Emergence d'un
contre-programme
Controverse, HADOPI

Entretien Jérémie Zimmerman de la quadrature du Net,

 quadrature

Rencontré le 4 Février 2010,

Acteur : Jérémie Zimmerman, cofondateur de la quadrature du Net et un autre membre de “la Quadrature du Net”
Description de la Quadrature par la Quadrature elle-même : La Quadrature du Net est une organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. Elle promeut une adaptation de la législation française et européenne qui soit fidèle aux valeurs qui ont présidé au développement d'Internet, notamment la libre circulation de la connaissance.
À ce titre, la Quadrature du Net intervient notamment dans les débats concernant la liberté d'expression, le droit d'auteur, la régulation du secteur des télécommunications ou encore le respect de la vie privée. Elle fournit aux citoyens intéressés des outils leur permettant de mieux comprendre les processus législatifs afin d'intervenir efficacement dans le débat public.

Défenseur ou opposant à la loi : opposant militant, “fer de lance de l’opposition”  dit Le Figaro

Fonction-origine : activiste militant

Date d’entrée, Voie/raison d’entrée dans la controverse : en réaction à la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy

Mot clé du discours : partage d’œuvre culturelle, insuffisances, neutralité du réseau

Citations d’autres acteurs : député UMP, Philippe Aigrain

Documents (écrits, cités, liés) : http://www.laquadrature.net/wiki/Documents
 Études sur l’impact économique du téléchargement notamment, http://www.laquadrature.net/en/HADOPI

Sous controverses abordées :

- neutralité du réseau
- IP-traceur
- moyens et dispositif HADOPI : délais, recours...
- coûts ou bénéfices économiques du téléchargement

Positions dégagées :

- Il ne fallait pas légiférer : les acteurs (gouvernement) n'ont pas convaincu qu'il y avait un problème donc on a une mauvaise réponse
- Instrumentalisation de la peur des réseaux
- Il s’agit de raisonner en termes d'usage

 

Questions posées - réponses données :

  1. Au départ, fallait-il légiférer sur la protection des créations numériques ?

    Non. L’approche du gouvernement était seulement idéologique, avec le postulat que l’échange de biens culturels sur Internet est une source de destruction de richesses, et que l’on n’a pas cherché à démontrer ou démentir avec des études. Les acteurs principaux étaient Vivendi, la SACEM, la SACD et les autres ont été mis de côté. En effet lors de la réunion de la Commission Olivennes, l’APRIL n’a pas parlé et l’UFC que choisir n’a pas vraiment été sollicitée. Ainsi, l’immense majorité des représentants étaient des représentants de l’industrie du disque. De plus le terme « Internautes » lui-même n’est pas adapté au débat car il fait oublier que les internautes sont aussi des citoyens.

  2. Pensez vous que les citoyens devraient davantage participer au débat ? Comment ?

    Bien sûr, sur Internet. Il faudrait aussi lancer des consultations. La réflexion Olivennes était fermée  et on aurait du réfléchir à l’apport culturel d’Internet.

  3. Quand avez-vous décidé de vous engager dans le débat ?

    La Quadrature du net s’est formée en mars 2008, juste après l’élection de N. Sarkozy qui avait promis pendant sa campagne électorale de « civiliser le far West », c’est-à-dire le web.

  4. Pensez-vous que les politiques ont bien fait d’intervenir sur Internet ?


    Sur Internet, chacun est un pair, personne n’a plus d’influence qu’un autre. Ceci provoque la frustration des hommes politiques. Sur Internet, ils perdent cette proximité qu’ils ont avec les médias. En fait, ils veulent verrouiller l’espace public pour maintenir des intérêts politiques qui rejoignent les intérêts économiques autour de canaux de distribution d’information. Le gouvernement marque donc la confluence d’intérêts entre le politique et l’économie.
    Sur Manach Blog Brother (blog de Jean Marc Manach), on peut trouver un dossier qui montre que depuis 1974/75, tous les reportages concernant Internet ne parlent que de ses dangers (pédophilie, porno…). Ainsi Internet a été associé à la peur or celle-ci s’oppose à la démocratie et à la raison. Pourquoi cette politique de la peur ? S’agit-il de mauvaise foi? Ou d’une vision de personnes qui pensent qu’Internet remet en cause leur place dans la société ?

  5. Pensez-vous qu’il existe des solutions pour lutter contre le téléchargement illégal ?

    Attention, on ne lutte pas contre le téléchargement illégal mais contre l’échange de biens culturels sur Internet ! La difficulté est que lorsque l’on part de mauvais problèmes, on arrive à de mauvaises solutions. On ne peut lutter contre cet échange qui est une pratique sociale ancrée dans les sociétés.
    Techniquement, il faut raisonner en termes d’usages et il est impossible d’empêcher ce téléchargement massif par une loi.
    Ils vont donc avoir beaucoup de mal à rédiger les deux décrets d’application (un sur Hadopi 1, un autre sur Hadopi 2). Le deuxième porte sur la négligence caractérisée de la sécurisation des réseaux. Ils vont devoir décider des exonérations, des moyens déployés or ceci ne correspond à aucune technique. Dans Hadopi 2, le parquet peut statuer pour contrefaçon ou pour négligence caractérisée (de sécurisation du réseau). Or, il faut avoir une preuve de ça ! Pour ne pas être en danger d’illégalité permanente, il faut définir les conditions d’illégalité et d’exonération. Il faudra donc apporter une preuve de sécurisation, mais ce n’est pas simple. D’ailleurs, à la base, la sécurité ne se définit pas contre des usages mais contre des menaces. Quand on agit contre des usages, on est dans le contrôle et non pas dans la sécurité.  Le contrôle peut donc se faire chez les fournisseurs d’accès pour empêcher les échanges. Mais qui alors continuera à être leur client si on ne peut plus se connecter à ce qu’on veut ? De plus, avec des logiciels libres (ex : pas Mac), on a la potentialité de changer le comportement du logiciel. Enfin, si 2 ordinateurs, dont un non sécurisé, sont sur un seul réseau, on peut toujours présenter le certificat de sécurisation du réseau qu’on a obtenu grâce au deuxième ordinateur. Au final, les députés ne pensent pas y arriver.

  6. Selon vous, quelles seront les conséquences de l’application de la loi Hadopi ?

    Je pense qu’il y aura une proportion de peur, de gens qui retourneront dans les médiathèques ou qui échangeront par clef USB. Puis après quelques mois, quelques échecs de la mise en application d’Hadopi, ils recommenceront à télécharger. Ils verront qu’il suffit de faire telle ou telle chose pour contourner le système. Je pense qu’au bout de six mois, ils recommenceront.
    Il y aura aussi des personnes qui auront accès à moins d’œuvres, et qui seront donc moins cultivés. D’ailleurs ce sont les personnes qui échangent le moins de biens culturels sur Internet qui seront le plus touchées car les personnes qui échangent le plus sont aussi celles qui achètent le plus d’œuvres en dehors d’Internet. Enfin, il y aura des erreurs judiciaires et là, ce sera le début du désastre politique.
    Comment prouver que l’échange de biens culturels sur Internet ne provoque pas de baisse de revenu ?

    www.quadrature.net/wiki/Documents : étude d’une industrie du Canada. Les chiffres de l’UMP proviennent du SNEP, du rapport « Lutte contre la piraterie audiovisuelle ». Et le président de la commission n’est autre que le président de Gaumont. On peut également trouver des informations grâce à des sondages, par exemple ceux de la Business School de Suède.

  7. Quel est votre rôle dans le débat?


    La Quadrature du net permet de créer un contexte politique. Quand on observe le traitement médiatique d’Hadopi, on se rend compte qu’au début, le sujet était couvert par les services culturels puis par les services des technologies. Là, il y a eu un clash dans les rédactions entre les deux services et c’est finalement le service des technologies qui prend le dossier. Enfin, le service politique a commencé à couvrir le sujet également. Au fur et à mesure, Hadopi est devenue « obsolète ». C’est donc le contexte politique qui a retourné la contestation. Le fait d’envoyer 2000 mails de protestation contre Hadopi augmente le coût politique de la loi.
    Certains députés reconnaissent que si le coup du rideau a fonctionné c’est parce qu’il n’y avait personne du côté UMP. La conséquence politique des protestations a donc été que  les députés ne sont pas allés dans l’hémicycle. Certes, c’était le jeudi matin donc il n’y a jamais beaucoup de monde (et d’ailleurs le choix ce jour montre l’urgence dans laquelle le gouvernement veut faire passer la loi). Le Conseil constitutionnel est sensible au contexte politique aussi et il a ainsi pu remettre en question la politique du président.  La Quadrature du net a été citée dans le Figaro comme le « fer de lance » des anti-Hadopi et est considérée comme ayant permis l’ouverture du débat.

  8. La suite pour vous ?

    En fait on travaille beaucoup sur le paquet télécom pour déclencher une prise de conscience de la neutralité du net. Il va se développer une police et une justice privée sur Internet. Les fournisseurs d’accès seront obligés de retirer tous les fichiers de téléchargement qui transitent chez eux. Il y a donc une réelle menace sur les libertés individuelles. En effet, l’objectif d’Hadopi est le filtrage du net. Même si on fait croire que c’est contre la pédopornographie. En fait, ils mettent en œuvre le filtrage pour l’étendre dans d’autres domaines. Ils veulent « dépolluer les réseaux ».

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