Entretien avec Danièle Molko de ABACABA,

abacaba

Rencontrée le 25 Mars 2010,


Acteur : Danièle Molko


Défenseur ou opposant à la loi : Défenseur militante, a signé des pétitions pour la loi.


Fonction-origine : Directrice d'ABACAPA (PME) , maison d'édition parisienne, responsable de plusieurs artistes et du catalogue de Michel Fugain, Véronique Sanson et Sacha Distel.


Date d’entrée, Voie/raison d’entrée dans la controverse
: Dès le début de la controverse, pour défendre le projet de loi.


Mot clé du discours : Défense de la création, défense du métier d'éditeur et des artistes, loi pas parfaite, pédagogie sur la création


Citations d’autres acteurs : l'opposition politique, les artistes, Mymajor compagny

Sous controverses abordées :


-La vision de la création
-La philosophie du droit d'auteur et d'internet
-La licence globale

Positions dégagées :


-Un cadre est nécessaire pour encadrer la propriété intellectuelle sur internet
-Les artistes vendent « des bouts d'âmes », la création est un travail collectif où l'éditeur a toute sa place
-La loi n'est pas parfaite mais c'est un début, un cadre qu'il faudra parfaire en voyant internet comme un média traditionnel, parallèle avec les radios libres qui ne payaient pas de droits au début.

Questions posées - réponses données :

1.Pouvez vous vous présenter et nous rappeler comment vous avez été lié au dossier Hadopi?

Je m'appelle Danièle Molko, j'ai monté la société ABACABA il y a 12 ans. J'avais un parcours ou j'ai traversé tous les métiers de ce métier, production indépendante, presse écrite, programmatrice radio, j'ai travaillé pour créer les Francofolies de la Rochelle, puis celle de Montréal. J'ai monté ma société avec l'envie de faire le métier d'éditeur comme le faisait les éditeurs avant c'est à dire en partant de l'œuvre, le départ de l'aventure artistique. Je voulais travailler sur la reconnaissance intellectuelle et morale du créateur, c'était mon but. L'idée c'est que la création c'est une rencontre entre un compositeur, un éditeur et un interprète, il y a 12 ans internet arrivait il me semblait que ce métier d'édition devait subsister. Ça fait 12ans, c'est une PME, on a 5 salariés permanent, ce qui m'intéressait était d'être au service des artistes. Quelqu'un s'occupait de la scène, il fallait être plusieurs. On ne vend pas des paires de chaussures, on vend des bouts d'âmes. Il faut réfléchir, le métier se fait en interaction. Il faut qu'on soit capable d'apporter des arguments à des stratégies et pas l'inverse. Un artiste et une œuvre ont une âme, à partir de là on doit être en mesure de réfléchir et de ne pas réfléchir qu'en termes marketing. Le public n'est pas qu'un acheteur c'est aussi quelqu'un qui reçoit de l'émotion, si il y avait une recette pour faire des tubes on serait tous multimilliardaires, il faut toucher le public en direct. Les activités d'ABACABA se sont diversifiées, des artistes connus gèrent leur propre catalogue et de développer leur propre travail. Véronique Sanson, Michel Fugain, Sacha Distel ont été les trois artistes moteurs. Je me suis adaptée aux exigences de chacun. Mon métier est d'être au service de l'œuvre et de l'artiste. Quand il faut aller jusqu'au bout je le fais. J'ai signé une jeune artiste qui s'appelle Catherine Major, je n'ai pas trouvé de maison de disque pour elle, elle se produit elle même, j'ai monté mon label à 100%, j'ai pris en charge la promotion, l'accompagnement et même la scène. C'est ça le métier d'éditeur il faut être capable de suivre et de soutenir son artiste.

1.Et justement, comment a évolué votre métier au fil de ces douze ans, fallait-il légiférer? La loi Hadopi était-elle nécessaire?

On a pas le choix, je ne pense pas que ce soit la meilleure loi du monde, il fallait le faire depuis longtemps. Il faut donner un cadre, c'est donner un cadre à la création, les gens n'ont jamais écouté autant de musique, les créateurs n'ont jamais aussi mal vécue qu'aujourd'hui. Il se passe ce qu'il se passe dans la société aujourd'hui, les riches restent riches, les pauvres sont de plus en plus pauvres et la classe moyenne n'existe plus. Donner une valeur à la création c'est quelque chose qui est indispensable, si non la création va mourir, on ne va avoir que des amateurs. On va en arriver au plus petit dénominateur commun, il faut que les œuvres soient reconnues. On est en train de dire : tu écris des chansons et tu fais quoi à part ça? Non, c'est un métier. Des gens peuvent devenir célèbres dans leurs quartiers, dans leurs villages mais le vrai talent c'est celui qui demeure. Un artiste n'est pas un éditeur, c'est un créateur, il faut des gens qui travaillent avec lui. Même si des chansons se font en 15 minutes, d'autres travaillent, se battent, font des rencontres. La musique c'est une référence, la chanson c'est un art mineur disait Gainsbourg mais c'est quand même ce qui rassemble le plus facilement les gens et les générations. Il faut voir ce qui se passe sur les tournées des années 60, 80. On se rend compte que la chanson marque nos vies, si on n'a pas la reconnaissance de ces créations. Ma mère me chantait des chansons, cela fait parti du quotidien, Jean Ferrat m'a fait découvrir la poésie. Il est obligatoire de légiférer. Il est anormal que pour tout un chacun, l'accès à la musique soit un du. On raconte une histoire dans le métier, fin XIXeme, les chansons existaient parce-que les chanteuses de rues étaient des interprètes, il y avait dans un café, deux personnes qui buvaient leur dernière bière, ils n'avaient plus d'argent. Une chanteuse de rue rentre et chante des chansons, les gens affluent et les deux personnes commandent des bières. Tout le monde est heureux, elle gagne sa vie, le bistrotier gagne sa vie. Quand on leur apporte l'addition ils disent que ce sont eux qui ont écris les chansons grâce auxquelles tout le monde a été heureux, grâce auxquelles la chanteuse a gagné sa vie. Ces gens se sont regroupés et la SACEM est née, pour que les auteurs, compositeurs puissent être protégés, vivre. Je crois qu'on vit une période exaltante car le métier va changer, on vit la même révolution que quand le vinyle est arrivé, les éditeurs ont touché à l'industrie. La seule chose dont je sois sur c'est que le fait d'avoir voté une loi est le départ d'un cadre légal.

1.Pensez vous que ce cadre de départ, cette loi sera efficace?

Je pense que ça va être à nous de la rendre efficace, il va falloir éduquer les gens. On a laissé s'installer une situation abhérente, on a laissé les choses se faire et au moins deux générations ont déjà pris l'habitude de ne pas payer la musique. Le travail de Mymajor Compagny est très intéressant, la démarche, faire comprendre aux gens que la création a un prix, c'est un investissement, on ne construit pas une carrière sans avoir des fonds. On parle des heures à faire un beau produit, le grain de la voix et souvent la qualité se perd sur les sites. Le travail se perd, à un moment donné on va retourner à la valeur des choses. On a besoin de musiciens, d'éclairagistes, d'un ingénieur du son, de tous les métiers qui font qu'autour on a un rendu de qualité. C'est un métier de passion, on va retrouver ces valeurs là. Ce n'est pas la meilleure loi, la technique va plus vite que les lois. Les gens qui ont fait que la loi mettent deux ans à voter ont eu fort peu de considération pour les artistes et la création. Je suis un peu militante.

1.La licence globale est-elle une alternative plausible?

Au départ, j'étais très opposé à cela, pour moi c'était les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Je pensai que l'on s'était suffisamment battu pour que même les plus petits touchent des droits, ici il fallait rentrer dans des cases. On a peu su convaincre que l'on se retrouve dans une situation à débloquer. Il faut dire stop au gratuit, les fournisseurs d'accès, la publicité, Internete est un média. Des gens vivent sur le dos des artistes, des producteurs. Tout travail mérite un salaire, il faut aller vers un début de solution, les FAI vivent aussi sur le dos de la création. Il va falloir trouver une solution, la licence globale peut-être un départ, un cadre à compléter mais il faut en impulser un. Les radios n'ont pas payer de droits d'auteurs au départ, il a fallu se battre, pour une répartition équitable, l'exception culturelle, on n'est pas envahie par une culture unique, il faut se poser des questions et il faut que nous aussi on se trouve des moyens de financements. C'est comme les sponsors en sport. Il va falloir déculpabiliser le contact avec le monde privé.

1.Une autre alternative?

Si je le savais j'irai devant l'Assemblée, je ne suis pas le Columbo de l'internet. Nos politiques n'y réfléchissent pas. Les propositions Zelnik ne sont pas adaptées, il va falloir démarrer par quelque chose. Il va falloir mettre en place des solutions. On a un avantage les Renan Luce, les Olivia Ruiz existent malgré tout, les gens ont envie de recevoir cette création. Pour faire vivre les nouveaux talents c'est très compliqué, il faut reconnaître les vrais artistes. Des gens savent apporter du bonheur car on en a besoin, c'est presque un acte militant de se battre pour que les artistes survivent, moi je fais vivre des gens, je suis un chef d'entreprise, je vend des bouts d'âme, ce n'est pas du marketing, il faut des gens qui ont envie de faire rêver. Des chansons restent, des artistes restent il faut en donner les moyens.

1.Vous avez bon espoir pour cette loi?

Elle va permettre une avancée, il ne faut pas se reposer là dessus, c'est un début de création. Il faut que des gens prennent le temps de réfléchir, si non on ne transmettra plus rien aux futures générations.

1.Internet reste donc une vitrine?

Absolument, je ne suis pas contre internet, ça fait parti de mon quotidien je vais y repérer des gens. Certains que j'ai découvert, des perles. Ça ne peut être la seule vitrine. On connait les chansons de certains artistes par cœur, Michel Fugain par exemple, il faut que ce partage continue. On fait de la communication, l'image est importante. Mais cela nécessite un mélange entre une licence globale car c'est un média comme un autre et un moyen pour les artistes d'exister individuellement. J'ai été choqué par exemple par un producteur de musique contemporaine qui m'a expliqué que pour lui la licence globale c'était la mort. Il avait du mal à vivre de sa musique, il faut des droits personnels, des gains, dans la répartition il n'aurait pas existé. Il ne faut pas arriver dans une culture étatique.

 

>