Entretien avec Philippe Axel,

Rencontré le 21 Mai 2010,

Défenseur ou opposant à la loi : Opposant

Fonction : auteur-musicien-auteur compositeur- commercial dans le disque et la vidéo-webmaster - a travaillé sur ce sujet avec Jacques Attali

Voie/raison d’entrée dans la controverse : interlocuteur des débats sur la DADVSI et la HADOPI

Mot clé du discours : bien non rival,  marché, incompétence, licence globale

Documents (écrits, cités, liés) :
http://www.philaxel.com/
http://embedr.com/playlist/philippe-axel-confrence-musique-et-internet
Livre : La révolution musicale, 2007, éditions Pearson/Village

Sous controverses abordées :


Débat démocratique
Faisabilité technique
Propriété intellectuelle

Positions dégagées :


Il faut légiférer car Internet nécessité une régulation mais Hadopi est une réforme dans le sens du marché, ce qui montre le manque d’indépendance du gouvernement. La démocratie n’a pas pu s’exercer pleinement car très peu des acteurs du débat étaient compétents en la matière. La HADOPI ne contrôle que les réseaux de P2P qui sont déjà largement remplacé par de nombreuses autres opérations. La dépénalisation des échanges d’œuvres culturelles dans le cadre non lucratif n’empêche pas la rémunération des artistes dans le cadre lucratif. La loi sera inefficace.

Compte rendu :

  1. Pouvez-vous vous présenter ?

Philippe Axel, je suis l’auteur d’un blog depuis 2001 (www.philaxel.com) et d’un livre sur l’économie numérique de la musique paru en novembre 2007 aux éditions Pearson/Village mondial : la révolution musicale. Je suis musicien, auteur-compositeur de chansons et j’ai choisi de diffuser ma musique en licence ouverte Creative Commons . Je suis aussi un ancien commercial dans le disque et la vidéo (Cogedep, Film Office) et un professionnel de l’internet. J’ai animé quelques communautés virtuelles depuis 1997, notamment un site important de jeux vidéo pour France Telecom au début des années 2000. J’ai été aussi le premier webmaster d’une communauté virtuelle qui s’appelait respublica.fr et le responsable de développement France d’une ligue pro de jeux vidéo en réseau. Je connais donc bien à la fois la distribution physique, l’industrie musicale, l’internet , les jeux vidéo, les internautes et leurs pratiques.

  1. Comment avez-vous été lié au dossier Hadopi ?

Mon blog puis mon livre ont fait de moi un interlocuteur lors des débats de la DADVSI au CSPLA (Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique) ou à la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération), puis ensuite lors des débats de la loi Hadopi. Je représente avec d’autres, une vision ouverte de la propriété intellectuelle sur Internet , adaptée à la nature même du fichier numérique qui est un bien non rival, c'est-à-dire un bien dont on n’est pas dépossédé quand on le donne. Je défends entre autres choses, l’idée d’une participation à la production de contenus sur internet qui aiderait au financement non seulement de la musique, du cinéma, mais aussi de la presse, des services publics ou encore des ONG. Car je considère que ni la vente à l’unité de fichiers, ni les abonnements et ni la pub ne sont des modèles durables pour financer la production des contenus numériques sur le Web quels qu’ils soient.

  1. Au départ, fallait-il légiférer sur la protection des créations numériques ? Pensez-vous que les politiques ont eu raison d’intervenir sur Internet ?

Oui, les politiques ont eu raison d’intervenir sur Internet qui a besoin de régulation. Le problème c’est que nous ne sommes pas d’accord sur le type de régulation. Certains veulent réguler des pratiques culturelles des internautes alors qu’il faudrait plutôt réguler le marché, c’est différent. Pour moi il existe une nouvelle religion : la consommation. Son église (le marché et ses grands groupes), avec ses symboles (les marques) et ses rituels (la publicité) font la culture de notre pays aujourd’hui et dictent même les lois. Comme nous avons réalisé  en France au début du 20ème siècle la séparation des églises et de l’état, aujourd’hui, au début du 21ème, une nouvelle laïcité est à bâtir : la séparation du marché et de l’état. La Hadopi est l’exemple même d’une réforme du code de la propriété intellectuelle dans le sens du marché, et pas du tout dans le sens des auteurs et des citoyens. Alors que nous avions hérité depuis le siècle des lumières d’une vision équilibrée, nos hommes politiques ne sont plus assez indépendants pour l’adapter correctement à l’ère numérique dans le même esprit. Certes il faut une protection des créations numériques, il faut un droit d’auteur, il faut un code de la propriété intellectuelle, et je ne suis pas de ceux qui veulent envoyer tout cela à la poubelle. On oublie simplement que s’il existe un code spécifique de la propriété intellectuelle, c’est bien qu’elle est intrinsèquement différente de la propriété matérielle. Ce n’est pas la même chose d’avoir une voiture que d’avoir une chanson. Cela paraît évident mais lisez tous les pro-hadopi, et vous lirez quelque part un amalgame de ce genre : « on ne vole pas une boite de chocolat dans un magasin, donc on ne vole pas une chanson sur Internet ». C’est une confusion grave non seulement au niveau philosophique mais aussi économique, puisque ce sont des biens de nature différente.

  1. Etes-vous en accord avec la procédure d’adoption de la loi décidée par le gouvernement ?

Sur la forme la procédure d’adoption me semble conforme à la constitution, elle est passée par tous les stades, y compris une correction majeure de la part du conseil constitutionnel qui a honoré la France en obligeant la Hadopi à passer par un juge pour toute déconnection à Internet, considérée comme une atteinte potentielle à la liberté d’expression. Sur le fond, je trouve le cheminement intellectuel désastreux. Un président de la république visiblement réfractaire au numérique, qui fait une promesse à quelques amis du showbiz, qui nomme ensuite des ministres de la culture qui n’y connaissent rien non plus (compétents sans doute mais dans d’autres domaines), et qui suivent au final la préconisation du patron d’une grande entreprise de partie prenante dans le dossier (Denis Olivennes alors patron de la FNAC). Ce n’est tout simplement pas sérieux dès le départ. Ensuite nous avons des sénateurs et des députés à droite comme à gauche qui ont pensé de bonne foi qu’ils allaient sauver des emplois en interdisant le chemin de fer pour préserver le syndicat des cavaliers du Pony Express. Le pire, c’est que nous avons demandé que soient menées des études d’impact scientifiques et indépendantes des différentes formes de licence globale, et qu’à ce jour personne n’a fait ce travail. Pourtant la commission Attali par exemple, avait suggéré cette solution. Donc quand on refuse une solution sans l’avoir étudiée en profondeur, on légifère dans l’ignorance. Il en résulte alors une vision purement dogmatique. Quand on est face à un problème aussi complexe on étudie toutes les solutions possibles en profondeur avant de se prononcer.

  1. Pensez-vous que les citoyens devraient davantage participer au débat ? Comment ?

Je pense que la démocratie participative trouve ses limites dans la compétence réelle de ceux qui s’expriment sur un sujet donné. Le citoyen doit s’exprimer lorsqu’il a travaillé un minimum son sujet. Vous chercherez sur mon blog, je n’y parle pas de prolifération nucléaire ou de la disparition de la pêche au thon parce que je n’y connais rien, donc c’est une politesse de se taire dans ce cas. Travailler sur un sujet c’est quoi ? C’est lire les différents points de vus, passer du temps sur la controverse. Je suis allé jusqu’à lire Denis Olivennes et Oliver Bomsel, qui sont à l’origine de la Hadopi, un stabilo dans une main pour relever les passages les plus importants. Et je peux vous affirmer que c’était une lecture très pénible, mais très utile. J’ai lu par exemple  en première page ligne 15 du livre  « la gratuité c’est le vol » (editions Grasset) de Denis Olivennes les mots assez explicites : « la culture est un objet de commerce ». Et dans un texte de son ami économiste qui faisait parti de sa commission, Olivier Bomsel : « il n’y a pas d’exception culturelle » (« après l’exception culturelle quelques règles d’économie » tribune dans Neteco  12 janvier 2006). Si de nombreux citoyens et surtout, les professionnels concernés, nos sénateurs et députés avaient vraiment lu cela, je pense qu’ils auraient entrevus avec plus de discernement  la véritable finalité politique de ce type de loi. Donc les citoyens participeraient avec efficacité au débat s’ils exigeaient simplement des travaux véritablement sérieux en amont des textes de lois. Il faut exiger une démocratie de compétence. En suivant les débats de la Hadopi au sénat et à l’assemblée nationale, j’ai été frappé par cela, le manque de compétence et de travail, à gauche comme à droite. On s’est reposé sur trois ou quatre députés ou sénateurs, c’est ridicule et cela tue la république à petit feu de voir des hémicycles vides voter des lois ainsi, d’autant que jamais les débats n’ont été aussi suivis sur le Net par un public très jeune qui a découvert le processus législatif à cette occasion.

  1. Pensez-vous que le dispositif final soit efficace ?

Absolument pas. D’ailleurs ceux qui l’ont porté vont vous dire déjà qu’il n’était pas là pour être totalement efficace, ce qui est un aveu d’impuissance. La vérité c’est que l’on évalue à plus de dix millions le nombre de Français pour qui les fins de mois se jouent à 50 euros près en ce moment. Ceux qui veulent la mise en place de la Hadopi ne sont pas dans ce cas, et ne me dites pas que c’est populiste de dire cela, c’est la simple vérité. Il faut vivre la fin de mois difficile pour la comprendre vraiment. Les familles dépensent aujourd’hui des sommes qu’elles ne dépensaient pas hier pour les abonnements au téléphone portable (souvent plusieurs par famille), abonnements Internet et autres jeux vidéos à 40 € la cartouche pour le fiston. Alors ils ne s’en sortent pas. Ils n’achètent plus de CD et les Fournisseurs d’accès à Internet leur ont promis à coup de pub qu’ils pourraient télécharger sur Internet de la musique et des films et donc économiser autant. Et aujourd’hui on pense vraiment que l’on va obliger ces gens à installer un logiciel mouchard sur leur ordinateur pour surveiller leur connexion ? Puisque le nouveau délit créé je le rappelle est celui de « manquement à la surveillance de sa connexion internet ». C’est tout simplement délirant. Quand je lis par exemple Pascal Rogard le directeur général de la SACD , expliquer que ceux qui téléchargent des œuvres sont des « lâches », j’ai envie de lui demander « est-ce lâche d’être pauvre ? ».

  1. A-t-on les moyens techniques d’appliquer ce dispositif ? Pose-t-il des difficultés techniques ?

La Hadopi n’a toujours pas été capable à l’heure où j’écris ces mots fin mai 2010 de donner un seul nom de logiciel capable de sécuriser correctement votre accès Internet de tout téléchargement de musique ou de film par une tierce personne, alors que cela fait plus d’un an que la loi est passée au parlement. Et pendant ce temps là Laurent Baffie continue de télécharger des films chez ses voisins dans une pub pour un Fournisseur d’accès .

  1. Quelles alternatives auraient pu être choisies ?

L’anecdote de la pub de Laurent Baffie n’est pas  juste là pour faire sourire. Les Fournisseurs d’accès à Internet se sont développés par la gratuité des contenus sans jamais avoir contribué à les financer. C’est là que le marché devait être régulé. En incluant une somme forfaitaire dans l’abonnement à Internet pour libérer les usages non lucratifs des œuvres, on n’empêcherait nullement les sociétés de droits d’auteurs de continuer la perception des droits dans le cadre lucratif et les industriels de vendre de nouveaux produits dérivés culturels adaptés à notre époque. Ce serait le moyen de faire payer à la fois le consommateur et le fournisseur d’accès, un peu dans l’esprit de la redevance pour copie privée sur les CD vierges. Voilà le vrai équilibre. Mais voilà, les adversaires de la licence globale ont agité la menace de la collectivisation du financement de la création tout comme les adversaires de la réforme de santé américaine l’ont fait pour contrer la volonté du président Obama. Pour moi c’est la même logique.

  1. Quelles conséquences à court et long terme aura l’application de cette loi, notamment en ce qui concerne l’accès à la culture ?

 Doit-on être riche pour être cultivé ? L’auteur travaille-t-il uniquement pour le client solvable ? Si vous répondez non à ces deux questions alors vous considérez comme moi que la culture doit être gratuite si possible. Et cela ne veut pas dire que les produits dérivés culturels ou les services dérivés culturels le seront. La gratuité des chaines de radio et de télévision n’a jamais été l’ennemi des marchands de produits dérivés culturels, au contraire. La gratuité des musées n’empêche pas le marché de l’art, au contraire. Je ne nie pas comme certains de mes amis que les nouvelles pratiques sur Internet aient une incidence sur la vente de CD ou de DVD. Mais le problème est ponctuel, il est industriel, il est celui de l’adaptation nécessaire des offres à la gratuité inévitable du bien non rival sur Internet.

  1. Pourra-t-elle réellement influencer le comportement des internautes ?

Que le gouvernement puisse penser qu’il va imposer aux internautes et aux jeunes en particulier,  un mode de consommation de la musique jusqu’à leur donner des cours de sensibilisation dans les collèges pour cela (un article de la loi Hadopi prévoit ce type d’intervention) , c’est une preuve de décalage incroyable et d’incompréhension totale de ce qui se passe. Ou bien c’est cultiver la passion du système de rééducation mentale de la Chine de Mao, cette fois, au profit du marché. Nos enfants sont assez conditionnés comme cela par les Majors du disque et du cinéma pour que l’état en rajoute une couche.

  1. Pensez-vous qu’elle sera un remède à la « crise » que traverse l’industrie des œuvres culturelles ? Cette dernière devrait-elle s’adapter au contraire ?

 

Je l’appelle plutôt « l’industrie des produits et services dérivés culturels ».Car la production des œuvres, ce n’est pas une industrie, c’est un artisanat. Donc si l’on veut aider la production d’œuvres culturelles il faut aider les petits artisans, c'est-à-dire les auto-entrepreneurs du spectacle, à trouver les moyens de produire mais aussi d’émerger dans la masse. Aujourd’hui c’est l’inverse, les aides vont à ceux qui ont déjà les moyens de produire. Ensuite, si l’on veut aider l’industrie, il faut l’aider à adapter ses produits et services à la nouvelle ère. La conforter dans son immobilisme actuel par la loi, ce n’est pas l’aider à affronter la gratuité inévitable des échanges de fichiers sur Internet. Il y a encore une friche d’innovations industrielles immense à explorer, j’aborde aussi cette question en proposant des solutions concrètes dans mon livre.

  1. Quels autres canaux de diffusion pourraient remplacer le P2P ? Peut-on réglementer tous ces canaux ?

 

Le P2P est déjà remplacé. Il existe des tas de moyens d’échanger des fichiers, de la clé USB au serveur Lan jusqu’à l’envoi de fichiers joints dans les emails, en passant par les sites payants de fichiers pirates qui se développent assez cyniquement. Et puis de plus en plus, les gens écoutent du streaming gratuit et enregistrent en simultané en mp3 comme on le faisait à l’époque en enregistrant la radio sur des cassettes. Cette dernière opération est  complètement incontrôlable par la Hadopi et impossible à réglementer. Pour tous les autres usages la réglementation la plus efficace serait d’imposer le paiement d’une licence légale pour toute utilisation lucrative, c'est-à-dire au dessus d’un certain seuil de recettes. Ceci adossé à une licence globale pourrait résoudre une partie de la question de la rémunération des ayants droits, l’autre partie restant le fait du marché des produits et services dérivés adaptés.

  1. Que retenez-vous des arguments pro/contre Hadopi ?

 

Je retiens que c’est un débat de société nouveau qui dépasse les courants actuels gauche et droite. Et derrière cela se cache le thème politique plus global de la gratuité. Je suis assez d’accord avec Jacques Attali lorsqu’il affirme que demain, ce qui fera la différence entre la gauche et la droite, ce sera le rapport à la question de la gratuité. La droite défendra l’efficacité du marché et la gauche la préservation et l’extension du domaine de la gratuité, c'est-à-dire des services publics par exemple. Pour moi ce débat aura été l’occasion de trier parmi les politiques. Ceux qui sont pour la Hadopi sont de droite et ceux qui sont contre sont de gauche. Ou bien alors ils n’ont pas correctement travaillé sur le sujet et ont juste une réaction de technophiles ou de technophobes, cela existe aussi, c’est souvent une question de génération dans ce cas. Il y a des réfractaires maladifs au numérique et des enthousiastes excessifs.

  1. Comment envisagez-vous la conclusion du dossier ?

Les logiques de répression telles que la Hadopi vont échouer pour plusieurs raisons mais la principale est économique. Le fichier numérique étant un bien non rival il sera gratuit. Et si une licence globale n’est pas mise en place des emplois vont continuer à disparaitre, dans la filière musicale comme dans toutes celles potentiellement concernées par la dématérialisation numérique.

  1. Quelle a été et va être votre action dans la controverse ?

Je n’ai pas été élu et je n’ai représenté aucune association ni parti politique même si j’ai mes préférences de citoyen. Je suis l’exemple  d’un citoyen qui sans aucun autre moyen qu’un blog et que l’écriture d’un livre, a pu faire passer un message au plus haut niveau. Je suis un « citoilien » comme le formule Michel Serres. Je suis fier de cela et fier de vivre dans un pays qui permet encore cela. Par contre, cela m’a coûté cher je pense en terme de carrière professionnelle ou artistique. Il existe une pensée unique et dogmatique en ce moment dans le milieu dans lequel j’aurais pu travailler. Si vous êtes pour la licence globale et pour la dépénalisation des échanges d’œuvres culturelles dans le cadre non lucratif, vous ne pouvez pas travailler dans une maison de disque, une télévision privée ou un grand groupe de médias. Un salarié de TF1 je le rappelle, a été licencié pour s’être opposé à la Hadopi. Et ça, c’est assez grave, c’est une forme d’obscurantisme moderne qu’il faut combattre il me semble, quelque soit son opinion sur le fonds. Il faut accepter que le problème de la propriété intellectuelle soit un problème complexe où la controverse est utile.

  1. Pouvez-vous nous conseiller des personnes à contacter pour notre étude ?

Philippe Aigrain et Jérémie Zimmermann de la quadrature du Net. Les philosophes Michel Serres et Bernard Stiegler par exemple. Du côté de ceux qui défendent la Hadopi je dirai Pascal Nègre et Pascal Rogard qui sont assez représentatifs. 

En vous remerciant

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