Entretien avec Maxime Rouquet du Parti Pirate Français

 partip

Rencontré en Février 2010,

Acteur : Maxime Rouquet

Défenseur ou opposant à la loi :Opposant militant

Fonction-origine : Ingénieur informatique, membre du Parti Pirate, un parti politique inspiré de son homologue Suédois dont l'objectif est de faire émerger de vrais débats sur les questions de la gouvernance d'Internet, la loi Hadopi est un thème de débat. Il s'est présenté en 2009 aux élections législatives dans les Yvelines et a obtenu 2% des voies.

Date d’entrée, Voie/raison d’entrée dans la controverse : Il suivait les débats sur la gouvernance d'Internet et lorsque le projet de loi Hadopi est apparu il a considéré qu'on légiférait alors que les politiques n'ont pas les réelles compétences pour percevoir l'ampleur des changements impliqués par la technologie d'Internet.

Mot clé du discours : Partage d'œuvres culturelles, revoir la philosophie du droit d'auteur, pédopornographie, filtrage du net, réseaux cryptés

Citations d’autres acteurs : Le gouvernement, les juges, le conseil constitutionnel, les installations internet, SACEM, la CNIL

Documents (écrits, cités, liés) : Etude de Fabrice Epelboin dans le livre Confession d'un pédophile, l'impossible filtrage du web

Sous controverses abordées :

-Filtrage du net -Licence globale, mécénat global 
-Les risques liés au filtrage du web, création de réseaux cryptés 
-Les risques pour les libertés fondamentales 
-La définition de la négligence caractérisée 
-Vision de la création 
-Philosophie du droit d'auteur et d'Internet
 -Gouvernance du web 

Positions dégagées :

-La loi ne sera pas applicable car on peut la contourner et on ne peut définir la négligence caractérisée

-Si effet gendarme il y a, il sera de court terme car chacun pourra apprendre à contourner facilement la loi

-L'adresse I.P n'est pas une preuve suffisante de culpabilité sur les réseaux

-Si on veut vraiment parler de négligence caractérisée il faudra installer des logiciels qui enregistreront tous nos faits et gestes sur le web, il y a un risque pour les libertés fondamentales de l'internaute

-Il faut repenser le droit d'auteur, ne plus criminaliser l'échange d'œuvres culturelles

-Le système des majors est fermé, il faut l'ouvrir en prônant une répartition différente comme le mécénat global ou chacun finance les artistes qu'il veut

-le filtrage du web est très dangereux, d'abord car si une arme comme celle-ci se retrouve entre les mains d'un gouvernement c'est lui qui choisit ce que l'on peut consulter ou pas et cela peut aller contre l'effet voulu. Pour lutter contre la pédopornographie par exemple, si on institue le filtrage le sgens vont se tourner vers des réseaux cryptés, plus difficiles d'accès et qui hébergent du contenu pédopornographique ou terroriste, on risque de détourner des internautes vers ces réseaux.

Questions posées - réponses données :

1.Pouvez vous nous résumer votre parcours et nous rappeler comment êtes vous arrivé à être lié au dossier Hadopi? 

Je m'appelle Maxime Rouquet, j'ai terminé il y a quelques temps des études d'ingénieur informatique. Durant celles-ci j'ai suivis les débats sur la création et sur Internet. En suivant les sites à l'Assemblée Nationale, sur Internet je me suis rendu compte que la quasi-totalité des députés légiféraient sans connaître véritablement les outils ils réfléchissaient avec des modèles qui ne prenaient pas en compte la dématérialisation des œuvres, il ne cherchait pas à comprendre ce nouveau réseau qui permet une diffusion gratuite des œuvres, on cherche à le réduire, à ne pas créer un nouveau modèle. Je me suis fortement intéressé au parti pirate, je voulais qu'en France on ai un moyen de s'exprimer dans les urnes sur ces sujets, créer un parti politique comme en Suède pour montrer aux élus que ce sont des enjeux importants mal gérés. 

1. Fallait-il légiférer sur la question de la création numérique? 

 Oui, les lois anciennes n'étaient plus adaptées aux nouveaux usages, il faut s'adapter à l'évolution de la technologie. Au lieu de réfléchir à comment se servir du partage qui ne coute rien, on cherche à l'interdire. On peut diffuser une œuvre sans que cela ne coute rien du tout. On a une pression des industriels. Le principe de licence globale est intéressant, il faut que ce soit fait dans le principe de la création en tant que tel. Actuellement les lois sont faites sous la pression des industries, elles sont en situation d'oligopoles, on a un système de rareté, ils ont fait beaucoup d'argent sur le disque. Le système de répartition globale permettrait de détourner beaucoup d'artistes du système actuel qui les oblige à passer par une maison d'édition, un major et une entreprise, tout un circuit de distribution très fermé. Un artiste qui veut diffuser son oeuvre va être obliger de passer par tout cela, il renonce à une part de droits, ce système bloque. Les licences libres et les licences de création communes sont plus libres, on peut dire chacun peut écouter ma musique gratuitement. Aujourd'hui, pour rentre r à la SACEM et avoir de l'argent si le titre passe en radio on ne peut diffuser gratuitement son œuvre sur le web. Ces règles sont problématiques et cela frustre des artistes, grâce à internet ils peuvent se faire connaître et disposer d'autres revenus, des représentations, des dons. L'Etat ne cherche pas à trouver un autre système, l'idée du parti pirate c'est de dire que les artistes souffrent de ce système en montrant que le droit d'auteur actuel pénalise le créateur initial. Le financement collectif ça peut être bien, le mécénat global est un bon système. On paye un montant fixe tous les mois et on choisit les artistes à qui on veut que cela revienne. Une proportion va donner un peu plus à ceux qui ont des dons modestes, pour ne pas les pénaliser. Il cache l'image qui dit un morceau de musique vaut tant, c'est une approche intéressante, on donne selon la force avec laquelle on apprécie. 

1.Finalement, où se trouve la propriété de la chanson? 

Si on met en place ce système, c'est la SARD (société de répartition des dons) qui fait bénéficier ces dons. Cela peut permettre à ceux qui diffusent sous licence libre d'avoir une répartition. Il faut revoir le droit d'auteur pour ne plus interdire au gens de voir ou d'écouter un contenu. Ce que veut le parti pirate c'est que tant que l'échange est fait hors du circuit marchand, l'échange de bien culturel soit légalisé, comme quand on prête un livre. Cela n'interdit pas de réfléchir à un système de licence collective, on veut qu l'on aille pas en prison si on écoute une musique que l'on a pas acheté. Cela ne remet pas en cause le système actuel, ne pas criminaliser l'échange. 

1.La loi Hadopi ne va pas dans ce sens là. Le débat va t-il revenir?

La loi Hadopi ne marchera pas, on ne peut prouver la culpabilité de quelqu'un que l'on détecte. Cela repose sur une détection d'adresse I.P, adresse Internet Protocole, adresse que la connexion a. Elle est facilement falsifiable car le réseau est décentralisé, un des relais peut mentir, en se connectant dans une université ou une entreprise ce n'est pas celle d'un individu. Quelqu'un peut aussi utiliser votre connexion internet, pour tout un tas de raison l'adresse I.P n'est pas une preuve suffisante pour prouver cette culpabilité. C'est ce qui a été retenu mais la décision du Conseil Constitutionnel, pour couper l'adresse internet il faudra passer par un juge. Hadopi 1 voulait que l'on ne se soucie pas de cette culpabilité, hors c'était une autorité administrative. Les juges ont déjà considéré que l'adresse I.P n'est pas une preuve suffisante. 

1.Peut-il y avoir un effet gendarme? Tout le monde peut-il falsifier une adresse I.P? 

Ceux qui ne savent pas peuvent apprendre très vite et on n'arrêtera jamais le partage de particuliers à particuliers, il a toujours existé, même avec des cassettes. Ce qui reste possible pour Hadopi c'est la négligence caractérisée, c'est à l'internaute de sécuriser son réseau. Le décret n'est pas encore publié, il faut la définir, moi je n'y crois pas. On va envoyer des avertissements, en faisant installer des logiciels pour ne pas être négligeant. C'est très compliqué à définir, si ils font une liste dans les règles, avec des logiciels types ce sera contournable, c'est sur. Les gens vont être renvoyés à une non connaissance des réseaux, les internautes pourront tout de même télécharger. 'autre solution c'est de mettre en place un logiciel qui va surveiller tous les actes des internautes, un spyware, c'est la crainte de cette négligence caractérisée. On va enregistrer tout ce que vous faites pour savoir si vous êtes coupables où non. C'est très grave, c'est une intrusion dans la vie des citoyens. 

1.Un décret comme ça peut-il passer? 

La CNIL doit s'exprimer sur tous les décrets, elle peut s'opposer. Même si il passe, il peut y avoir une saisie du conseil d'Etat, des membres de la société civile peuvent le faire. On ne peut imposer de changer de système d'exploitation, le risque c'est aussi que cela se fasse sur un logiciel privé, vers des ressources privées. Les députés auraient été influencés par des sociétés privés qui assurent avoir la technique pour le faire. Si cela se fait, ce sera du bénéfice pour ces lobby. 

1.Pensez vous qu'un d'un point de vue technique, l'entreprise Nantaise choisie pour envoyer les mails (TMG) sera apte à le faire? 

L'entreprise ne surveille pas, ce seront des agents de la SACEM, ils relèvent les adresses I.P. Elle les repère sur des systèmes peer to peer. Avec ce système plus besoin d'un serveur central, chaque pair peut donner une partie de l'annuaire, on peut développer des clients qui seront de faux agents, en créant de nouvelles adresses I.P, pour s'amuser on peut faire cela. On peut faire s'effondrer la reconnaissance, voir la liste c'est facile mais ces adresses connectées seront controversées. 

1.Vous pensez que l'on va s'orienter vers un logiciel de surveillance ou vers une définition de la négligence caractérisée qui respecte les libertés? 

Je ne sais pas, j'aimerai dire que je ne peux imaginer que l'on prône un logiciel de surveillance. Mais c'est possible. Il y a une troisième voie c'est que le décret ne soit jamais publié, la loi tombe dans l'oublie. Ça va être compliqué car l'affaire est suivie par des blogs, des sites spécialisés, la laisser tomber sera compliqué. J'attends ce décret pour me faire une idée sur la négligence caractérisée. Les juges ont les pieds sur terre, on n'aura pas des condamnations massives, et même en faisant des exemples comme aux Etats Unis cela ne marche pas. Un chercheur sur le comportement des « pirates » conclut que les gens continuent d'acheter, de consommer. Sur le comportement, si on en attrape un cela n'a aucun impact, tant qu'on est pas soit-même arrêté cela ne marche pas, il faut vraiment un proche. C'est une étude de la quadrature du net, cette étude montre que la réponse graduée ne marche pas, quand l'étude est indépendante, on a pas les mêmes résultats, le « piratage » ne tue pas la création. La solution est inadaptée. Si cela fonctionne pour le peer to peer ça va emmener les gens vers des plateformes de streaming, de direct download, des réseaux privés virtuels, déjà très utilisés. On crypte l'information, sur un autre relais, avec une autre adresse I.P. Les gens se dirigeront vers ces moyens alternatifs, ces gens seraient prêts à payer pour ces licences globales. On pousse vers des gens de plus en plus difficiles à détecter. Ces réseaux sont utilisés par des terroristes ou de la pédopornographie. En Iran ou en Chine on peut s'en servir pour éviter la censure, éviter la censure d'État.

Les outils de filtrage qui sont mis en place actuellement, notamment par la loi LOPPSI, d'abord pour le contenu pédopornographique, peuvent être des outils du pouvoir. De plus, ces serveurs n'hébergent pas que ces contenus, les fermer en entier peut être préjudiciable. On nous dit d'abord que c'est pour protéger les enfants, mais on n'y tombe pas par hasard. Il y a un réel risque de filtrage étendu. En Australie, ils veulent l'étendre, il reste à définir ces contenus. Plus ça va aller, plus on peut étendre ce filtrage, il suffira d'un décret pour augmenter ce filtrage. Les internautes seront incités à aller vers des réseaux plus sous-terrains, les sites qui résistent à la censure seront ceux qui développent de la pédopornographie. Ces réseaux se développent par du Spam, des effets d'annonce, si ce contre-système explose, un public qui viendra chercher un autre type de fichiers (musique etc...) ira vers ces réseaux et en fera bénéficier ces réseaux, dont les concepteurs sont ceux qui encouragent le contenu pédopornographique. Il y a une étude de Fabrice Epelboin dans le livre Confession d'un pédophile, l'impossible filtrage du web, il montre à travers un témoignage anonyme que l'industrie de la pédopornographie est déjà prête à faire face au filtrage, en voulant lutter contre, en s'y prenant mal, on peut le favoriser.

1.Comment vous agissez pour faire comprendre, défendre ces idées? 

C'est compliqué, nous sommes des bénévoles, nous avons tous un emploie. On est une communauté importante sur le forum. Ce qui m'intéresse c'est que le parti pirate peut faire émerger ces enjeux face aux autres partis. Même si il n'y a pas d'élus, on veut défendre la vie privé, les libertés, réfléchir à un nouveau modèle de droit d'auteur qui libéralise l'échange. On veut aussi libéraliser les brevets, qui sont un frein à l'innovation. On veut donner un moyen aux citoyens de s'exprimer sur ces questions. 

1.Dans quelles élections vous présentez-vous? 

En France, il existe depuis trois ans. Je l'ai rejoins pendant l'été 2009 pour présenter un candidat dans les Yvelines, circonscription de Christine Boutin. Elle a renoncé à son siège, je voulais que le parti pirate décolle, aux Européennes, il y a eu un élu. Je voulais que des citoyens puissent s'exprimer sur ces questions, je me suis proposé, j'ai été candidat. On a fait une petite campagne, on a fait 2% des voies, ce n'est pas négligeable. Des députés de la majorité s'étaient opposés à la loi Hadopi mais on les a fait taire. On est des citoyens à la base, il faut faire émerger ces questions. 

1.Si on tend vers une économie du web, des échanges virtuels ne prive t-on pas des populations d'un accès à ce système, les personnes âgées? 

Il n'y a pas de raisons que  le modèle ancien ne disparaisse, le chiffre d'affaire baisse mais cela ne veut pas dire que les supports physiques vont disparaître. L'ensemble ne doit pas forcément passer par des contenus physiques. Des éditions collectors se vendent bien, certains groupes diffusent leurs œuvres gratuitement et sont en tête des ventes.

1.Il y a un décalage entre ce que l'on fait et une philosophie d'internet? 

Il ne faut pas voir qu'un aspect d'internet, c'est un réseau avant tout. C'est comme une rue, il faut connaître des règles, il faut former les gens. Nos hommes politiques pourraient tenter de comprendre sur quoi ils légifèrent, on ne peut ranger ça dans des cases existantes. Est-ce qu'internet est de gauche? C'est le contenu d'un article du web, on ne peut lui donner une étiquette. Toutes les théories sont basées sur des biens physiques, là on est sur des biens dématérialisées. C'est nouveau. Au parti pirate, il y a des points de vue différents. Du communisme au nationalisme. Le parti pirate va sans doute évoluer, se positionner sur l'échiquier politique est compliqué. On est dans une démarche ou on parle sur ce que l'on connaît. A terme, il y a des liens, par exemple les producteurs de lait se voient manger par des distributeurs en oligopole... On aimerait étendre nos prises de position. 

Il faut comprendre que beaucoup d'artistes ne comprennent pas ce qu'on leur dit. Des gens veulent payer mais refusent de passer par le système actuel, attendre une diffusion par une chaîne, en sortant d'une logique de production. Ceux qui bénéficient de ce système ce sont les gros, qui ont besoin de grands groupes pour produire. Il devrait y avoir autre chose pour produire. Par exemple, MyMajor compagny pour la musique, des internautes financent un artiste. Pour les films, il faut plus d'argent. Si l'État a la force de mettre en place ce contrôle de la distribution, ce sera bénéfique pour la création, ce sera difficile à mettre en place. Mon sentiment, c'est que le modèle actuel va s'effondrer, les films moyens ne seront plus produits. On aura l'émergence de films amateurs, on peut les mettre sur le web. Des films réalisés par petits budgets peuvent par échange être popularisés et même sortir au cinéma (paranormal activity). Les œuvres qui plairont au public pourront être mis en avant, plaire à un public. Mon idée c'est que l'on aura un développement de plus en plus important de cela.