Entretien avec Edouard Barreiro de l'UFC que Choisir ?

 UFC

Acteur : Edouard Barreiro

Défenseur ou opposant à la loi : Opposant

Fonction-origine : chargé de mission sur les technologies de l'information à l'UFC-Que Choisir

Date d’entrée, Voie/raison d’entrée dans la controverse : Opposé dès le départ au processus législatif, considère que cela a été fait par idéologie pour sauver un système qui ne veut plus innover, pour faire plaisir aux lobbies de l'industrie du disque.

Mot clé du discours : Ecoute des consommateur, logique d'entrepreneur,

Citations d’autres acteurs : Le gouvernement, les « lobbies » de l'industrie du disque, Franck Riester, Nathalie Kosciusko-Morizet, les FAI, Deezer, Jewa


Sous controverses abordées :


-Adresse I.P
-Licence globale, système de répartition globale
-Les risques pour les libertés fondamentales
-La définition de la négligence caractérisée
-L'écoute des consommateurs dans le processus législatif


Positions dégagées :

Il n'était pas nécessaire de légiférer.
L'adresse I.P peut servir à repérer un ordinateur mais en aucun cas un Internaute.
Être auditionné ne veut pas dire que l'on est écouté, on est juste entendu.
La licence globale est une alternative convaincante, les coûts de marketing, de production (le CD) et de transports liés à l'industrie du disque disparaissent. Une fois que le coût de production du morceau est rentabilisé, c'est du bénéfice pur. La logique de l'abonnement pousse à la création pour maintenir le nombre d'abonnés.
Il n'y a pas de crise de la culture, à l’ère numérique les gens consomment la musique différemment : i-pod, live. Ils ne sont plus intéressés par le fait de payer le support.
« Légiférer c'est aller contre le sens de l'histoire, c'est comme faire voter une loi pour interdire la fermeture des mines à charbon ».
La loi a été faite pour faire plaisir à des lobbies et les consommateurs n'ont jamais été écoutés, il n'y a eu aucun débat constructif car on est parti d'une idéologie.
Il fallait commander de vraies études, avec de vrais résultats sur le piratage et sur l'applicabilité de ce que l'on vote.
Les consommateurs ne voient pas le téléchargement comme quelque chose de mal parce qu’ils consacrent toujours une part très importante de leur revenus à la culture (concerts, cinéma, Théâtre, abonnement TV, etc.)


Questions posées - réponses données :


1.Fallait-il légiférer sur la protection des œuvres culturelles sur Internet?


Non. Le vote d’une loi peu avoir un impact significatif sur les citoyens. Dans une démocratie on ne peut voter de telles lois en s’appuyant uniquement sur les déclarations de quelques lobbies sans le soutient d'études indépendantes. Par ailleurs, certaines études, dirigées par des universités ou des institutions indépendantes, montrent que ceux qui téléchargent le plus sont aussi ceux qui achètent le plus. Par conséquent, on a voté une loi qui va dans le sens de quelques acteurs au détriment des libertés des citoyens. Cette loi peut mener à la coupure d'Internet c'est à dire à exclure des citoyens d'une technologie devenue un des supports de la liberté d’expression. C’est notamment un lieu indispensable pour faire un certain nombre de démarches. De plus, le système mis en place n'est pas fiable: il se base sur l'adresse I.P qui peut être falsifiée, usurpée. Il y une probabilité non négligeable que l'on condamne des consommateurs n’ayant jamais téléchargé de leur vie. C'est l’idée derrière « la négligence caractérisée ». Il y a deux points: vous pouvez être condamné à partir de l'adresse I.P soit pour téléchargement illégal, soit, si vous dites que vous n’avez rien fait, pour négligence caractérisée. Or, personne n’est en mesure de dire ce que c'est que signifie «  être négligent », ou même ce qu’est un système sécurisé!


1.Cela pourrait-il être défini par une jurisprudence?

On ne peut laisser la jurisprudence statuer sur quelque chose qui est de l’ordre de la technique. Le juge ne peut juger de la compétence informatique d'un internaute. Avec Hadopi 2, le juge intervient, ce qui n’était pas le cas avec Hadopi Mais dans les faits il est impossible de prouver la culpabilité de quelqu‘un à partir de l’adresse I.P qui permet au mieux d’identifier un ordinateur.

1.Mais les pro-Hadopi veulent plutôt un effet gendarme, même de courte durée qui leur permettra de développer l'offre légale, est-ce possible?


Tout cela est faux. Il y a une volonté d’aller plus loin. le président Sarkozy et l’Hadopi l’ont rappelé le filtrage est clairement un objectif. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a derrière cela la volonté d’un certain contrôle d’Internet. De plus, dire en France, une démocratie, que l'on vote une loi pour ne pas l'appliquer c'est inacceptable! Le texte est en vigueur, et si un jour un juge veut s’en servir et sanctionner très sévèrement un internaute, rien ne l’en empêchera de le faire..


1.Vous avez été auditionné pour la procédure de création de la loi, or un grand nombre d'acteurs nous disent qu'ils n'ont pas été assez écoutés?


Etre auditionné ne veut rien dire, on ne fait que vous écouter avec politesse. Certains députés ne voulaient pas nous recevoir, d’autres l’ont fait pour la forme. Beaucoup semblent avoir voté la loi par solidarité avec le gouvernement et non par conviction. Aujourd'hui certains se disent contre la loi, après l’avoir voté. Heureusement il y a des députés comme L. Tardi qui prennent du recul sur ces sujets. Ce dernier n’a pas voté la loi tout comme Laure de la Raudière, Vice-Présidente du groupe d'études "Internet" à l'Assemblée et député UMP. Elle est contre cette loi, contre la coupure d'Internet.


1.La licence globale est-elle une alternative efficace?


Ce n'est pas la seule, mais elle règle le problème dans son ensemble, elle permet une vraie rémunération des artistes, au moins 1/3 des revenus (1/3 artistes, 1/3 compositeurs, 1/3 producteur), alors qu’avec un CD l’artiste principal touche au mieux 10%. Les autres solutions seraient des systèmes de répartition collective. Cela existe aujourd'hui, une radio verse une part de sont chiffre d’affaire à une société de gestion collective (la SPRD) qui se charge ensuite de répartir aux différents ayants droits (artistes, maisons de disques, etc.), en échange elle peut diffuser un titre sans l'autorisation de la maison de disques ni de l’artiste. Il faudrait le même système pour des acteurs du web comme Deezer et Jiwa. Jiwa ont donné publiquement quelques chiffres: ils déclarent notamment avoir payé 1,5 millions aux maisons de disques et ne pas parvenir malgré tout à gagner de l’argent. De plus, avec ce type d’accords les artistes ne gagnent pas grand-chose non plus.


1.Par rapport à la rémunération, les producteurs nous disent que c'est un investissement, et qu'une licence à coût fixe n'encourage pas l'investissement?


C'est l'inverse et c'est de la mauvaise foi de leur part. Il ne faut pas oublier lorsque l’on produit un artiste, il y a un coût pour la création, admettons que c'est 100 000€ et un pour la commercialisation du CD. Ce dernier, inclut la production du CD, le transport, le marketing local,ect. Avec le numérique tous ces coûts disparaissent. Lorsque l’on vend un CD, un coût fixe est toujours là. Dans l'économie numérique une fois que l’on a remboursé les 100 000 premiers euros, une fois que la plateforme a pris sa marge, le reste représente un bénéfice pur. Un système de licence fonctionne de la même manière; sans la marge de la plateforme de distribution. Iil faut peut être un peu plus de temps pour couvrir les coûts liés à la création de l’œuvre, mais ensuite ce ne sera que du bénéfice. Un album de Jimmy Hendrix par exemple, sur internet représente un bénéfice pur, car il est amorti depuis longtemps.


1.Pour vous, il n'y a pas de crise dans l'industrie culturelle? Du disque?

Il n'y a pas une crise de la culture, les gens consomment toujours autant de culture. Pour la musique, à la place de dépenser en CD les consommateurs se tournent vers le spectacle vivant. Les petits groupes ont certes du mal à vivre; ils ne peuvent exister sur des plateformes telles que Deezer. . Mais cela tiens bien plus à la nécessité de revoir totalement et en profondeur le système qui les exclus déjà. En effet, les maisons de disques préfèrent miser beaucoup de moyens sur peu de groupes vendeurs, que prendre des risques en produisant un plus grand nombre de groupe avec moins de moyen. Ce qui favoriserait une certaine diversité.

1.Est-ce qu'un développement de l'offre légale poussera les gens à se détourner de l'offre illégale?

Oui et non, il y a deux points. L'offre légale d’aujourd’hui est inacceptable. Le consommateur sait que le prix du numérique est trop élevé, il préfère acheter un CD avec une pochette pour 3€ de plus. Il faudrait aller plus loin dans l'offre légale, prendre en compte le fait que les usages ont changé. Les consommateurs ne sont pas prêt à payer plus pour le support mais pour l'expérience. L’ère du numérique a profondément changé la façon de consommer la musique même si les CD se vendront toujours, certains achètent encore des vinyles! Le problème des maisons de disques c'est qu'elles ne veulent pas changer leur modèle économique.


1.Mais il n'y a pas que les majors?

C'est comme si l’on faisait une loi pour empêcher la fermeture des mines de charbon, on va contre le sens de l'histoire. Les petits groupes sont dans une situation d'entrepreneur, il faut qu'ils innovent (Schumpeter). Believe a fait une plateforme où n'importe quel artiste entre et on se charge alors de promouvoir son titre. Il faut retrouver une logique d'entrepreneur. D'autant que les maisons de disques profitent également de taxes, notamment sur les FAI. Cet argent les empêche d'avoir un comportement d'entrepreneur.

1.Fallait-il alors laisser l'industrie renaître de ses cendres?

C'est tout le paradoxe de la France, on laisse mourir certaines industries (la métallurgie, etc…), mais là c'est différent. Et l’on dit que c’est au nom de la défense de la culture et de l'art. Or certains artistes sont renvoyés car ils sont jugé pas assez rentables et d’autres sont payés une misère par rapport aux revenus générés par les ventes. Qui défend-t-on la culture ou une industrie déclinante ?

1.Retenez vous quelque-chose des arguments pro-Hadopi?

Je suis aussi économiste ce qui me permet de voir que tout cela ne tient pas debout. Ni le diagnostique, ni les solutions. Le législateur n'a fait que suivre un lobbying défini, sans ce soucier des problèmes de fond et surtout sans ce soucier des consommateurs qui sont le cœur du système.

1.Pensez vous tout de même que les consommateurs ont été écoutés à un moment ou à un autre pendant le processus de législation?

Non, à aucun moment. Plusieurs fois, nous avons été désignés comme complices des pirates. La position des opposants à Hadopi n'a pas évolué et elle ne peut pas évoluer. On ne soigne pas un cancer en le recouvrant de plâtre, cela ne fait que cacher les symptômes. Le vrai cancer c'est le désastre laissé par le passage à l’économie numérique, il a tout dévasté sur son passage. Or, au lieu de s’adapter et de se renouveler, certains essaient encore de remonter le temps et de se battre contre ce qui est une fatalité.

La loi a été faite sans dialogue, le texte est la représentation d’une idéologie dominante. Aucun débat constructif n’est sorti de ce processus. On s’est basé sur les déclarations des ayants droit, qui agitent le chiffon rouge du piratage. D’ailleurs, dans chaque pays ces lobbies déclarent que leur pays est le champion du monde du téléchargement!

1.Comment est-ce qu'on aurait pu écouter les consommateurs?

Ils ont tout fait pour court-circuiter nos démarches. Nous avions lancé l'idée des assises du numérique, nous voulions travailler sur la base d'un échange constructif. On nous a mis la commission Zelnik. Une commission qui nous a auditionné mais n'a même pas cité une seule fois l’UFC-que choisir dans son rapport, même pour lui rendre la paternité de certaines idées avancées.
Par ailleurs, nous sommes formellement opposés à la carte jeune. Il fallait faire un débat ouvert, un dialogue. Il fallait faire une étude validant la faisabilité des mesures proposées.

1.Pourquoi être contre la carte jeune?

D'une part, on donne de l'argent au système sans l'obliger à se renouveler, et ce sont les impôts et donc indirectement le consommateur qui financent un système qui s'effondre.

1.Comment voyez-vous la fin du dossier?

Je pense que l'on aura des Hadopi 3 ou 4. Le dialogue est rompu. La neutralité d'Internet est en débat, le filtrage également. On va aller vers une cascade de bêtises technologiques.

1.La loi aura t-elle un effet sur les consommateurs?

Non. Le seul effet sera que ceux qui téléchargeaient à visage découvert vont aller vers des systèmes fermés. Les effets collatéraux seront énormes pour la société. Les gens vont se cacher.
Les gens consomment différemment aujourd‘hui, ils ne peuvent culpabiliser de télécharger car ils continuent de dépenser pour la culture, mais autrement !

 

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