Innovations
techniques récentes :
Les
pesticides que les firmes productrices appellent plus volontiers
produits
phytosanitaires voire produits phytopharmaceutiques répondent à des
besoins
réels de l'agriculture. Leur usage
remonte à l'Antiquité. En
Chine, avant notre ère, le soufre était même utilisé dans le traitement
des
végétaux. La célèbre Bouillie bordelaise (cuivre et chaux) date, quant
à elle,
du 19ème siècle.
Le
premier ouvrage sur les risques associés à l'utilisation des pesticides, Silent
spring (le
printemps silencieux) a été
écrit en 1962 par la biologiste américaine Rachel Carson. L'alarme est
ainsi
lancée sur les nuisances dues au DDT et autres pesticides
organochlorés.
Les
pesticides sont en évolution permanente. Les innovations techniques
sont
constantes afin de créer des molécules assurant une protection des
cultures
encore plus efficace. De la sorte, l'enrobage des
semences a été mis au point et une nouvelle molécule, le thiaméthoxam,
a été développée.
Enrobage
des semences :
Un insecticide systémique est un composé
absorbé, transporté et
stocké par la plante pour une certaine durée en un site d'action dit
site
insecticide.
Une
innovation fameuse pour l’agriculture :
Un insecticide
systémique permet de répondre aux besoins des agriculteurs
d'éliminer des
ravageurs inaccessibles aux pulvérisations des produits peu voire non
pénétrants, soit parce qu'il y a déformation des feuilles, ou encore de
par la
présence de l'hôte dans les tissus végétaux.
Un insecticide
systémique assure une grande rapidité d'action, nécessaire en vue
d'éviter la
propagation des viroses par les insectes piqueurs dans une culture.
De plus,
l'efficacité des systémiques assure aux agriculteurs de
ne pas renouveler leurs applications pour lutter contre les
ré-infestations de
ravageurs comme les pucerons.
Les
systémiques, la réduction des risques pour les abeilles ?
L’utilisation
des insecticides ectothérapiques (soit qui ne pénètrent pas la plante,
par
opposition aux systémiques aussi dénommés insecticides endothérapiques)
additionne aux risques différés (par ingestion de nectar contaminé),
des
risques directs (par contact lors de la pulvérisation, ou avec les
résidus).
Alors que les abeilles, insectes non ciblés par ces pesticides, sont
exposées à
l’accumulation du risque direct et différé par l’utilisation
d’insecticides
ectothérapiques, elles ne sont peu ou pas exposées à un risque direct
lorsque
le traitement consiste à enrober des semences par des systémiques. Les firmes et maïsiculteurs
mettent en avant la réduction des risques auxquels sont confrontées les
abeilles, permise par les systémiques. Ils représenteraient donc une
réelle
avancée en faveur de la protection des abeilles.
Mais, certains apiculteurs
pensent que
le traitement par systémiques est source d’effets négatifs pour les
abeilles
car ils contaminent le nectar et le pollen de façon intense et
prolongée.
Systémie
relative
Selon Ripper W. E.[1],
les systémiques
se caractérisent par leur solubilité dans l’eau (expliquant
leur mobilité
dans la sève), leur pénétration dans la plante et leur stabilité dans
la plante
(expliquant leur action prolongée). En fonction
de ces variables, la
systémie d’un insecticide peut être d’un degré plus ou moins fort.
Selon les scientifiques
Deletage-Grandon, C. [2], et
Delrot, S. Bonnemain [3], le degré de
systémie dépend du mode
de circulation de la molécule : soit dans la sève de xylème
(sève brute),
soit dans la sève de phloème (sève élaborée), soit les deux.
La diversité
des degrés de systémie tient non seulement au mode de circulation de la
molécule, mais aussi de son caractère acido-basique. En effet, la
mobilité dans
le phloème est généralement liée au caractère acide de la molécule.
Un autre
auteur scientifique,
Holmsen, J.D.
[4], a montré que les molécules
telles que le Fipronil ne
circulent que dans la sève du xylème et ainsi se retrouvent dans les
régions de
la plante où il y a évaporation. Cela signifie que ces molécules vont
cibler
préférentiellement les feuilles âgées, et non les régions jeunes telle
que les
boutons et les graines. L’acéphate, lui, est mobile dans le phloème. Il
atteint
les zones en croissance telles que les boutons floraux que le Fipronil
n’atteindra pas de par sa circulation dans la sève du xylème. La
mobilité du Fipronil
a été évaluée compte tenu de sa solubilité dans l’eau. Elle est très
partielle
en comparaison à celle de l’acéphate. Les molécules de Fipronil ont
ensuite été
radiomarquées (rendues radioactives permettant de suivre leur
activité). On a
ainsi estimé que seulement 5% des molécules du produit appliqué dans le
sol
pour protéger des semences de coton, maïs et tournesol étaient
absorbées par
ces plantes.
Enfin,
selon Davis
A. R. [5], les conditions de
culture de la plante et tout particulièrement son alimentation hydrique
modifient le degré de contamination du nectar. Il laisse donc penser
que les
pratiques agricoles peuvent modifient la systémie inhérente d’un
insecticide.
Il s'agit d'une possibilité que les maïsiculteurs
ont particulièrement mis en exergue.
L'utilisation des
systémiques en France
Cliquez
sur l'image pour afficher la répartition de l'utilisation des
pesticides systémiques
Interprétation :
En France, les
superficies de cultures à protéger contre d’éventuels ravageurs et pour
cela,
susceptibles d’être traités par systémiques recouvrent plus de 12
millions
d’hectares. Environ 20% d’entre elles sont régulièrement visitées par
les
abeilles : les oléagineux, protéagineux, arbres fruitiers,
cultures
fourragères potagères et industrielles. Alors que 80% de ces surfaces
ne sont
visitées par les abeilles qu’occasionnellement : telles que la
vigne et
les céréales, lorsque viennent à manquer les pollens de plantes
spontanées.
Les semenciers
affirment que les
sources spontanées de pollen sont rendues de moins en moins disponibles
par la
perte de biodiversité. C’est pourquoi, les céréales et vignes, qui sont
prioritairement traitées par des systémiques deviennent progressivement
plus
régulièrement visitées par les abeilles, sous la contrainte des
pertes des
pollens les plus riches.
Source :
Rapport au parlement, JN Tasei, R. Delorme, J.L. Rivière (INRA)
[1] Ripper
W. E.,
The status of systemic insecticides in pest control practices, Advances
Pest
Control Research 1, 305-352, 1955
[2]
Deletage-Grandon, C. Effets de diverses modulations structurales sur
les
propriétés d’adaptation et de transfert des xénobiontes. Premières
applications
aux fongicides. Thèse Université de Poitiers, Sept. 2000
[3] Delrot,
S. Bonnemain, Le transport à longue distance des herbicides dans la
plante,
In : les herbicides, mode d’action et principes d’utilisation,
Scalla R.
Dir. INRA, Paris 1991, p 51-77
[4] Holmsen,
J.D.,
The systemicity of fipronil, Rhône - Poulenc Agro Research Triangle Park,
NC, USA,
1998
[5]
Davis A.R.
Shuel, R.W. , Invisible damage to honeybee colonies from pesticides,
Canadian
Beekeeping, p. 60-65, 1985
Le
thiaméthoxam :
Les
faits :
Le 20 novembre
2008, l’AFSSA
a émis
un avis[1]
favorable à l’homologation
du produit phytopharmaceutique Cruiser, à base de thiaméthoxam, pour le
traitement insecticide par enrobage des semences de maïs. Le 8 janvier
2008,
l’Agence a confirmé sa décision quant à l’autorisation de mise sur le
marché de
la préparation Cruiser. Néanmoins, elle a aménagé des mesures de
précautions en
vue de réduire l'exposition des abeilles au thiaméthoxam :
- autorisation
limitée à 1 an suivie d’une nouvelle évaluation,
- limitation
de la période d’utilisation avant le 15 mai 2008 afin de réduire la
période de
floraison
- application
autorisée uniquement sur le maïs ensilage, le maïs grain et le maïs
porte-graine femelle.
La confédération paysanne,
la
coordination des apiculteurs de France et
certaines ONG présentes au Grenelle de l’environnement
ont
appelé les apiculteurs
à manifesté contre la mise sur le marché du Cruiser, demandant son
retrait. Joël
Schiro, apiculteur dans les
Hautes-Pyrénées et président du syndicat des apiculteurs professionnels
de
Midi-Pyrénées et de France a été le porte parole de ces apiculteurs à
nouveau
mobilisés contre un insecticide systémique, malgré la batterie
de conditions d’utilisation à respecter. Joël Schiro
a affirmé qu’ « il n’y a aucune
raison pour que le Cruiser soit moins toxique que le Gaucho ».
En effet,
la substance active du Cruiser, le thiaméthoxam, appartient à la même
famille
des néonicotinoïdes que l’imidaclopride, substance active du Gaucho.
Leur
critique des modes d’expérimentation et des procédures
d’homologation est
récurrente.
Joël
Schiro
critique
principalement que les expérimentations soient menées par des
chercheurs sans
compétence sur les abeilles. Ils rejettent les expérimentations de l’AFSSA
car elles ne s’exercent pas
sur des périodes de test suffisamment longues pour pouvoir être
fiables. De
plus, les tests menés sur le maïs ne peuvent pas toujours être
pertinents dans
la mesure où le maïs n’est pas une plante qui soit la cible prioritaire
des
abeilles, le maïs n’est pas donc pas régulièrement visité par
elles.
Les
précautions préconisées par l’AFSSA
sont difficilement applicables et les apiculteurs
craignent leur non respect. Les limitations d’utilisation du cruiser
apparaissent à Joël Schiro inapplicables, notamment le fait que la
parcelle
traitée au Cruiser ne doive pas accueillir de plantes mellifères ni de
semis
Cruiser pendant trois années. L’obligation de réduction de la floraison
est une
limite qu’aucune administration ne se trouve en capacité de réguler.
De même, le
président du Mouvement pour les Droits et le Respect des Générations
Futures, François
Veillerette, reste
perplexe quant aux moyens de mettre en œuvre de telles limites. Il est
l’auteur
des ouvrages Pesticides, le piège se referme, Ed Terre Vivante, 2002 et
Pesticides, révélations sur un scandale français Ed Fayard 2007.
Pour autant, Jean Fedon
est un apiculteur qui
considère la période d’essai accordée au Cruiser comme appartenant à
une
démarche pertinente car elle est le seul moyen de mener des recherches
sur le
long terme et en conditions naturelles. Jean Fedon s’appuie ainsi sur Jean Louveaux
(ex directeur
de la station apicole de BURES sur YVETTE), " lorsque le chercheur et
le
pratiquant ne sont pas d'accord, il s'avère que c'est toujours le
pratiquant
qui a raison". Alors que les apiculteurs d’alerte considèrent
l’homologation provisoire du Cruiser comme la répétition d’une histoire
sombre,
l’apiculteur Jean Fedon se réjouit que le thiaméthoxam appartienne à la
même
famille de systémiques que l’imidaclopride. En effet, cela autorise à
ce que
les données disponibles quant aux effets de l’imidaclopride soient
extrapolées
à ceux du thiaméthoxam. Jean Fedon ne craint pas le thiaméthoxam pour
ses
ruches, considérant qu’il aura des effets semblables à ceux de
l’imidaclopride.
Or, il a mené deux expérimentations sur maïs traité au Gaucho (dont la
substance
active est l’imidaclopride) au cours des mois de juillet 2002 et 2003
et a
constaté une augmentation des populations de ses colonies sur ces
périodes.
Selon Jean Fedon,
les limites accordées
par le ministère de l’agriculture pour l’utilisation temporaire du
Cruiser
étaient suffisantes et ne méritaient pas les critique des apiculteurs.
Par
exemple, la recommandation de l’AFSSA
d’un éloignement minimal des ruches de 3 km
par rapport aux zones traitées est, selon
lui, une limite acceptable et suffisante. En effet, il serait rare que
les
abeilles s’éloignent à plus de 3 km de leurs ruches.
Pourtant, un scientifiques spécialiste de
l’abeille
nous a bien précisé que ces limites ne présentent aucun caractère
scientifique,
une abeille s’éloignant bien au-delà de 3 km
de la ruche. Pour lui, une abeille peut
aller jusqu'à 10 km
même si cela est rare dans la mesure où elle trouve généralement des
plantes à
butiner plus près.
Le
scientifique de l’INRA, Jean-Noël Tasei considère que la limitation
de l’utilisation du thiaméthoxam sur
maïs amoindrit le risque, car si elle ne diminue pas la toxicité
intrinsèque du
thiaméthoxam, elle limite l’exposition des abeilles, puisque le maïs ne
produit
pas de nectar.
Témoignage
de
Jean-Noël Tasei :
Nous :
« N’est-ce pas étrange qu’on interdise le gaucho pour à la
fois autoriser une molécule qui lui est très
semblable ? »
|
Jean-Noël Tasei :
« C’est plus qu’étrange. C’est dérangeant. Ça dérange beaucoup
la profession apicole qui estime que c’est un retour des mauvaises
pratiques qui consistent à mener des traitements préventifs dans le sol
avec des produits systémiques. Le ministère de l’agriculture a tout de
même insisté et la nouvelle instance d’homologation qui est l’AFSSA a
jugé sur le dossier que le cruiser pouvait être utilisé sans risque
extraordinaire pour l’abeille domestique. Il y a quelques années
j’avais présenté le dossier thiaméthoxam à la commission des toxiques,
j’avais étudié le dossier expérimental. J’avais trouvé qu’il pouvait y
avoir des risques pour l’abeille sur colza et sur tournesol. Mais dans
le cas du maïs, les données de l’époque ne conduisaient pas à conclure
à des risques pour l’abeille avec une marge de sécurité suffisante. Si
j’étais apiculteur, je n’aurais pas trop de soucis, à condition qu’on
en reste au maïs. »
|
Selon
la
société Syngenta
qui
produit le Cruiser, le thiaméthoxam ne serait toxique pour les abeilles
"qu’à forte dose". Aucun risque en conditions réelles, où il est
utilisé à très faibles concentrations. Le 9 janvier, Laurent Péron le
directeur
de la communication de Syngenta France affirmait au Monde
que les essais sous tunnel et en
plein champ n’avaient montré aucun effet significatif. Syngenta appuie
la
sûreté du thiaméthoxam sur l’exemplarité de quatre-vingt pays dans le
monde
autorisant l’utilisation du Cruiser. Néanmoins, l’interdiction récente
du
thiaméthoxam parmi d’autres insecticides par l’Allemagne a affaibli
cette
position. Néanmoins, le ministre de
l’Agriculture, Michel Barnier, a rappelé
que la situation
allemande subissait des surmortalités non constatées en France.
Le ministère de l’agriculture
avait
mis en place un protocole de surveillance établi en coopération avec
les
associations d’apiculteurs,
en Aquitaine, Rhône Alpes et Midi Pyrénées. Ce dispositif de
surveillance a
permis de suivre les mouvements de population d’abeilles, qui
n’auraient pas
été atteintes par la période d’utilisation du cruiser sur maïs.
[1]Avis
de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments relatif aux
conclusions de l'évaluation de la préparation Cruiser concernant le
risque à
long-terme pour les colonies d’abeilles
Avis de
l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments relatif à une
demande
d'autorisation de mise sur le marché de la préparation CRUISER à base
de
thiaméthoxam, de la société Syngenta Agro SAS, dans le cadre d'une
procédure de
reconnaissance mutuelle.
Cliquez
sur l'image pour faire apparaître l'animation sur le Cruiser
|