Entretien avec Pascal Nègre d'Universal Music

universal

Rencontré en Février 2010,

Acteur : Pascal Nègre

Défenseur ou opposant à la loi : Défenseur militant

Fonction-origine : PDG d'Universal France et Europe

Date d’entrée, Voie/raison d’entrée dans la controverse : Durant la campagne de Nicolas Sarkozy, il est directement touché par les chutes de ventes de disques. L'industrie va demander de l'aide aux pouvoirs publics. Signataire des accords de l'Elysée.

Mot clé du discours : Réduire le téléchargement illégal, défendre la création Française, effet gendarme, pédagogie sur la création.

Citations d’autres acteurs : L'opposition parlementaire, le Sénat, le conseil Constitutionnel, Deezer, Mymajor compagny

Documents (écrits, cités, liés) : Étude de l'université de Rennes sur les premiers effets de la loi Hadopi, Rapport Investing Music


Sous controverses abordées :


-Filtrage du net
-Licence globale
-Effet psychologique
-Vision de la création
-Philosophie du droit d'auteur et d'internet
-Gouvernance du web (droit à l'oubli, propriété)


Positions dégagées :

-La loi était nécessaire et elle sera applicable
-Il y aura un effet gendarme
-On pourra toujours contourner la loi mais on veut s'attaquer au gros du téléchargement, ceux qui le pratiquent sans savoir ce qu'il y a derrière
-La création est un travail long, avec beaucoup d'interlocuteurs, des personnes qui travaillent dans les maisons de production, d'édition, il faut rémunérer tout cela
-Les maisons de disques réinvestissent une grande part de leurs fonds (L'étude Investing music menée par les maisons de disques montre en effet qu'en 2009 elles ont investi 5 milliards d'euros)
-« On ne va pas au supermarché dans la jungle », il faut un retour des règles de la société sur internet
-Internet s'est développé avec une philosophie de liberté et de gratuité, d'invisibilité des actions qui est fausse. Il faut défendre la propriété et savoir qu'on laisse des traces sur le web
-Hadopi a deux jambes : la répression et l'expérimentation du filtrage


Questions posées - réponses données :

Cet entretien a été mené avec le groupe de l'école de la communication, il n'a donc pas la même forme que les autres, les questions ne sont pas les mêmes mais nous avons taché de l'orienter vers les points que nous jugions importants tout de même.


1.Que pensez vous de l'étude Bretonne qui montre ces derniers jours que depuis que la loi a été voté il y a déjà 3% de pirates en plus?


L'Hadopi n'est pas encore mise en place, les chiffres de ventes qu'on a nous indiquent le contraire. Pendant des années on nous a expliqué qu'il n'y avait aucun rapport entre la piraterie et la chute de ventes de disques. Et on a une cinquantaine d'études là-dessus. C'est quand même bizarre de voir que la crise correspond dans chaque pays au taux de pénétration d'internet. D'abord aux Etats Unis, puis en Allemagne et enfin en France. Il y a un lien, ce sont les faits. Des études nous disent que plus les utilisateurs piratent, plus ils achètent mais si c'est le cas le marché devrait faire + 50%. Or il a fait -50. Ces études c'est n'importe quoi. L'an dernier fin juin le marché du disque est à -20% et on finit l'année à -3%. Bizarrement le jour ou l'Hadopi est votée! C'est troublant! Les chiffres n'ont pas encore été publiés, mais en Janvier le Chiffre d'affaires en physique c'est -0,5%, l'an dernier à la même époque on faisait -15% et cela depuis 4 ans. En digital, sur i tunes on fait +50%. Sauf en Février on fait -27% (par rapport à 2009), alors vous allez me dire votre théorie ne tient pas la route, mais l'an dernier en Février on a sorti les restos du coeur, c'est la plus grande vente de l'année, personne n'ose pirater les restos du coeur, cette année on le sort au mois de Mars. Même si certains le téléchargent illégalement. On aura un plus au mois de Mars. Même en enlevant les restos du coeur de l'année par rapport à l'année dernière, on fait encore +0,33% de ventes en physique, et + 50% sur I-tunes. C'est troublant, le hasard fait que depuis qu' Hadopi est votée le marché cesse de s'effondrer et aurait tendance à repartir. Je veux bien entendre toutes ces études, je les écoute avec passion mais pour l'instant ce n'est pas vrai! Ou alors que l’on m'explique pourquoi le marché repart. Depuis 6 mois, il y a réellement un effet sur le marché.


1.La mort de Michael Jackson ne peut pas expliquer cette reprise?


La mort de Michael Jackson a représenté 2% du marché. On a regardé tout ça. Ca reste troublant, on est sur un marché qui est positif. Depuis l'arrivée d'Hadopi le marché s'est stabilisé. On ne publie les chiffres que tous les trois mois, la réalité c'est que le premier trimestre sera stable voir positif. J'entends toutes ces études, mais je parle de la réalité quotidienne. Ce n'est pas nouveau, c'est le cas en Suède, le marché a fait +12% l'an dernier parce qu'ils ont voté une loi aussi répressive, qu’ils n'ont pas encore utilisée. C'est la même chose en Corée du Sud et à Taïwan. Le marché repart. Si on a un premier trimestre en progression, l'étude Bretonne va quand même prendre du plomb dans l'aile!
Les études qui ont montré que plus les utilisateurs téléchargeaient et plus ils achetaient étaient sérieuses, mais on voit bien que quand Internet arrive dans un pays c'est l'inverse qui se produit! D’après moi une partie des gens qui piratent n'achètent plus ou achètent moins. Je ne crois pas que les pirates achètent plus. Je pense qu'une partie des gens qui étaient en peer to peer sont partis sur le streaming, et en partie d’ailleurs sur les streamings légaux. Pourquoi allez vous écouter du streaming piraté alors que vous avez exactement la même chose sur Deezer? Je pense que le streaming illégal concerne beaucoup plus la vidéo. Pour le cinéma ce n'est pas la même chose.


1.Vous vous feriez plus de soucis si vous étiez lié à l'industrie cinématographique?


Il est clair qu’aujourd'hui notre stratégie en musique c'est de proposer le disque sur les plateformes de téléchargement légal le jour même de sa sortie radio. On se débrouille pour que les pirates ne soient pas en avance sur nous. Le cinéma ce n'est pas la même chose. Il y a un problème au niveau de la chronologie des médias.


1. Qu'est-ce que vous avez à répondre à tous les artistes indépendants qui disent qu’Hadopi est un moyen de nous « castrer ». Ils voient le système de grandes majors comme un peu fermé, Internet reste un moyen de se faire connaître d'une manière plus juste?


Le système n'est pas fermé, si ce que vous cherchez à me dire  c‘est qu‘Internet est un outil extraordinaire pour se faire connaître, je le sais bien, j'ai 70 personnes qui toute la journée font des recherches sur Internet. On travaille sur les communautés, les buzzs. Pour créer le Buzz, je vous l’accorde, il faut une gratuité, mais je ne m‘oppose pas à cela. Je suis d'accord pour que l'on aille sur le myspace d'un artiste et qu'il donne son MP3. Mais si je n'ai pas envie de mettre mon œuvre à disposition gracieusement, on n’a pas le droit de me la voler.
Notre système n’est pas fermé. Si je veux donner des fichiers mp3, je n’ai qu’à dire à l'Hadopi qu'ils ne sont pas protégés. Mais dans ce cas c’est un choix de ma part. Vous ne pouvez pas imaginer aujourd'hui le nombre de lettres d'artistes qui me disent qu’ils ne veulent pas être en écoute gratuite. Cabrel ne veut pas y être, Babylon Circus non plus. Cela ne rapporte rien: ils ne veulent pas y être. C'est un autre sujet mais qui est intéressant aussi: dans quelle mesure l'écoute gratuite influence-t-elle les ventes?
La critique vient des créateurs indépendants (je ne sais pas trop ce que cela veut dire, je dirais artiste qui n'est pas encore signé et qui veut entrer dans une maison de disque). Ceux là, si ils veulent se faire connaître, pas de problème. De plus en plus, l'artiste qui veut se faire connaître et qui a envie d'exister est suffisamment malin pour d'abord aller se faire vendre en streaming. Il ne donne pas ses tristes, il les met en téléchargement payant sur I-tunes.
C’est un mauvais procès, si vous voulez donner vos titres, donnez-les, mais qu'on ne me braque pas. Vous trouverez toujours un artiste célèbre qui a dit « piratez ma musique, cela ne me fait rien, je vivrai avec les concerts ». En général c'est celui qui a pris une avance financière énorme à la signature du contrat et qui s'en moque de vendre ou ne pas vendre. Parce-que ça fait cool.
L'artiste, quand ils prend position, on le stigmatise. Mais ce qu'il faut comprendre c'est que les maisons de disques ne se mettent pas l'argent dans la poche, elles réinvestissent. L'an dernier on a réinvesti 5 milliards (chiffre de l'IFPI voir détail ici : http://www.glconnection.over-blog.fr/article-premier-rapport-sur-les-investissements-des-maisons-de-disques-46463522.html).


En cas de baisse du chiffre d'affaire, que se passe-t-il? Les autres maisons de disques ont divisé par deux le nombre d'artistes qu'ils avaient en contrat. Nous avons une stratégie différente mais eux ont décidé de diviser par deux. Ils ont perdu la moitié de leur personnel et la moitié des artistes qu'ils avaient en contrat. C'est dramatique. Ca c'est une réalité économique.
Qu'est-ce qui rapporte le plus? Les 100 000 derniers disques, lorsque tout est amorti, à la fois le clip et la publicité. C'est ceux-là qui permettent d'aller investir. Aujourd'hui quand on signe 6 ou 7 artistes il y en un qui va être rentable, pour les autres on investit à perte. C‘est cela le drame, ce n‘est pas mon salaire, ni celui de certains artistes. Mais il y a une centaine de places en maisons de disques qui n'existent plus. Depuis le début de la crise 300 artistes qui auraient du être signés en maison de disques et ne l'ont pas été.


1.Les différents moyens pour contourner Hadopi ne vous effraient pas?


Il faut tout lire dans la presse. Il y avait une étude récente dans Le Monde, sur l'utilisation que font d'Internet les 15-24 ans. Ce sont des utilisateurs passifs alors que leurs ainés étaient des « hackers fous »! Si vous me dites qu'il y aura toujours des gens qui vont bidouiller, je suis d‘accord. Je prends souvent cette expression qui me fait rire: quelqu'un qui a 15 000 titres sur son disque dur c'est un cleptomane, c'est quelqu'un qui fait pareil avec tous les objets qui l'entourent! Vous savez combien de mois il lui faut pour écouter tous les titres? Cet homme est juste fou, il a un problème. Je le plains, mais ce n'est pas lui qui me gène. Celui qui me gène c'est celui qui aime la musique et qui se dit, « deux titres par mois, ça ne va pas changer grand-chose ».
Le problème c'est l'effet boule de neige. Deux titres par mois, multiplié par douze mois, multiplié par vingt millions de personnes, ça fait un résultat énorme! C'est monstrueux, c'est la petite sauterelle qui crée des famines en Afrique! Ce n'est rien, mais cumulé c'est terrifiant. Il faut juste lui expliquer le système. Ce qui se passe c'est que quand la loi est votée, il y a plein de gens qui ne veulent pas de problèmes. Avec une amende de 1500 €, vous imaginez tous les titres que l'on peut s'acheter? Si vous vous abonnez à Deezer, avec 10 € par mois vous pouvez écouter et télécharger toute la musique que vous voulez, ça fait 120 € par an. Vous avez une dizaine d'années devant vous.
Certains auront besoin de l'e-mail. Et si ils ne le reçoivent pas, il y a la riposte graduée; ils recevront la lettre recommandée. D’après toutes les études que l'on a faites, quand la loi est votée il y a à peu près 20% de gens qui arrêtent de télécharger illégalement. Ils sont 1/3 quand ils ont reçu l'e-mail d’avertissement et 90% quand ils ont la lettre recommandée. Je pense que ça va aller plus vite, parce-que quand quelqu'un va recevoir un e-mail, il va le mettre sur Facebook, l'effet réseau va accélérer le processus. Donc avec un e-mail on touche bien plus qu'une personne.
Il faut dire aux gens que c'est illégal. Pour moi, la capacité d'un pays à créer est importante, il faut conserver cette capacité à créer. Après on me dit ils vont lancer des fichiers en peer to peer cryptés, mais c'est plus compliqué. D'abord parce que c'est plus lourd, il y a moins de monde, et puis le cryptage ça se décrypte. C'est le jeu du chat et de la souris. Mais le grand public ne contournera pas.

Il y a un deuxième effet, il ne faut pas oublier que la loi Hadopi a deux jambes, on n’a parlé sue de la première. La deuxième jambe, c'est l'article 5 de la loi, que certaines mauvaises langues ont appelé l'amendement « Vivendi-Universal ». Si on a problème avec un site, on peut aller devant un juge, et le juge peut demander aux fournisseurs d'accès de bloquer ce site. La lutte contre la piraterie c'est deux choses. D'abord la prévention graduée, un e-mail, une lettre recommandée et ensuite une amende. Grillez un feu rouge et vous verrez si l’on vous envoie un e-mail et une lettre recommandée! La deuxième chose c'est le filtrage, c'est exactement le contenu de la loi Espagnole. En Espagne, on parle juge-fournisseur d'accès, et on bloque. Le filtrage va arriver, point.
Là encore, il y avait un problème, dans les premières campagnes de publicité pour Wanadoo on disait « abonnez vous à Wanadoo et téléchargerez gratuitement toute la musique que vous voudrez ». Il n'y avait pas un site légal dans ceux proposés par Wanadoo! Aujourd'hui il y a une explosion des usages du streaming etc.. Le piratage prend entre 50 et 70% de la bande passante aujourd'hui. Pensez vous que les télécoms vont accepter qu'on leur prenne de la bande passante pour de l'illégal? La conclusion de la FCC (Federal Communications Commission) aux Etats Unis sur le débat de la net neutrality, qui va être le débat de l'année, est qu’elle ne doit pas s'appliquer aux services illégaux. Un fournisseur d'accès peut couper le débit sur les sites illégaux. Le consommateur moyen, lui, veut pouvoir regarder une vidéo sur Youtube sans que ça rame. Et si ça rame c’est parce que le voisin est en train de pirater quelque chose. Enfin, l'intérêt des télécoms redevient l'intérêt des contenus.
1.Quels sont vos liens avec les FAI?
Ils ont évolué car ils pensent qu'ils peuvent faire du business mais surtout car ils ont cette problématique à coeur. Quand vous dépensez des milliards de dollars pour confectionner un réseau de câbles et de pilonnes, et que le réseau sature parce que des gens piratent, vous vous dites il y a un problème. 70% de l'espace est pris par la piraterie. Free a ce problème, il a le plus petit réseau, il loue le reste, plus il y a de piraterie, plus ça lui coute cher.
Il ne faut pas oublier que les accords Olivennes ont été signés par les maisons de disques, les artistes, et le cinéma. Si on l'avait fait aujourd'hui, l’industrie du livre l'aurait signé aussi. Les radios et les télévisions également.


1.Comment fonctionne la mécanique avec TMG notamment?


Vous vous mettez sur un site Peer to Peer, vous demandez Coeur de Pirate, des ordinateurs vous répondent sur le réseau qu'ils l'ont. TMG repèrent ceux là. Quand on demande un titre en peer to peer, votre ordinateur repère sur le réseau qui dispose du titre sur son disque dur. TMG va repérer ces ordinateurs. En faisant une recherche sur plusieurs titres, on voit vite les pirates. C'est très simple. Nous constatons avec TMG que telle adresse I.P était sur un réseau de Peer to Peer à telle heure, et on envoie cela à l'Hadopi. On repère qui est le FAI, le FAI dit qui est la personne et on lui envoie un mail. On peut reconnaître facilement qui télécharge.


1.L'adresse I.P est-elle assez forte pour déterminer qui est derrière?


Il y a des débats aujourd'hui pour se demander si on ne devrait pas avoir une adresse I.P à vie. Si on peut faire tout ce qui est officiel sur Internet, il faut quelque chose qui nous identifie! Le système n'est pas parfait, mais il touche la majorité des gens. Ce ne sera applicable qu’à 80% des gens? Très bien.
La pédagogie est quand même au cœur de la loi. Le but au final est qu'il y ait le moins d'amendes possible. La pédagogie doit emmener à plus d'information, il faut faire comprendre les mécanismes de financement de la création au grand public. J'ai eu l'occasion de regarder les débats à l'Assemblée, c'était passionnant. Quand un député communiste explique que quand on télécharge un titre à 1€ sur I-tunes, l'artiste ne touche que 10 cents et que le reste va dans la poche des majors comme Universal, il est dans le faux. La plateforme garde de l'argent pour se payer. Sur les 1 € je touche 60 cents hors taxe, et cela s'appelle du chiffre d'affaires. Pour l'artiste c'est du profit. Moi, il faut que je paye la pub, les clips, les gens qui travaillent ici. A l'arrivée je gagne autant que l'artiste, c'est le deal. C’est comme ce que l’on me disait à l'époque, le disque vierge coute 1 €, ce que tu produis vaut 1€. La pellicule ce n'est pas ce qui coute le plus cher dans un film. Ce qui coute le plus cher, c'est l'enregistrement, la vidéo. Le député répand une mauvaise image, il devrait au moins savoir qu'il y a la TVA!


1.Mais les majors sont-elles encore nécessaires? Ne peut-on imaginer que les artistes se produisent eux même?


C'est la mort du producteur. Dire cela, c'est ne pas comprendre notre métier. Mon métier ce n'est pas banquier, ni voleur. C'est d’être sur les 180 millions de pages de Myspace, c'est de repérer le nouveau David Bowie! Ensuite c'est de le faire travailler. Il faut faire travailler l'artiste, il faut lui faire retravailler ses textes, trouver de meilleures mélodies. Il faut leur trouver des chansons s'ils n'écrivent pas. Ensuite, il faut enregistrer, il faut choisir le studio, l'arrangeur, le réalisateur. Ensuite il faut travailler avec l'artiste sur les pochettes, il faut un photographe, un éclaireur, un studio photo. Il faut un clip, il y a 150 ou 200 personnes qui travaillent sur un projet. Ce qui n'empêche pas que l’on dise, à la fin, que c'est l’artiste qui l’a fait tout seul. Depardieu il ne fait pas le film, au cinéma c'est évident. Regardez le nombre de noms sur une pochette de disque, c'est tout aussi terrifiant.
Je vous prend un exemple, Noir Désir. J'avais un problème avec eux, c'est que je trouvais qu'ils étaient beaucoup plus forts sur scène qu'en studio. Je leur en ai parlé, ils m'ont dit qu’ils étaient mal à l'aise en studio. Qu’ai-je fait? Je les ai fait travailler avec une console et on a trouvé un réalisateur américain qui avait une technique pour enregistrer les groupes en une seule prise. Le problème en studio c'est qu'il faut tout faire individuellement, avec les instruments. Là ce n'était pas le cas, on gardait le son pur sur chacun des instruments et sur le chanteur mais ils jouaient ensemble! On peut quand même mixer, les sons restent propres. Noir Désir a augmenté ses ventes d'une manière considérable!
C'est un métier, producteur. C'est trouver des techniques pour mettre en valeur la créativité artistique. Je ne parle pas de Johnny Halliday. Il vend moins d'albums depuis qu'il n'est plus ici. Quand on écoute un disque, on écoute un artiste mais on écoute aussi un producteur. C'est ça notre métier. D'abord la production, puis vient la médiatisation, créer le buzz, des articles en presse etc... il ne suffit pas d'avoir une page Myspace pour être connu. C'est tout ce travail, ensuite il faut le vendre, et on l'aide le temps qu'il soit connu.
Un artiste a besoin d'avoir des interlocuteurs, un peintre n'existe que parce qu'il y a des galeries. Ce métier est fondamental. Il suffit pas d'avoir du talent, c'est une équipe qui permet l'excellence. Ce que disait le directeur de mp3.com c'est qu'il y allait y avoir une interface directe entre l'artiste et le consommateur… il a fait faillite! On touche aux fondamentaux de ma vie, c'est pour ça que je suis là. Je suis pas banquier, ni trader, ce n'est pas une machine qui va remplacer ce que je fais. Un comédien a besoin d'un metteur en scène. Ils ont même inventé un software sur Internet qui dit si une chanson va être un tube ou pas! Il faut arrêter les bêtises!
Produire ça coute de l'argent, ça demande des moyens financiers et humains. Moins il y d'argent moins on a ces deux types de moyens. Je suis un des trois dirigeants d'Universal Music international et le cas de l'Italie est intéressant. Il y a d'abord eu de la piraterie physique, on nous proposait sur les plages des copies de disques à 1€! Ensuite il y eu la copie physique. Aujourd'hui Universal Music Italie a 25 Artistes italiens en contrat. UMI sort 12 albums par an. A titre de comparaison, en France on a 200 artistes en contrat. Le marché s'est écroulé, en plus ils perdent les compétences. C'est la piraterie qui a fait cela. La piraterie physique a commencé par tuer le marché et le numérique a porté le coup de grâce.
J'en ai vu des marchés s'effondrer. C'est dramatique pour le consommateur et pour la création en France en général. Je trouve le métier d'artiste est génial mais il faut le laisser vivre. Jamais les Français n’ont autant écouté de musique. Mais jamais ils n’ont aussi peu payé. Mon job est de faire qu'il y ait des artistes dans 10 ans en France.


1.Et le projet de l'Acta, vu comme Hadopi mondial, vous en pensez quoi?


C'est le grand fantasme du moment. Il y aura des rendez-vous politiques. Il est intéressant de voir ce qu'on a entendu sur l'Hadopi en France. On a dit que c'était liberticide. En Allemagne, qui n'est pas encore une dictature, l'ayant droit repère l'adresse I.P via un procédé technique et attaque le pirate devant les tribunaux. Ici, on envoie l'adresse I.P à l'Hadopi et le procédé est préventif. En Allemagne, il n'y a pas cet intermédiaire. Ils ont eu 35 000 procès, et ils piratent moins que les Français. La CNIL a d'abord dit non au projet, le conseil d'Etat les a rappelés à l'ordre. Il y a déjà eu 600 ou 700 accès à Internet avant que l'Hadopi soit votée. Personne n'a fait appel. Les Allemands n'ont pas eu peur (article du monde sur le vote de la loi en Allemagne : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/06/19/l-allemagne-ouvre-la-voie-du-filtrage-sur-le-web_1208825_651865.html
L'intérêt d'Hadopi c'est la massification, arriver à 50 000 mails par jour.


1.Justement le procédé français avec cet appel au juge, vous convient-il pleinement?


J'aimerais que l'on parle politique deux secondes. Le projet de loi Hadopi a été voté à l'unanimité au Sénat. Je m'attendais à tout sauf à ce qui s'est passé à l'Assemblée. Il ne faut pas m'expliquer que Mr Badinter est un liberticide! Ca arrive à l'Assemblée, et là c'est liberticide! Le P.S a cru enfourcher un cheval politique intéressant, en disant « on défend les jeunes ». C'est facile mais c'est débile!
Ils ont proposé la licence globale, c'est leur réponse. Cela veut dire que la production est étatisée, et on peut télécharger tout ce que l'on veut, avec une contribution de 10€ par mois que l‘on répartit. On répartira par sondage, ce sont donc les 200 plus gros qui vont apparaître, mais je suis aussi le plus gros producteur de musique classique dans le monde. Les sondages ne veulent rien dire. Si la première année ou on avait sorti Renan Luce on avait fait des sondages, on aurait tout arrêté. On ne régule pas la production avec cela, il faut du temps pour que les albums marchent, Renan Luce en est la preuve. Pour le cinéma, comment fait-on? Il faudrait doubler la facture Internet du consommateur. Comment répartit-on? On ne peut pas répartir. On me dit vous êtes un vieux capitaliste mais la culture ça reste super important. Pourquoi ne pas faire une licence globale sur la nourriture? On ne peut pas tenir une argumentation comme celle-ci! Politiquement, il est difficile de voir à quoi joue la gauche. C’est une stratégie. Historiquement, la gauche a toujours défendu la création. L'opposition s'est opposée, il y aurait du avoir un consensus là-dessus à l'Assemblée Nationale. Rien n'est gratuit. Pendant que la gauche faisait trainer le dossier nous on faisait -15% de ventes, on était pris dans un bateau en train de couler. Là on vire des artistes, des gens qui travaillent ici autour de la création. Les artistes avaient la haine. Juliette Greco, Maxime Leforestier, des gens habituellement à gauche.


1. Et pour le cinéma? La loi ne peut arrêter le streaming?


On peut toujours bloquer l'accès à un site. Le problème du streaming c'est que ça prend de la bande passante.


1.La loi Hadopi peut-elle évoluer ?


Je pense que la loi Hadopi a deux jambes, les gens oublient la deuxième. Dans les accords de l'Elysée et dans la loi il y a l'idée de faire des études sur le filtrage. On a fait des essais en laboratoire, ça marche. Le problème de la piraterie c'est aujourd'hui un problème pour les fournisseurs d'accès et donc les études sont menées avec une volonté de trouver des solutions.


1. N'y a t-il pas une dérive en termes de démocratie, si un tel outil est dans les mains des dirigeants qu'est-ce qui les empêche de filtrer selon leur bon vouloir?


Il n'y a aucun risque. On sélectionne seulement les fichiers à proscrire, même les contenus pédophiles sont visibles, on peut les détecter.


1.Si on peut les détecter, ne peut-on aussi détecter des textes d'opposition, polémiques?


Oui c'est possible. Mais on a vendu au citoyen des choses qui n'étaient pas vraies. On l'a vendu comme un espace de liberté totale. C'est un gigantesque business. Facebook au départ était un trombinoscope! On a vendu le principe de la gratuité, un des fondements d'Internet. On a dit aux politiques qu’Internet était génial car c'était de la croissance, de l'emploi. La France était en fracture numérique. On a investi. Or cela a fait perdre des emplois. Les politiques y ont moins cru quand ils ont vu l'impact que cela pouvait avoir sur eux. Les consommateurs ont été trompés par cette liberté initiale, mais partout où on passe on laisse des traces. Maintenant on le dit. Moi j'ai connu le début de la télévision, on s'est rendu compte au bout de quelques années qu’on ne disait pas que la vérité à la télévision. On assiste à un retournement similaire aujourd'hui.
Je parlais de cela avec Mathieu Chedid, il a vu des choses honteuses écrites sur lui. Pour moi, c'est pareil, je lis chaque jour des commentaires horribles. Le droit à l'oubli c'est une vrai problématique aussi, prenez l'exemple de Laure Manaudou. Sur Wikipédia, la plupart des infos sur moi sont fausses, on les remet quand elles sont enlevées. Il y a de très bons usages, mais il faut réguler Internet. Internet est en train de devenir un grand centre commercial, il n'y a pas de centre commercial dans la jungle. La moitié des français ont peur de faire des achats en ligne, ils ont peur de ces « pirates » etc... La cybercriminalité ça existe, les ventes de Viagra, le Spam etc... Il y a des trafics de médicaments, de fausses pièces de voiture. Le débat de l'Hadopi c'est celui du cadre légal pour défendre la création. En 1789, il y avait la propriété dans les revendications révolutionnaires parce que 1789 c'est le moment ou les paysans possèdent leurs terres. La propriété intellectuelle c'est de la propriété, ça a la même valeur que la propriété physique. Aujourd'hui on a quelques télécoms français, les plateformes sont américaines, il y a un endroit où on est bons, la création. Il faut les défendre ces contenus, il faut se battre pour cela. Sarkozy l'avait dit avant d'être élu, il croyait à la propriété, il l'a défendu.


1.Le futur d'Hadopi pour vous?


La lutte contre la piraterie c'est aussi un moyen pour de nouvelles plateformes d'exister. Donner une chance à une offre légale, nouvelle. On permet à de nouveaux acteurs d’intervenir dans un univers sécurisé, c’est comme ouvrir une boutique dans les halles. L'émergence de différents modèles est permise par un cadre légal. La télé de demain sera un Youtube généralisé, une plateforme. Ce débat est passionnant. La survie de la télé sera le retour du direct. Il faudra retravailler la manière de marchander, de créer. Hadopi c'est essentiel. Les Américains sont en train de bouger. Ils bougent à cause du cinéma, les majors ne sont pas américaines. La création musicale est Européenne, il faut la défendre.

>