- Soraya Boudia
Soraya Boudia est maître de conférences en histoire et sociologie des sciences et des techniques, spécialiste de la controverse des faibles doses radioactives qui nous intéresse. Nous l’avons donc interviewée au tout début de notre enquête, afin qu’elle nous éclaire sur les acteurs majeurs de la controverse que nous aurions intérêt à rencontrer. Elle nous a apporté une vision globale de la controverse, enracinée dans l’histoire, ainsi que plusieurs éléments d’analyse propres à la sociologie des sciences.
Extraits
- Nature de la controverse
« Il y a vraiment plusieurs controverses dans la controverse. Sur les faibles doses, plusieurs controverses scientifiques se rejoignent ».
- Présence de la controverse dans l’espace public
« La question des faibles doses reste confinée au milieu d’expertise. On n’y comprend pas grand-chose dans l’espace public. C’est un peu compliqué. Mais par contre, elle est en permanence soulevée par une série d’affaires qui ne la formule pas sous le terme de faibles doses. Donc, finalement, la controverse est convoquée en permanence, mais pas du tout sous les termes des faibles doses parce que c’est vraiment trop technique ».
« Les termes de la controverse ne sont pas les mêmes dans l’espace public et dans les milieux d’expertise. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas parfois discutée en tant que telle. De temps en temps, il y a certains experts qui font des coups d’éclats publics. Mais elle était beaucoup plus dans l’espace public à l’époque de Tchernobyl qu’elle ne l’est maintenant. Mais par contre, elle a rebondi sur d’autres terrains ».
- Sur la législation
« La controverse a déjà eu des effets énormes sur la législation. […] Le problème pour l’industrie nucléaire, mais aussi pour les radiologistes, c’est qu’on est à la limite. Elles n’ont plus beaucoup de marges pour abaisser les normes ».
« Moi par exemple ce qui me frappe toujours, mais là c’est un peu plus mon avis personnel, c’est que si l’on travaille dans l’industrie nucléaire en tant que permanent, on est assez contrôlé. Mais quand vous êtes patients, vous pouvez, la même année, avoir un scanner et trois radios, personne ne vous dira rien ».
« Le problème c’est que le nucléaire – et c’est vrai par certains aspects – c’est l’une des industries les plus sures. Et quand les industriels regardent leurs collègues chimistes, ils ont un sentiment d’injustice ».
- Sur la position française
« La majorité des experts français ne croit pas aux effets des faibles doses. La position française est un peu particulière. Moi je travaille sur l’expertise internationale et on voit très clairement qu’on commence à tenir une position qui est un peu… marginale au sein de la communauté internationale ».
« De fait, les experts français les plus reconnus sur la question des faibles doses partagent l’avis de leurs collègues de la communauté internationale. Mais Maurice Tubiana, qui est quand même un scientifique de très grand renom, a participé à des réunions pour apporter la contradiction ».
« La France perd probablement du terrain sur l’expertise internationale ».
- Isabelle Dublineau
Isabelle Dublineau est une chercheuse de l’IRSN, et plus précisément, chercheuse au sein du programme ENVIRHOM, programme sociétal qui vise, grâce à ses recherches expérimentales sur des animaux, à atteindre une meilleure évaluation des risques liés à l’exposition chronique de radionucléides à la fois sur l’environnement et sur la santé de l’homme. Isabelle Dublineau nous a éclairé sur la controverse, nous expliquant les sous-controverses qui sous-tendent la problématique globale des faibles doses, comme par exemple, la question de l’exploitation des résultats trouvés sur les animaux, à l’homme. Ainsi, Isabelle Dublineau nous a apporté une approche scientifique et expérimentale de la controverse, nous montrant les difficultés que les scientifiques ont à étudier les effets des faibles doses sur la santé de l’homme, ainsi que des différents programmes mis en œuvre pour répondre à cette question.
Extraits
- Sur les risques des faibles doses
Une faible dose en tant que telle ne comporte pas de risque. Le problème c’est quand la faible dose est répétée tout les jours et quand elle est subie par une personne qui a déjà des pathologies, des bébés, des femmes enceintes, personnes âgées ; puisque ces personnes ont différents systèmes de défense.
En outre, il faut faire attention aux risques que peuvent provoquer l’association de la chimie, des pesticides, etc, que l’on consomme par exemple, à la radioactivité.
Les risques dus aux faibles doses radioactives ne se mesurent pas qu’en termes de nombres de cancers. A l’IRSN, des études sont menées sur des fonctions biologiques importantes telles que la reproduction, la fonction rénale, ainsi que sur des organes comme le cerveau. Les études sur les animaux montrent que le rein est détruit lorsqu’il est exposé à des fortes doses radioactives (uranium enrichi), en revanche, en présence de faibles doses (uranium appauvri), on observe des cellules marquées par la radioactivité, mais ce n’est pas toxique pour l’organe. Des résultats semblables ont été observés pour le système nerveux central, ainsi que pour la fonction reproductive, à savoir que les principaux risques de mort de l’organe surviennent suite à une exposition à de fortes doses, l’exposition à de faibles doses n’entraînant pas de disfonctionnement majeur de l’organe étudié.
- Sur l’extrapolation de l’animal à l’homme
Le rongeur est un animal très résistant. Si on ne trouve pas d’effet sur les rongeurs, cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas sur l’homme.
Le rat a une spécificité. L’uranium est absorbé à 100% chez l’homme et 5% chez le lapin mais il n’est absorbé qu’à 0,5% par le rat parce que ce dernier a des barrières digestives importantes.
Conclusion d’Isabelle Dublineau à ce sujet : si on ne voit pas d’effet chez l’animal cela ne veut pas dire qu’il y en a chez l’homme, mais s’il y a des effets sur l’animal, cela veut dire qu’il y en a probablement chez l’homme.
- Monique Séné
Monique Séné est une physicienne nucléaire, éditrice de La Gazette du nucléaire, revue scientifique informant des récents événements de l’industrie nucléaire, et des risques de cette technologie. Actuellement à la retraite, Monique Séné poursuit son activité scientifique en effectuant de l’expertise pour des commissions d’informations sur les réacteurs nucléaires. Elle fait également partie du comité scientifique de l’IRSN.
Selon elle, le plus important dans le débat des effets possibles des faibles doses radioactives, est de penser à la sûreté et à la protection de l’environnement et de la santé. Contrairement à l’avis de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences (Cf. André Aurengo), Monique Séné est contre l’utilisation de techniques productrices de faibles doses sans qu’on ait prouvé l’existence de risques avérés. En accord avec cette approche protectrice, Monique Séné est favorable à l’exploitation de la RLSS pour la gestion du risque, bien qu’elle critique la pertinence de ce modèle en ce qui concerne l’évaluation exacte du risque des faibles doses radioactives.
Extraits
- Sur la CIPR et l’Académie de médecine
Ils ont trop négligé la protection de l’environnement et de la santé des patients. Il faut polluer le moins possible l’atmosphère d’ondes radioactives.
- Sur le sentiment de la population
Les gens ont une attitude mitigée face aux faibles doses parce qu’elles sont dangereuses mais peuvent soigner. En moyenne, les gens ne sont pas vraiment contre, mais veulent être informés.
- Sur les risques
Il faut se méfier des faibles doses additionnées à de la chimie. On ne connaît pas les effets néfastes que pourraient avoir l’association de techniques médicales qui utiliseraient des faibles doses avec des techniques médicales chimiques.
- Sur la législation française
C’est l’ASN qui signe les arrêtés en matière de rejets nucléaires autorisés, mais c’est toujours le gouvernement qui publie ces arrêtés et qui les met en vigueur. Or les ministères ont de nombreuses pressions économiques qui ralentissent parfois la publication de ces arrêtés visant à limiter les émissions de doses radioactives.
- Jean René Jourdain
Pharmacien, spécialisé en radiobiologie, radiopharmacie, radiopathologie et titulaire d’une licence de droit de la santé, Jean-René Jourdain est actuellement chercheur au sein de l’IRSN.
Il est à la tête du projet EPICE, vaste étude épidémiologique qui vient d’être lancée et qui vise à donner un fondement scientifique aux conclusions tirées par Youri Bandajevsky en 1990, qui laissaient entendre que des pathologies non cancéreuses pouvaient être liées à une exposition prolongée aux faibles doses radioactives.
Il est convaincu que la RLSS est fausse et qu’il existe un seuil qu’il reconnaît ne pas être en mesure de placer. Il s’oppose absolument à ce que les faibles doses puissent avoir un effet bénéfique sur la santé et plaide pour l’adoption d’une courbe par pathologie. Il a en effet attiré notre attention sur le fait que les faibles doses pouvaient être impliquées dans des pathologies non cancéreuses et que, le cas échéant, maintenir un modèle dose-effet unique serait inapproprié.
Il a également participé en qualité d’expert au programme HLEG, remplacé en 2008 par MELODI. Il espère que la plateforme DOREMI, qui devrait, à termes, succéder à MELODI, pourra se constituer en autorité légitime et qu’elle servira de contrepoids au monopole exercé par la CIPR, monopole qu’il critique fortement.
Enfin, il est convaincu que poursuivre la recherche sur les faibles doses est une nécessité car elle seule pourra donner un fondement scientifique à la législation en matière de radioprotection. S’il doute de la pertinence de la RLSS, il ne critique pas le choix fait par les législateurs qui disposaient, lorsqu’ils se sont prononcés, de bien peu de preuves scientifiques tangibles sur lesquelles fonder leur décision.
Extraits
- Sur la CRIIRAD
« Je suis un fervent défenseur des associations antinucléaires car il est nécessaire que l’on ait ce contre-pouvoir en France. [..] Mais, scientifiquement, leur discours ne tient pas la route. Quand on en vient à l’interprétation des résultats, c’est 0 pointé. Ils n’ont absolument aucune hauteur de vue. Mais ce sont de très bons métrologues qui peuvent titiller les institutionnels ».
- Sur indépendance de l’IRSN
« On dit beaucoup que l’IRSN n’est pas une institution indépendante car elle a 5 ministères de tutelles. Il n’empêche qu’aucun ministère ne peut interdire de lancer un programme. C’est ça l’indépendance. »
- Sur l’additivité des doses
« Jusqu’à présent, la CIPR a toujours dit que une somme d’expositions répétées à des faibles doses était égale à une forte dose. Elle a mis en place la théorie de l’additivité des doses. Mais expérimentalement, on sait que c’est faux. Une exposition chronique à des faibles rayonnements ne donne pas les mêmes effets qu’une exposition aigue. Cela, on le sait notamment grâce au programme ENVIRHOM. Ce ne sont pas les mêmes systèmes physiologiques qui sont touchés, et on n’observe pas non plus les mêmes pathologies ».
- Sur le programme EPICE
Un programme qui a rencontré de nombreuses difficultés :
Le programme a commencé avec une étude pilote. Il s’agissait de savoir si un tel programme valait le coup. Il fallait notamment tester deux points : la collaboration avec les Russes et la réception du programme par la population. Cette étude a aussi permis de se rendre compte qu’il était nécessaire d’acheter le matériel depuis la Russie pour éviter qu’il ne soit bloqué aux frontières. Cette étude a été très médiatisée.
L’enjeu du programme était de répondre aux questions que l’on se posait en France. En effet, aucune étude ne montrait par A+B qu’il y avait ou qu’il n’y avait pas d’effets des faibles doses. Mener un programme de ce type en France n’aurait pas été possible compte tenu du niveau des doses reçu. Les experts ont calculé le ratio risque/excès de risque. Mais excès de risque plus faible que l’incertitude qui accompagnait le calcul. Mener une étude épidémiologique sur les faibles doses en France n’a donc pas de sens.
Il a ensuite fallu déterminer la pathologie à laquelle on s’intéresserait. En premier lieu, JR Jourdain et son équipe ont pensé aux cataractes car :
- on savait distinguer entre celles qui étaient radio-induites et celles qui ne l’étaient pas (ce que l’on ne sait pas faire avec le cancer de la thyroïde)
- le diagnostique est simple
Problème : les cataractes n’apparaissent pas après une contamination interne.
L’équipe a donc décidé de s’intéresser aux arythmies cardiaques (Mais on ne sait pas distinguer celles qui sont radio-induites... à repréciser donc).
Il a fallu quatre ans et demi pour que le programme commence.
Objectif : « savoir si les enfants – qui sont les personnes qui ont été les plus touchées par l’accident de Tchernobyl – qui vivent en ingèrent des aliments contaminés au césium 137 (exposition indirecte) présentent des dysfonctionnements/pathologies ».
Originalité : « Toute la littérature concerne le cancer. Jamais vous ne trouverez des choses sur les pathologies non cancéreuses tout simplement parce que les radiobiologistes ont longtemps considéré que les radiations ne provoquaient rien en dehors des cancers. On a commencé à s’intéresser aux pathologies non cancéreuses au début des années 2000’s grâce aux travaux du biélorusse…XXX. Ces travaux étaient intéressants mais très, trop flous. Dès qu’on leur demandait des précisions sur les différentes pathologies qu’ils observaient chez les enfants, on n’obtenait pas de réponse. Ils disaient observer des cataractes, des troubles du rythme cardiovasculaire, d’ulcères, anémie, déficit du SI ainsi que de troubles psychologiques, notamment des difficultés d’apprentissage. Au début, tout le monde rigolait. Les radiobiologistes attribuaient ces pathologies à l’alcool et ne croyaient pas du tout qu’elles pouvaient être liées aux radiations. A l’IRSN, on a eu des doutes. On a lancé le programme ENVIRHOM pour y répondre ».
- Sur la RLSS
« La RLSS est fausse, je suis convaincu qu’il y a un seuil, mais où ? Je pense également qu’il n’y a pas qu’une seule courbe, et qu’il faudrait plutôt faire une courbe par pathologie. Décrire un phénomène par un seuil courbe est inexact. Il faut adopter une approche différente des épidémiologistes actuels : c'est-à-dire faire une approche par pathologie afin de diminuer les confusions et les délais »
- Sur la CIPR
« CIPR est un lobby trop fort et antidémocratique. […] Je trouve personnellement que leur discussion n’est pas scientifiquement fondée. Ils restent fixés sur la RLSS sans se poser de vraies questions ».
« Je pense sincèrement qu’il faut trouver un contrepouvoir à la CIPR, et mieux identifier les questions scientifiques, les lacunes de connaissances, les programmes de recherche à lancer…Une feuille de route à l’échelle européenne est nécessaire afin de contrer le système UNSCEAR – CIPR ».
- Sur la perception de la controverse par le public
« Le problème de la question des faibles doses et du nucléaire en général, c’est que le public assimile trop rapidement le nucléaire à l’industrie du nucléaire. Si on dit « centrale nucléaire », on entend directement « Tchernobyl ». Or pour le public, c’est inaudible que d’entendre que le rejet des centrales nucléaires constitue des faibles doses. Et, paradoxalement, il n’y a aucune discussion sur la médecine nucléaire alors que les faibles doses reçues sont plus fortes. Le public réfléchit trop systématiquement en BON et MAUVAIS nucléaire ».
- André Aurengo
Le professeur André Aurengo est un médecin spécialisé en médecine nucléaire, responsable du service de médecine nucléaire de l’hôpital La Pitié Salpêtrière. Avec Dietrich AVERBECK, André BONNIN, Bernard LE GUEN, Roland MASSE, Roger MONIER, Maurice TUBIANA (Président), Alain-Jacques VALLERON et Florent de VATHAIRE, il a écrit le rapport de l’Académie de Médecine, visant à apporter des éclaircissements sur les risques potentiels engendrés par l’utilisation d’instruments médicaux thérapeutiques ou de diagnostic, émettant des faibles doses radioactives, sur la santé des patients. A ce titre, nous avons choisi de le rencontrer. La position de l’Académie de médecine, qu’il partage, est que l’utilisation d’outils médicaux émettant des faibles doses n’est pas à prohiber, surtout quand le bénéfice qu’elle engendre pour la santé du patient est supérieur au risque (encore non avéré) d’exposition aux faibles doses.
Ainsi, en effectuant une balance entre les bénéfices et les risques potentiels de l’utilisation de ces techniques radioactives, lors de la détection de tumeurs cancéreuses par exemple, on retient la solution la plus raisonnable dans l’intérêt de la santé du patient. D’une manière plus pratique, le Pr André Aurengo nous a expliqué que l’utilisation des scanners (émetteurs de faibles doses) ne se faisait que lorsque cela était nécessaire.
Il désapprouve le modèle de la relation linéaire sans seuil, et serait plutôt pour le modèle de la relation quadratique, qui ne prévoit pas d’effet aux faibles doses, mais seulement aux fortes doses, à partir de 100 mSv.
Extraits
- Sur la RLSS
La CIPR effectue une confusion entre l’évaluation et la gestion du risque : on peut utiliser une RLSS pour la gestion du risque mais on ne peut pas affirmer que la RLSS soit vraie.
- Sur l’additivité des doses
Si des cellules souches sont touchées tous les six mois par exemple, la dose va devenir additive. En revanche, lorsque des cellules renouvelables sont touchées par des ondes radioactives, elles sont détruites puis renouvelées, dans ce cas, la dose n’est pas additive. La question du débit de dose est également importante : un débit élevé peut entraîner plusieurs lésions mortelles, alors qu’un débit lent laisse le temps aux cellules d’activer leurs mécanismes de réparation.
- Sur les risques des examens de diagnostic
En règle générale, on évite d’exposer les fœtus aux ondes radioactives. Cependant, si lui ou sa mère présente un grave problème de santé, on va faire le diagnostic en exposant le fœtus à des ondes.
On va effectuer cela, tout en connaissant les risques dus à l’irradiation chez lez fœtus :
- malformation : il est prouvé qu’au dessus d’une dose de 100 mSv, l’individu présentera des malformations.
- Induction de cancers : elle n’est pas encore prouvée, mais certaines études comme celle d’Oxford montrent qu’il y a bien des cancers induits des faibles doses radioactives.
- Malformations congénitales héréditaires : on les a observées chez l’animal mais pas chez l’homme.
- Sur l’extrapolation de l’animal à l’homme
on ne peut vraiment pas extrapoler, l’homme et le rat n’ont pas le même métabolisme, il ne faut pas faire de conclusions rapides.
- Sur la controverse entre les médecins : dans quelle mesure faut-il utiliser les technologies émettant des faibles doses radioactives ?
Selon André Aurengo, il faut effectuer une balance entre les risques liés aux faibles doses, et les risques liés au fait de ne pas pratiquer les examens radiologiques. Il y a eu une publication des Bonnes pratiques médicales qui indiquent les conditions pratiques et les indications de l’examen). On peut s’en écarter, mais il faut avoir des bonnes raisons, justifiées médicalement. De plus, en matière de protection des patients, une directive européenne (une bonne directive selon A. Aurengo) a été émise puis transposé en droit français : c’est la directive 97-43 qui dit que les examens devraient être interdits s’ils représentent des risques. On voit toute l’ambigüité du conditionnel, qui permet cette balance risques/bénéfices, au bon jugement du médecin.
- Jean-Yves Le Déaut
Elu député socialiste de Meurthe-et-Moselle en 1986 (toujours réélu depuis), cet ancien professeur de biologie moléculaire a présidé l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Technologiques et Scientifiques et a, dans le cadre de cette fonction, piloté un rapport sur les faibles doses radioactives. C’est à ce titre que nous avons tenu à le rencontrer.
Il ne considère pas que la problématique des faibles doses radioactives soit une controverse majeure. Son absence répétée dans le débat public lui semble justifiée car il existe selon lui bien d’autres problèmes qui méritent, avant les faibles doses, qu’on leur accorde notre attention. Il pense qu’avec les faibles doses, la France s’offre « un luxe de précaution » et regrette que l’on ait pas plus étudié les implications financières de la législation en place. S’il ne dit pas ouvertement que les seuils actuellement fixés sont trop bas, il s’oppose absolument à ce qu’on les baisse à nouveau.
Extraits
- Sur la législation actuelle
« Moi, j’ai tendance à dire qu’imposer une réglementation sur les faibles doses sans avoir de certitudes quant à leurs effets, pour des doses inférieures à ce que l’on tolère tous les jours, c’est prendre un luxe de précaution. On peut se permettre un luxe de précaution s’il y n’y a pas d’incidence financière. L’argent est une ressource rare et il faut essayer de mieux le dépenser si on est certain qu’en faisant de la prévention, on aura un effet durable ».
« La législation sur les faibles doses, il ne faut pas sans cesse rabaisser les seuils quand on arrive au niveau de la radioactivité naturelle car on arrive à des niveaux de contrôle très couteux. Il ne faut pas être plus royaliste que le roi »
- Sur l’importance de la controverse dans l’espace public
« Est-ce que vous pensez que dans la société, le débat sur les faibles doses existe vraiment ? Non.
Est-ce que vous pensez qu’il devrait exister ? Non. Moi, je suis pour les vrais débats dans la société, qui portent sur des sujets majeurs. Il faut s’inquiéter des risques les plus importants. Ca ne veut pas dire que des gens ne doivent pas se préoccuper de la question car il faut arriver à un consensus grâce à l’expertise. L’expertise scientifique doit être contradictoire, pluraliste, transparente ».
- Sur la difficulté de mettre en place une législation sur les faibles doses
Quand vous êtes confronté à une incertitude scientifique réelle, comment faites-vous pour décider d’une législation ?
«C’est très compliqué. Il faut « prendre des décisions scientifiques dures sur des certitudes scientifiques molles ». Prendre des décisions politiques dures, c’est parce qu’à un moment donné, à cause du principe de précaution ou de la pression de l’opinion publique, si vous ne prenez pas de décisions, on va vous le reprocher. Donc il faut prendre des décisions, que l’on essaie d’argumenter avec des expertises et des contre-expertises. Mais il y a des exemples où les pressions sont tellement fortes que vous n’arrivez pas à prendre une décision qui soit uniquement basée sur l’expertise. Si vous arrivez à mettre ensemble les scientifiques, les politiques et les citoyens dans une conférence de citoyens, vous allez prendre une meilleure décision sauf que, sur des sujets sur lesquels les gens ont des convictions, la décision ne sera pas acceptée ».
- François Paris
Chef d’une équipe de 15 personnes à l’INSERM travaillant sur les effets induits de la radiobiologie, il cherche en particulier à mieux caractériser et comprendre la réponse des tumeurs et des tissus sains aux irradiations. Le but de ces recherches est d’améliorer les traitements contre le cancer, notamment en développant de nouveaux traitements. Il a participé au projet Risc-Rad en 2005.
Il est convaincu que les faibles doses constituent une controverse majeure, allant jusqu’à parler de « polémique ». Par ailleurs, il récuse l’idée que les modèles animaux puissent être des obstacles à la recherche dans le domaine des faibles doses bien qu’il reconnaisse volontiers les difficultés éthiques soulevées par leur utilisation. Il nous a éclairé sur le statut des différentes équipes de recherche en France, en insistant particulièrement sur la différence existant entre l’INSERM (Etablissement public de recherche et de technologies), qui travaille avec des fonds publics mais dont les équipes sont libres de choisir leur thématique de recherche si elles obtiennent l’agrément de leurs pairs, et l’IRSN, fonctionnant également avec des fonds publics mais étant beaucoup plus sujet aux contrats d’objectifs. Il est également revenu sur ses résultats, confirmant ce qu’Isabelle Dublineau nous avait expliqué auparavant : à l’heure actuelle, les scientifiques ont la preuve que des fonctions biologiques sont altérées par les faibles doses, mais cette altération n’a encore jamais été reliée à une pathologie spécifique… Enfin, il s’est montré dubitatif quant aux études épidémiologiques, critiquant leur coût et leur durée ainsi que la fiabilité des interprétations qui en sont tirées. Il a rappelé cette phrase d’Edgar Faure : « les sondages, c’est comme les mini-jupes, ca fait rêver mais ça cache le principal »
Extraits
- Point de vue général
« Le risque des faibles doses, il est hors de question de dire qu’il n’existe pas. Il y a des études qui montrent qu’il y a des risques. On voit des signatures génétiques, des mutations de l’ADN, que certains mécanismes de survie cellulaire n’existent pas lorsque les cellules sont soumises à des faibles doses d’irradiation ».
- Sur la différence entre les organismes de recherche
« je fais partie d’un EPST, établissement public de sciences et de technologies. IRSN est un établissement public industriel et commercial (EPIC). La finalité n’est pas la même. On travaille tous les deux avec des fonds publics mais la différence c’est que nous, on doit aller chercher les fonds et on est moins avec des contrats d’objectifs. J’ai des contrats d’objectifs mais c’est moi qui me les donne en allant chercher les fonds ».
« Je travaille sur les radiations mais je peux travailler sur l’aspect qui m’intéresse des radiations. Par contre, il faut que mes pairs trouvent la question intéressante. A la différence de l’IRSN qui va devoir travailler sur un aspect précis des radiations parce que le gouvernement, parce que EDF leur a posé cette question là ».
- Sur les résultats de sa recherche
« On a une signature des faibles doses d’irradiation, on ne peut pas dire l’inverse. Par contre, nous ne sommes pas capables de dire s’il y a un effet biologique en termes pathologiques ».
- Sur la recherche sur les modèles animaux
« C’est très délicat. Cela aussi est une question de débat.. On ne peut pas se passer des modèles animaux. Chaque tissu a une radiosensibilité différente. Interpréter des choses à partir de cellules en culture ne permettra jamais de conclure sur un bon résultat ».
« Si les résultats sont positifs chez le rongeur, il ya des chances pour que ce soit positif chez l’homme. Si c’est négatif chez le rongeur, on ne sait pas ».
« Il y a une controverse car les résultats que l’on trouve chez l’animal ne sont pas toujours corrélés avec les résultats que l’on trouve chez l’homme. Mais, la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Les voies de réparations sont retrouvées chez la souris comme chez l’homme, les voies d’intérêts on les retrouve chez la souris et chez l’homme… Ce sont quand même des modèles de biologie intégrée ! ».
- Sur les études épidémiologiques
« On voit bien ici que mener des études épidémiologiques est difficile car on est nécessairement confronté au problème des aléas que l’on n’a pas avec des souris ».
« En plus, on se retrouve souvent avec des études multifactorielles (ceux qui vivent dans les Alpes, près d’une centrale, qui prennent beaucoup l’avion…) et on est confronté au problème du risque cumulé, sur lequel on ne sait pas encore grand-chose. Il y a aussi le problème de l’âge auquel on reçoit la dose d’irradiation »
« Ce qui est important pour votre POLEMIQUE, ce sont les études épidémiologiques mais, comme le dirait Edgar Faure, « les sondages, c’est comme les mini-jupes, ca fait rêver mais ça cache le principal ». C’est la même chose avec les études épidémiologiques parce que dès qu’on a des résultats au niveau épidémiologique, comme avec un sondage, on peut les interpréter de différentes façons… on peut voir le verre d’eau à moitié plein ou à moitié rempli en fonction de son penchant naturel… ».