus législatif ayant abouti à l’interdiction du BPA dans les biberons en France

Comment la controverse du BPA est-elle arrivée au Parlement français ?

En France, le débat sur la toxicité du Bisphénol A commence véritablement à partir du printemps 2008, déclenché par les inquiétudes dans les pays étrangers et en particulier du Canada où le gouvernement propose à partir d’avril 2008 d’interdire le BPA (ce qui sera fait le 11 mars 2010). Les parlementaires commencent à être sensibilisés à la controverse autour de la nocivité du BPA. Des scientifiques, comme la spécialiste de santé environnementale américaine Ana Soto sous l’impulsion de RES, viennent être auditionnés au Parlement. Ils alertent sur les dangers du BPA et critiquent les expertises des agences sanitaires françaises et européennes qui concluent à l’innocuité de cette substance.

Quelle était alors la position du gouvernement au sujet du BPA ?

Le BPA commence à apparaître de plus en plus souvent dans les débats parlementaires en 2009. Il est en particulier le sujet d’une question d’actualité à la Ministre de la Santé et des Sports Roselyne Bachelot le 31 mars 2009. Elle répond en s’appuyant sur l’autorité de l’AFSSA que « les études fiables existent ; elles concluent, en l’état actuel des connaissances scientifiques, à l’innocuité des biberons en Bisphénol A ». D’après elle, « le principe de précaution est un principe de raison ; il n’est en aucun cas un principe d’émotion ». Mais les doutes gagnent aussi le gouvernement : le 15 juin 2009 lors d’une séance à l’Assemblée nationale consacrée à la mise en œuvre du Grenelle de l’ environnement, la secrétaire d’État à l’écologie, Mme Chantal Jouanno, déclare « nous devons être extrêmement vigilants sur les effets de cette substance sur les nourrissons. […] mon souhait de voir l’AFSSA rendre un nouvel avis intégrant bien les dernières études ».

D’où vient la proposition de loi initiale ?

Le 27 juillet 2009, le sénateur Yvon Collin et plusieurs autres membres du groupe RDSE (Rassemblement Démocratique et Social Européen) dont il est le président déposent une proposition de loi au Sénat pour interdire le BPA dans les plastiques alimentaires, au nom du principe de précaution. Dans l’exposé des motifs de la proposition, on retrouve les effets néfastes du BPA trouvés par certaines études, l’interdiction au Canada, la suppression préventive du BPA dans le processus de production de plusieurs grands industriels et le signal d’alarme lancé par RES.

Comment et pourquoi le texte a-t-il été amendé ?

La proposition de loi commence par être étudiée au Sénat, par la commission des affaires sociales. M. Gérard Dériot produit un rapport où il soutient une « application raisonnée du principe de précaution » par l’interdiction du BPA seulement dans les biberons, dont le remplacement est « possible industriellement à court-terme ». En effet, pour la commission la question de la substitution est essentielle et justifie ses conclusions nuancées qui écarte une interdiction totale du BPA. La principale proposition développée est celle de campagnes de communication de « bonnes pratiques de consommation », ciblées pour les personnes les plus sensibles au BPA (ex : femmes enceintes). Michel Loubry, directeur régional (West Europe) de Plastics Europe a été auditionné par la commission mais apparemment peu de personnes étaient réellement présentes. La commission dépose deux amendements qui seront adoptés le 24 mars 2010 lors du vote de la proposition de loi par le Sénat. Le changement principal est une restriction de l’interdiction aux biberons seulement car : « Une interdiction complète des plastiques alimentaires contenant du Bisphénol A présenterait des difficultés d'application extrêmement importantes, alors même que les récentes études scientifiques qui la sous-tendent ont identifié deux facteurs de risque déterminants : le chauffage intense des produits et la vulnérabilité des bébés. »

Quel texte a finalement été voté ?

Le texte passe ensuite à l’Assemblée nationale où elle fait aussi le sujet d’un rapport au nom de la commission des affaires sociales par M. Gérard Bapt, président du groupe Santé environnementale. Travaillant aussi en collaboration avec RES, M. Bapt s’appuie sur les conclusions des agences sanitaires, celles d’études scientifiques indépendantes et ce qui se passe dans les autres pays pour dire que la remise en question de l’innocuité du BPA mérite de passer à l’action et que la proposition de loi adoptée par le Sénat ne devrait être qu’une première étape vers une interdiction plus large. Pour autant, la proposition de loi n’est pas remodifiée avant d’être votée de manière consensuelle par l’Assemblée le 23 juin 2010. Seul le Nouveau Centre (NC) s’abstient en jugeant que la proposition est « insuffisante ». La nouvelle loi interdit la fabrication et la commercialisation de biberons contenant du BPA. Il s’agit d’une suspension, donc potentiellement temporaire, jusqu’à avis contraire de l’AFSSA. Le deuxième article évoque aussi deux publications attendues dans les mois suivants (délais non respectés) : une expertise collective de l’INSERM sur les perturbateurs endocriniens et un rapport du Gouvernement pour le Parlement présentant les mesures déjà prises et celles envisagées pour diminuer l’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens.

LOI n° 2010-729 du 30 juin 2010

Loi tendant à suspendre la commercialisation de biberons produits à base de bisphénol A
L'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté, et le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Article 1
La fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de biberons produits à base de bisphénol A sont suspendues jusqu'à l'adoption, par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, d'un avis motivé autorisant à nouveau ces opérations.

Article 2
Dans les deux mois qui suivent la publication par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale de son expertise collective sur les perturbateurs endocriniens et au plus tard le 1er janvier 2011, un rapport présentant les mesures déjà prises et celles envisagées pour diminuer l'exposition humaine à ces produits est adressé par le Gouvernement au Parlement.
La présente loi sera exécutée comme loi de l'Etat.
Fait à Paris, le 30 juin 2010.
Par le Président de la République : Nicolas Sarkozy