Il
existe deux manières de prendre en compte la question du coût de
l’instauration d’un programme de dépistage néonatal de la surdité.
Selon les éléments que l’on considère, le coût permet soit de justifier
l’instauration du dépistage néonatal de la surdité, soit au contraire
de s’y opposer. Pourtant, de manière générale, le coût du dépistage par
enfant est relativement faible.
Ainsi, les tenants du dépistage néonatal vont soutenir que le dépistage
précoce permet un gain économique d’une part car les tests sont peu
chers. D’autre part la prise en charge immédiate de l’enfant serait
porteuse d’un meilleur développement, notamment du langage, de l’enfant
et par conséquent lui éviterait une éducation spécialisée et les coûts
qui y sont liés.
A l’inverse, les opposants au dépistage néonatal défendent qu’il n’y
aucune certitude actuelle quant à une amélioration des capacités orales
de l’enfant et que l’argent du dépistage serait utile pour grossir les
effectifs des instituts spécialisés.
Dans le contexte actuel, la question du
coût économique est décisive pour savoir si un programme, une réforme,
une technique pourra être appliquée. Ainsi, le dépistage néonatal
systématique de la surdité n’est envisageable en France que si son coût
est supportable par la communauté (en particulier par les hôpitaux qui
réalisent ce dépistage et par la sécurité sociale si celle-ci décide de
participer au financement de ce dépistage).
La question du coût est donc centrale
dans la controverse qui nous occupe et est un argument utilisé tantôt
par les défenseurs de la systématisation du dépistage néonatal, tantôt
par ses adversaires.
De quel coût parle-t-on ?
Il existe deux façons de
prendre en compte le coût du dépistage :
- Soit en ne considérant que le
dépistage en lui-même, c'est-à-dire le test que l’on fait passer à tous
les enfants et les tests supplémentaires que l’on fait passer à ceux
qui n’ont pas des résultats normaux
- Soit en prenant également en compte
l’influence du dépistage précoce de la surdité sur les coûts de la
prise en charge de l’enfant sourd.
Alors que dans le premier cas le
dépistage systématique provoque inévitablement une hausse du coût pour
la société, dans le second ce montant peut être négatif si le coût du
dépistage néonatal est inférieur au montant économisé grâce à une prise
en charge précoce.
Les
arguments des acteurs de la controverse
Les acteurs de la controverse qui sont
en faveur de la systématisation du dépistage néonatal de la surdité
mettent en avant le faible coût du test en lui-même par ra
pport aux avantages économiques d’une prise en charge précoce de la
surdité.
Ainsi, pour le
Dr
Virole : « Au bout du compte, le dépistage précoce permettra
un gain important en termes de coût de santé publique en permettant aux
enfants sourds d’avoir accès rapidement à des conditions bien
meilleures et naturelles d’apprentissage du langage oral et donc à
terme de pouvoir être intégrés parmi les enfants entendants évitant
ainsi l’éducation spécialisée dont le coût de fonctionnement est très
important. »
L’
Académie
de médecine, l’
AIRDAME,
et l’
INSERM défendent
également ce point de vue.
Les adversaires de la systématisation du
dépistage néonatal leur répondent que les améliorations des capacités
orales de l’enfant sur lesquelles reposent leur raisonnement ne sont
nullement prouvées. C’est notamment la position de l’
UNAPEDA.
D’autres ajoutent que l’argent consacré
au dépistage systématique serait mieux employé s’il était consacré à la
prise en charge des enfants sourds. Ainsi, selon la
FNSF : « Le coût d’un dépistage
systématique n’est pas anodin (17 millions d’euros). Avec cette somme
on pourrait recruter 500 interprètes et/ou des médiateurs sourds, ce
qui améliorerait à coup sûr l’insertion sociale de nos concitoyens
sourds. Est-ce bien le cas d’un programme qui ferait connaître quelques
semaines plus tôt la surdité de 500 enfants et qui risque de les
canaliser dans une filière de soins ? »
Les
données relatives à ces arguments
Plusieurs études ont été menées sur le
sujet, mais aucune en France à notre connaissance. Les coûts varient
selon chaque pays en raison des différences de rémunération du
personnel hospitalier par exemple. Néanmoins les ordres de grandeur
sont les mêmes d’un pays à l’autre. De plus, il faut noter que toutes
les études ou les expériences présentées ici concernent des programmes
de dépistage dans lesquels les oto-émissions acoustiques (OEA) sont
utilisées dans un premier test et sont complétées, en cas de doute, par
un test par potentiel évoqué auditif (PEA), ce qui correspond au
protocole de dépistage envisagé ou effectué dans l’hexagone dans la
plupart des cas. Par conséquent, les données étrangères concernant le
coût du dépistage peuvent être utilisées à titre indicatif.
On peut par exemple se servir de
l’article “Projected Cost-Effectiveness of Statewide Universal Newborn
Hearing Screening”, publié en 2002 dans le n°110 de la revue
Pediatrics, par Ron Keren, Mark Helfand, Charles Homer, Heather
McPhillips et Tracy A. Lieu. Il concerne une étude menée aux
Etats-Unis. Selon eux, pour un enfant ayant subi, en plus du test OEA
de départ, un test PEA et un examen par un ORL pour confirmer le
diagnostic, le coût est de 540 dollars (349 euros). D’autre part, ils
évaluent le coût sociétal (perte de productivité de l’individu sourd,
éducation spécialisée, réhabilitation professionnelle, frais médicaux,
appareils d’assistance) à 1,1 millions de dollars par personne pour
toute sa vie. Ils ajoutent que l’amélioration du langage de la personne
sourde permettrait de diminuer de 10% ses besoins en éducation
spécialisée et de 75% ses besoins de réhabilitation professionnelle, ce
qui représenterait une économie de 430 000 dollars (277 795 euros) par
individu sourd. Ils soulignent néanmoins qu’il n’a pas encore été
prouvé que la prise en charge précoce de la surdité entraîne une
amélioration du langage et de la productivité, ce qui fait que les
économies dues au dépistage ne sont qu’hypothétiques.
En plus de cette étude théorique, nous
disposons également des données issues de l’expérience des programmes
de dépistage néonatal systématique de la surdité.
Ainsi, d’après l’article de M.-H.
Cao-Nguyen, N. Ecuvillon, M. Aranda et J.-P. Guyot, « Coût du dépistage
systématique de la surdité chez le nouveau-né » publié dans le n°500 de
la Revue médicale Suisse en 2004, les hôpitaux universitaires genevois
dépensent en moyenne 88 500 francs par an (55 000 euros) pour dépister
environ 3 400 bébés, ce qui fait un coût par bébé de 26 francs (16
euros). Ce chiffre est en fait une moyenne entre, d’une part, un coût
de 18 francs (11 euros) par bébé pour les 92,5% des nourrissons qui ont
directement des oto-émissions acoustiques normales et pour les 6% qui
ont des OEA normales après le 2e test (ce coût ne représente que le
coût de l’appareil et celui du personnel réalisant le test), et d’autre
part un coût de 480 francs (296 euros) pour chaque bébé à qui il a
fallut faire passer un bilan audiologique complet comprenant un
potentiel évoqué auditif.
D’autre part, le coût moyen du dépistage
par nourrisson a été évalué à 30$ aux Etats-Unis, à 11€ en Belgique,
entre 5 et 10€ à la Clinique des Emailleurs à Limoges.
Dans tous les cas, on constate que le
coût du dépistage dépend de la proportion d’enfant négatifs aux OEA
(c'est-à-dire chez qui on détecte un problème). Plus ils sont nombreux
et plus il faut faire passer de PEA, test qui coûte beaucoup plus cher
que celui des OEA. De plus, plus le premier test OEA est fiable et
moins il y a besoin de faire passer un deuxième test et moins le
dépistage revient cher.
De manière générale, le coût du
dépistage par enfant est relativement faible.
De plus, si l’on fait l’hypothèse que le dépistage précoce conduit à
une prise en charge précoce de la surdité et que celle-ci entraîne une
amélioration du langage de la personne sourde, il semble apparaître que
la systématisation du dépistage est avantageuse d’un point de vue
économique.
Toute la question est de savoir si cette hypothèse est réaliste ou pas.