Entretien avec P.Aigrain


Rencontré le 10 Mars 2010,


Acteur : Philippe Aigrain

Défenseur ou opposant à la loi : Opposant


Fonction- Origine : Militant-bloggeur et écrivain engagé sur ces sujets qui a proposé la Licence Globale. Il est également le fondateur de la Quadrature du Net


Date/Voie/raison d’entrée dans la controverse : Il s’intéresse aux enjeux d’Internet depuis 12 ans, c’est-à-dire depuis qu’il les a rencontrés en travaillant à la Commission Européenne.


Mot clé du discours :


Licence globale
Libertés numériques
Renouveau de la démocratie
Diversité de la création

Documents (écrits, cités, liés) :  http://paigrain.debatpublic.net/, Livre : Internet et Création, Libro Veritas, 2008

Sous controverses abordées :


Licence globale
Légitimité des chiffres et expertises
Débat public
Applicabilité technique


Positions dégagées :
La controverse s’inscrit dans un champ très vaste et le schéma des acteurs est donc complexe. Il s’agit d’un véritable enjeu politique car les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication sont un moyen efficace et prometteur pour améliorer la démocratie et le débat public. La bonne solution aurait été la licence globale

Questions posées - réponses données :


Présentation-Origine ?


Il y a environ 12 ans, je suis devenu un analyste des enjeux de la société de l'information. J’ai beaucoup écrit et participé à des débats sur ce sujet. Je suis donc un acteur engagé.
Selon moi, la question s’inscrit dans un champ plus vaste que celui des pratiques de partage car il s’agit ici d’un enjeu en devenir. J’ai donc promu et promeus toujours de nouvelles formes d’activisme qui se développent et sont porteuses d’un renouvellement des pratiques politiques. On voit en effet l’émergence d’une vraie expertise sociétale et de sources d’informations très précises.
Je ne me suis pas contenté de critiquer les mesures prévues par les lois HADOPI mais j’ai porté les alternatives possibles tout au long du débat.
Déjà pour la loi DADVSI, le débat prenait ce schéma: une opposition proposant la licence globale qui aurait permis l’alliance du public et des artistes mais je me suis à ce moment-là uniquement impliqué en tant que commentateur et bloggeur. Alors que quand le sujet est revenu avec HADOPI je me suis, avec d’autres acteurs, beaucoup plus impliqué et ai fondé la Quadrature du Net avec dès le départ l’objectif d’amener des propositions d’alternatives.
Pensez-vous qu'il fallait légiférer ? Comment s’est organisé le débat ? 
Pendant longtemps, on ne savait pas quel impact avait réellement le téléchargement illégal sur les ventes. Ainsi, j’ai toujours écrit en considérant l’impact le plus négatif, en faisant donc la pire des hypothèses. Mais aujourd’hui, je suis convaincu que cet impact est en réalité positif ou, au pire des cas, neutre sur les revenus des acteurs de l’industrie culturelle et positif pour l’économie en général. En effet, en ce qui concerne l’impact du téléchargement illégal en France, plusieurs études ont été réalisées mais elles restent peu convaincantes à cause des conflits d’intérêts (beaucoup on été menées par l’industrie des télécommunications).  Des études plus légitimes ont été faites au Canada, aux Pays-Bas ou en Suède et montrent toutes qu’il existe en réalité un effet positif du téléchargement.
Il faut bien faire attention à ne pas trop simplifier le schéma des acteurs et à ne pas confondre industrie culturelle et artiste, bénéfices des majors et chiffre d'affaires. De même il ne faut pas rassembler tous les opposants dans un même ensemble. En effet, certains opposants de la loi refusent toute contribution car ils cultivent une certaine méfiance à l'égard de la gestion collective. Ils défendent alors un modèle sans aucune intervention étatique. Au contraire, les tenants d'une contribution collective pensent que cette intervention est faisable sous certaines conditions.

cartoaigrain
On peut également aborder le problème par un autre angle que celui des chiffres de l’impact du téléchargement : puisqu’il existe des moyens de copier et de distribuer des contenus culturels est-il pensable d’interdire ces pratiques ? Même si cela est possible techniquement comme le prouve la Chine, d’un point de vue politique ça s’apparenterait à de l’obscurantisme. Au départ, on pensait simplement que c’était impossible au nom de la protection des libertés mais on s’est rendu compte que les politiques sont prêts à prendre ce risque qui peut s’avérer très coûteux politiquement.  De plus il y a beaucoup d’effets pervers à cette réglementation comme le montre le triplement du volume d’échanges cryptés grâce aux attaques contre piratebay.
En ce qui concerne l’organisation du débat, je trouve que la question technique n’a été abordée que par une presse économique ou technique spécialisée et qu’elle n’a donc pas vraiment pesée. De plus le fait que lors de la mise en place de la Commission Olivennes son président ait affirmé: « nous ne discuterons pas de la licence globale, personne n’en veut », montre le refus du ministre de prendre en compte toutes les propositions. Si on avait simplement entrouvert cette porte en lançant l’idée que le partage peut être une solution souhaitable et qu’il fallait l’expérimenter, cela aurait démoli certains arguments. Certains doutent donc vraiment de la possibilité de mettre en place un nouveau système de ce type mais en réalité il peut fonctionner comme le montre, à une plus petite échelle, la radio qui a marqué la naissance d’une nouvelle forme de diffusion avec une tentative de rémunération collective et  par laquelle les revenus des compositeurs dépassent ceux permis par le disque.
Internet représente un séisme dans la culture car il amène à penser l’avenir du support des œuvres qui est amené à disparaître. On entre donc dans une logique de l’accès et non de la possession. Cela permet de plus une revalorisation du spectacle vivant. Internet pose donc de nouveaux problèmes.  

Quelle sera la suite des évènements selon vous ?


En France, rien ne changera d’ici 2012 car d’ici là on attend le décret d’application de HADOPI que l’on pourra critiquer. Or un gouvernement rationnel laisserait trainer les choses. Cependant,  les appels d’offre auprès de spécialistes en sécurité semblent montrer que le gouvernement ne souhaite par s’arrêter là car il considère que le contrôle de l’espace public Internet est un enjeu pour 2012. Pour l’application de la loi, je pense qu’ils feront quelques exemples pour ne pas perdre la face, ce qui est surprenant car on aurait pu penser que ne pas mettre de sanction suffirait à faire peur.


Et pour après 2012 ?

Etant donné que de nombreux phénomènes de fond, comme le report du P2P sur le streaming ou les accords passés entre des sites comme Spotify et les majors (qui y gagnent, contrairement aux artistes), continuent à exister, on voit qu’Hadopi n’est pas conçue pour fonctionner mais pour élever le coût de la pratique. On pousse donc le consommateur dans d’autres directions. 
Ceci pose beaucoup de questions pour la suite : Comment, dans un monde avec 20 fois plus de créateurs, peut-on maintenir des trajectoires de professionnalisation des pratiques ? Il faut avant tout aider la qualité à exister.
De plus, les nouveaux débats à venir se feront dans des termes très différents. En effet, personne ne veut supprimer la liberté d'expression, mais les politiques ne veulent pas la voir déborder sur leur influence. Ainsi se développera le désir d’un débat public avec des outils plus sophistiqué des deux côtés. Les blogs deviendront des outils majeurs pour structurer l’espace public. La méthode de la politique rhétorique visant à imposer un cadre de débat et des formules-clés est donc dépassée mais fera durablement résistance à l’irruption de ce nouvel espace public.
En ce qui concerne l’avenir de la licence globale, il va falloir approfondir et réviser l’argumentaire car les expériences anecdotiques qui vont être menées comme sur l’île de Mann seront faites à trop petite échelle pour pouvoir faire tâche d’huile.
Je suis donc convaincu que c’est dans ce type de débat que se trouve le renouveau de la social-démocratie et de l’écologie, car le but est de sortir de la gouvernance administrative pour promouvoir une mutualisation avec la société de l’information. Ce phénomène ne se ferra qu’avec l’innovation.
Par conséquent, notre débat n'est qu'un morceau d'un projet plus grand pour lequel il faut inventer de nouveaux mécanismes.

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