Entretien avec Patrick Waelbroek
Rencontré en Février 2010,
Acteur : Patrick Waelbroeck
Défenseur ou opposant à la loi : opposant non militant, considère que cette loi est l’ultime tentative désespérée pour sauver un modèle daté
Fonction-origine : professeur d’économie industrielle à l’ENST
Date d’entrée, Voie/raison d'entrée dans la controverse : écrit des articles qui seront repris dans les rapports Hadopi dès 2002, 2003, prend position explicitement sur le dossier en 2007. Des chiffres de ses études ont été repris et détournées dans des rapports officiels, il est donc impliqué et s’implique.
Mot clé du discours : bien public, solution de marché, modèle, rapport gagnants/perdants
Citations de d’autres acteurs : la quadrature du net, défenseurs licence globale, philosophes, I-Tunes
Documents (écrits, cités, liés) : son blog http://www.telos-eu.com/user/141
Le rapport Terra consultants commandés par des industriels de la musique qui a repris son étude dans un sens opposé.
Sous controverses abordées :
-Neutralité des réseau
-Philosophie d’internet
-Rapport Coût bénéfice
-Alternatives : plates-formes légales, licence Globale...
-Coût ou bénéfice économique du téléchargement ?
Positions dégagées :
Pourquoi un Etat libéral est intervenu avant que l’on ai mis en évidence un problème de marché ?
Pourquoi si l’Etat intervient ne l’a-t-il pas fait en faisant de la musique un Bien Public ?
La chute des ventes que très faiblement dues au téléchargement (cf.expérience américaine), c’est un changement initié depuis plusieurs année du marché des loisirs, recul de la musique, il y a des gagnants (autres contenus, Orange, Apple, Google) et des perdants (majors du disques qui n’ont pas su prendre les bonnes décisions stratégiques).
Inutile d’essayer de sauver un modèle daté, accompagner la mise en place d’un nouveau.
La loi Hadopi ne sera pas efficace car elle ne répond pas au vrai problème, l’échange d’ami à ami, le plus important va perdurer.
L’intervention de l'État qui a eu lieu ouvre le débat majeur sur la neutralité du net.
L'Hadopi est peu-être devenue le porte parole non légitime de quelques entreprises (industrie du disque).
Questions posées - réponses données :
1.Comment avez vous été lié au dossier Hadopi?
J’ai écris quelques articles sur l’industrie de la musique numérique vers 2002, 2003, c’était normal que je m'intéresse à la question du piratage et en particulier aux mesures de répressions puisque c’était un sujet que j’évoquais dans ces articles.
D’accord et donc on a vu que l’une de vos principales études a été utilisée par...
Je n’ai pas lu le rapport de Terra consultant mais j’imagine que c’est des consultants pour l’industrie de la musique donc...j'imagine qu’ils ont du tirer les conclusions qui les intéressaient!
1.Vous n’avez pas été contacté avant que l’on utilise vos chiffres?
Non!
1.Vos conclusions étaient les conclusions contraires à celles qui ont été utilisées par le rapport?
Ça ne m’étonne pas, j’imagine qu’il y a d’autres personnes qui ont utilisé mon étude pour défendre l'industrie de la musique, par l’industrie de la musique, les représentants des industries culturelles. J’ai montré que en effet vers 2001 au début de la période du téléchargement il y avait eu un impact de 7% sur le marché du CD.
1.Est ce que vous pensez que c’est une tendance qui se confirme encore aujourd’hui ?
Non je pense que le plus gros est fait, le plus effet du piratage a été fait dans les premières années, maintenant il y a des gens qui continuent à pirater mais c’est une proportion constante au cours des 4, 5 dernières années. La proportion reste constante et les marchés du CD chutent de manière continue dons je pense qu’il est peut-être temps de commencer à chercher d’autres explications.
1.Oui donc selon vous d’après le rapport coûts bénéfices de la loi Hadopi, il est plutôt intéressant de légiférer sur ce sujet au jour d’aujourd’hui ?
Il y a plusieurs choses, est-ce qu’on a besoin d’une intervention publique, il y a plusieurs arguments, contre ça.
Si oui on a un problème de bien public, pas de possibilité de rivalité, difficile d’exclure aussi, c’est les caractéristiques d’un bien public donc on dit que toute la création est financée par l’Etat, alors ce n'est pas la voie qui a été choisie puisque l'État ne finance par directement la création, ça aurait pu être une solution qui me semblait assez sensées.
Mais au contraire l'État protège les intérêts de lobbies privés à travers cette loi qui rend criminelle toute activité de piratage. On aurait pu penser aussi à un schéma classique de production de bien public où l'État subventionne la création.
Ça c’est la solution s’il y a un problème de bien public, avant de faire ça il faut prouver qu’il y a un problème de marché, c’est à dire que le marché n’est pas capable de fournir seul une solution. Ce point là n’a pas du tout été abordé, n’a pas été démontré. C’est à dire qu’on sait aujourd’hui qu’un grand nombre d’entreprises sont capables de prendre la relève, je pense à Apple, à Goggle, à Yahoo, ect ect, je pense à France Télécom aussi, toutes les compagnies de télécom et d'Internet sont capables plus directement de monétiser une partie de l’échange de fichier. Ça c’est une solution de marché où finalement on laisse le problème se résorber tout seul, où il y a des perdants, ce sont les maisons de disques, et où il y a des gagnants, ce sont Apple, Google, ect après est-ce que l’on veut que Google et Apple deviennent encore plus gros en tant qu'opérateur internet, voilà, ça, c’est un autre débat. La première question qui va se poser est « Est-ce qu’il y a un problème de Bien public en tant que tel? » et avant cette question là, la question est : « est-ce que le marché ne peut pas régler ce problème? » et ce n’est pas du tout clair que le marché ne puisse pas régler ces problèmes. Voilà, on n’a pas laissé cette possibilité se développer, on n’a pas du tout explorer cette possibilité.
1.Selon vous, cette loi c’est une volonté de sauver le système tel qu’il est actuellement ?
Tout à fait oui.
1.Comment démontrer que la proportion de téléchargement reste constante?
On a une expérience assez intéressante, c’est l’expérience américaine, qui n’a pas été prise en compte dans le débat puisque les industries de la musique, le RIA a poursuivi de manière criminelle, environ 20 000 personne sur la période disons 2003 à 2007, ou 2008 je ne sais plus.
Ça s’est arrêté en 2008, je crois 21 000 personnes, la plupart du temps le problème a été réglé à l’amiable. Environ 3000 ou 4000 € par personne donc là les je pense qu’il s’agit d’une manière beaucoup plus forte que chez nous puisque chez nous il s’agit d’abord d’un avertissement puis éventuellement d’une coupure donc là c’est fort et qu’est-ce qu’on a constaté ? C’est que le marché a suivi la même tendance donc si vraiment c’était ça la cause principale, comme on sait que les gens ont freiné fortement leur pratique de piratage aux EU suite à ce cadre, si c’était ça la première cause on aurait du voir une remontée du marché des CD aux EU juste après cette action. Et de même si en France les gens pensent qu’Hadopi est efficace on devrait voir une remonté du marché si la cause principale (bien sur on est dans un contexte macro un peu différent mais c’était pas le cas en 2003 en pleine croissance) on s’attendrait à ce que le marché du CD augmente.
1.Donc la, l’effet gendarme n’a pas lieu sur les études empiriques en quelques sortes?
Non, on a vu un tout petit effet positif en Avril 2003 où il y a eu l’annonce puisque les premières poursuites ont eu lieu en septembre 2003 puis les marchés ont évolué comme tous les autres marchés.
1.Selon vous il y a-t-il d’autres canaux de diffusion pour remplacer le P2P ?
Déjà dans une autre étude que j’ai faite, ici à l’école qui n’a sans doute pas été cité par Terra Consulting je montrais qu’il y avait plusieurs effets du piratage dont un effet assez important c’était l’effet d’exploration.
On voit que ceux qui téléchargement le plus sont aussi ceux qui achetèrent le plus. C’est ceux que l’on appelle les explorateurs (Versus les pirates qui téléchargent beaucoup mais qui n’achètent rien). On a donc bien une population de gens qui explorent, qui utilisent les outils internet en particulier le P2P mais plein d’autres choses, tous les autres outils pour voir un peu l’offre musicale qui est assez énorme. Dans cette étude on montre que finalement le P2P n’est pas le premier mode d'acquisition de fichiers, le premier mode ce sont les réseaux privés, type intranet et les seconds je pense que ce sont les disques durs, à vérifier, le Peer to Peer n'arrive pas en premier parce que les gens savaient déjà à l’époque, c’était en 2006, qu’il y avait des lois qui étaient passées aux EU, se préparaient en Europe et donc ils l'ont un peu délaissé.
Pour continuer sur les réseaux privés, on constate aujourd’hui que suite aux mesures prises contre les réseaux de piratage on observe de plus en plus de réseaux de partage privés, qui ne passent pas par l'Internet, pour pouvoir télécharger, et c’est encore plus problématique que les P2P car là on n’a plus aucun contrôle du tout sur ce qui se passe. On constante aussi que le téléchargement par newsgroup, le téléchargement direct (de type rapidshare ect) sont en expension. C’est quelque chose de difficile à contrôler parce que ce sont des sites qui changent tout le temps, ça serait des coûts énormes pour la société de devoir surveiller tous ces sites.
1.Le projet HADOPI comme il a été élaboré ne prend pas du tout en compte tous ces enjeux?
Techniquement je ne sais pas si c'est possible, il faudrait des modèles informatiques qui surveillent la toile tous les jours, qui surveillent les sites... C’est possible, tout est possible dans la vie, mais c’est juste est-ce qu’on est prêt à payer le coût pour ça ?
1.Est ce que finalement tous ces projets de lois ne vont pas contre la philosophie primaire d'Internet?
C'est exact. De plus, je pense qu'une véritable fracture culturelle existe. Il y a des gens qui maîtrisent les outils, les outils de téléchargement, les outils de visionnage, illégal ou légal (parce qu’il y a aussi tout ce qui est légal, je ne vais pas revenir là dessus mais il y a aussi tout ce qui est streaming, tout ce qui est webradios) et d'autres qui ne le maîtrisent pas.
Sur les webradios et le streaming, ce sont des formes tout à fait légales de consommation et on risque je pense de voir une substitution des achats légaux (parce que ça reste un peu cher, parce que je pense, j’y reviendrait, que le marché numérique est très très limité, potentiellement, je développerait ça plus tard si ça vous intéresse) et donc on va voir se reporter la plupart de la demande du piratage vers du streaming et des webradios.
1.Plus de la consommation directe que de l’achat?
Voilà on sait aujourd'hui que la musique c’était le loisir n°1 il y 30 ans, maintenant c’est plus le cas, le cinéma est un peu devant et vraiment devant ce sont les jeux vidéos dans le même contexte macro il faut voit que le marché de la musique, c’est à dire la demande, si elle doit faire face à deux concurrences de loisirs numériques (films numériques et jeux numériques), une partie de la baisse que l’on connaît sur le marché de la musique se traduit simplement sur la réalité macro-économique.
Voilà c’était pour rebondir sur les webradios, on va peut-être voir un report du piratage vers les formes lowcoasts ou lowquality de consommation de musique. Bien sur les maisons de disques récupèrent un peu d’argent sur les webradios mais pas assez pour compenser les pertes qu’ils subissent sur le marché du disque.
1.Ça c’est une tendance qui risque de s’accentuer avec des choses comme la radio numérique, l’accès à la radio sur le portable ?
Tout à fait, à l’heure d’aujourd’hui tout le monde peut écouter la radio sur internet, la plupart des radios ont leur site internet où l’on peut non seulement écouter le live mais écouter les podcasts ou écouter des émissions enregistrées.
1.C’est à dire que l’on essaie de voir une causalité entre l’effondrement du marché du disque et le téléchargement alors que ce n’est absolument pas le cas?
C’est ça. Je vous dis il y a sans doute un petit effet mais si c’était le cas, cet effet a déjà été factorisé dans la demande. Les gens qui voulaient piraté ont piraté et continueront à pirater toujours, ils trouveront toujours un moyen de le faire, ceux qui ne pirataient pas, il y autre chose à faire que la musique ou du moins que le piratage, il y a déjà les offres légales de type I-tunes. Ça aussi quand on voit le marché de la musique se développer ça prend une partie de la demande du piratage et une partie de la demande du CD, il y a une augmentation des ventes de la musique numérique donc c’est normal que le marché du CD baisse parce qu’on a d’autres marchés qui se développent, donc ça aussi il faut en tenir compte, dans le calcul global des effets de la macroéconomique.
1.Ça veut dire qu’en fait, les majors de la musique se voilent un peu la face parce qu’il ne veulent pas voir les autres causes ? Ce n'est pourtant pas dans leur intérêt de ne pas voir les autres causes qu’il peut y avoir?
Je ne pense pas, je ne sais pas, c’est un niveau de stratégie, de management que je ne possède pas. Ils avaient tous les outils au début, à la fin des années 90 pour réussir ce qu’Apple a fait et ils n’ont pas réussi à le faire je pense qu’on ne peut pas anticiper ça.
Peut-être pour revenir sur la culture, sur la fracture, ce que l’on appelle la fracture culturelle, en effet il y deux niveaux. Des gens qui maîtrisent les outils et des gens qui ne maîtrisent pas les outils. Sur ceux qui ne maîtrisent pas les outils, par exemple, je connais un peu mais pas suffisamment pour connaître toutes les dernières séries américaines que évidemment certaines personnes maîtrisent. C’est à dire que moi à l’heure d’aujourd’hui il y a une culture à laquelle je n’ai pas accès et à laquelle peu de gens ont accès et je pense que c’est un peu problématique dans le mesure où internet était censé rapprocher plus et donner plus de cultures aux gens.
1.Et elle a plutôt tendance à s’aggraver ou à se résorber cette fracture ?
Dans la mesure où l’on va encourager le développement de réseaux privés il y aura ceux qui sont dans les réseaux privés et ceux qui sont pas dans les réseaux privés. Ceux qui ne sont pas dans les réseaux privés auront accès à la culture et au trafic normal, à tout ce que l’on pourrait appeler les circuits de distributions classiques. Les autres auront accès à tout ce qui est underground, et cela représente énormément de fichiers. Les séries américaines par exemples, je ne les connais pas toutes mais (rires) je sais que beaucoup d’étudiants regardent beaucoup de séries américaines et ils connaissent tout, moi je ne connais rien.
1.Oui donc en fait, des dispositifs comme les dispositifs Hadopi vont dans le sens de faire le plus de choses possibles en sous sol et donc d’aggraver cette fracture ?
Sauf si d’autres solutions sont prises mais ça n’a pas été évoqué lors du débat public donc je ne pense pas que ce soit des choses qui sont débattues pour le moment.
1.Comment voyez vous la conclusion du dossier Hadopi?
Alors, le projet Haopi ouvre un nouveau débat qui est tout aussi important et qui est le débat sur la neutralité du net. La neutralité du net c’est le fait de savoir si les opérateurs télécom peuvent filtrer les contenus et éventuellement faire de la discrimination des contenus. Là, ça devient extrêmement problématique puisque cela veut dire de facto que certaines personnes auront accès ou non à une moins bonne qualité de certains types de contenus. C’est un débat qui va être inévitable, je pense. Dans la mesure où l’on va imposer des mesures de filtrage et ce genre de choses aux gens. C’est à dire que des gens vont être capables de savoir ce qui circule chez chaque consommateur et éventuellement filtrer. Techniquement si l’on peut le faire on voit qu’il y a un gros débat pour savoir si l’on souhaite ça. Sachant que si les consommateurs savent ça est-ce qu’ils vont se comporter de la même manière, est-ce que ça sera la fin, finalement de l'Internet, format web 2.0, format open où l’on pouvait accéder à tous les contenus, est-ce que l’on ne va pas vers quelque choses d’un peu plus compliqué. Alors écoutez ce n’est pas encore le cas à l’heure actuelle. Ce débat va arriver, c’est sur qu’il va arriver.
1. En fait, comme si l’on essayait de domestiquer un petit peu la machine internet, qui finalement s’est développée d’une manière extrêmement libre jusqu’à maintenant ?
Et qui est la raison pour laquelle elle s’est développée d’ailleurs. L'anonymat est extrêmement important, quand vous allez au supermarché on ne vous demande pas votre nom, pour faire vos courses, c’est pour ça que vous allez au supermarché, que vous n’allez pas au petit magasin du coin où tout le mondesait si vous gagnez beaucoup d’argent et si vous faites des courses chères. L’anonymat est extrêmement important pour le développement d’un marché.
1.Mais est-ce que le fait de pouvoir aller dans ce sens là ne vient pas aussi du fait que les gens qui prennent les décisions actuellement sont justement des gens qui ne maîtrisent pas ces outils ?
Je pense qu’il y a des gens tout à fait compétents qui maîtrisent ces outils, je pense que c’est une décisions politique de défendre certains intérêts, c’est un choix.
1.Et des solutions comme la licence globale ?
Je suis contre aussi, cela va nous ramener le même problème que pour le filtrage parce qu’on va devoir filtrer ce qui circule et qu’à partir du moment où c'est filtré il risque d’y avoir des discrimination en terme de contenu. C’est pas sur mais on peut en arriver à ce point là, discrimination, perte d'anonymat qui était justement la force d’Internet.
Sur la technique je ne sais pas combien ça va coûter, je ne sais pas (rire) si c’est faisable. J’avais discuté avec des ingénieurs, des informaticiens qui disaient que ce n'étaient pas possible, à partir du moment où c’était crypté et que le fichier était assez important ce n'était pas possible de savoir ce qu’il y avait dedans.
Enfin, c’est possible mais pas à la seconde et si ça prend une heure pour décrypter le truc et pour analyser le contenu, une heure par fichier c’est pas possible. Après peut-être que l’on a des génies informaticiens! (rires).