Toxicité
& Rémanence :
Toxicité
:
L'imidaclopride
(substance active du Gaucho), le fipronil (substance active du Régent)
et le
thiaméthoxam (substance active du Cruiser) sont des neurotoxiques. Cela
signifie que leur action physiologique s'exerce sur le système nerveux
central.
Appartenant à
la même famille néonicotinoïdes, l'imidaclopride et le
thiaméthoxam
agissent sur les récepteurs post-synaptiques de
l’acétylcholine.
Le
fipronil est la seule matière active de la famille
des
phényl-pyrazol. Avec une faible systémie, le
fipronil bloque les
canaux chlorés, régulés par l’acide gamma-aminobutyrique (synapses
GABAergiques).
Les indices
mettant sur la piste de l'intoxication
Selon la
revue de Suchaïl
(2001), les symptômes d'intoxication sont une hyperactivité suivie
d'une
apathie. Ces phénomènes sont réversibles après 48 heures chez les
survivantes.
La réversibilité de effets permettraient de penser leur légèreté.
Néanmoins,
beaucoup d'apiculteurs y voient une menace réelle, non seulement parce
que la
réversibilité serait un phénomène mineur, mais parce qu'elle génère
elle-même
des effets sublétaux qui dépeuplent tout autant les ruches que les
effets
létaux.
Des
conséquences létales ?
L'exemple
de l’imidaclopride est particulièrement représentatif
des divergences
entre les différentes parutions
scientifiques.
Cliquez sur l'image
pour ouvrir le tableau
Les facteurs
de variabilité d'estimation de la toxicité aigue des pesticides sur les
abeilles
Les états
physiologiques des abeilles peuvent être variables d'une ruche à
l'autre. Par
exemple, une ruche ayant un rapport couvain/adultes élevé possède des
adultes à
activité métabolique plus élevée qu'une colonie dont le rapport
couvain/adultes
est faible. Les adultes de la colonie dont le rapport couvain/adulte
est élevé possèdent
donc une meilleure capacité de détoxification.
De plus, la
synthèse des études réalisées à Bures sur Yvette (Thybaud,
2000) laisse aussi
supposer que l'état physiologique des abeilles joue un rôle important
dans leur
sensibilité à l'imidaclopride. Dans le cas d'abeilles prélevées en
rucher,
l'ingestion de solutions sucrées contaminées à 4 μg/kg
d'imidaclopride, durant 11 jours,
réduit significativement les
performances de l'apprentissage d'une réponse à un stimulus
olfactif. Alors que dans le cas d'abeilles d'hiver provenant
de ruches
chauffées et nourries avec un sirop contaminé, seules les
concentrations
supérieures ou égales à 40 μg/kg d'imidaclopride réduisent
significativement
les performances.
Ces
instabilités liées aux différents états physiologiques des abeilles
impliqueraient un faible degré de fiabilité des tests de toxicité,
largement
mis en avant par bon nombre d'apiculteurs.
Néanmoins, le monde apicole reste extrêmement divisé. Jean Fedon
est par exemple un
apiculteur qui a confiance dans les tests publiés par l'AFSSA.
Quel lien
dose-effet ?
En outre, les producteurs de pesticides
et leurs
utilisateurs (agriculteurs, maïsiculteurs) s'appuient sur
l'idée que les insecticides
systémiques assurent de moindres concentrations, générant donc de
moindres
intoxications des abeilles. Néanmoins, la recherche des facteurs de
variabilité
des estimations de la toxicité aigue de ces pesticides a mené à prendre
en
compte l'effet anti-appétant, qui annulerait tout lien entre les doses
et
l'ampleur de leurs effets. Joël
Schiro, apiculteur, au cours du compte
rendu de la réunion
d'information organisée par le Syndicat
des Apiculteurs Professionnels de Midi-Pyrénées (S.A.P.M.P),
a
repris les affirmations de M.
Belzunces (INRA) et Mme
Suchail (étude de 2001). Dans sa recherche
des DL 50 topique et
orale (DL 50 : dose létale pour la moitié d’une population
d’abeilles en
48h), Suchail obtient des courbes de mortalité montrant que pour
certaines
doses, il n'y a plus de relation effet-dose. Suchail suppose que cette
relation
est biphasique, dans le sens où des faibles doses impliquent l'absence
d'induction
des enzymes de détoxification, alors qu'elles seraient induites à doses
intermédiaires et fortement synthétisées à fortes doses. Or,
l'apiculteur Joël
Schiro a assuré que, au cours
d'un entretien, M.
Belzunces
avait beaucoup insisté sur cet effet anti-appétant exercé
par l'imidaclopride : des doses beaucoup plus faibles peuvent
entraîner
une toxicité considérablement plus forte. Pour la coordination des Apiculteurs
de France,
il est clair que les systémiques, en faibles doses, seraient alors
encore plus
à craindre que des pesticides classiques, par l'absence de
lien entre
dose-effet. La
coordination des
Apiculteurs de France a montré que l’arrêt
du Conseil
d’Etat du 10 octobre 2002
s’alignait sur leurs positions. En effet, cet arrêt
dispose que
des mesures restrictives à l’encontre du Gaucho sur tournesol
doivent
impliquer des restrictions similaires sur son utilisation sur maïs. Le
maïs est
d’autant plus butiné par l’abeille, que la demande en pollen est
importante à
la suite de l’intoxication sur tournesol. En fait : afin d’effacer les
effets
d’une intoxication primaire sur tournesol, la colonie s’intoxique plus
encore
en butinant ou en consommant du pollen de maïs traité Gaucho, contaminé
à
hauteur de 3 à 4 ppb.
Selon
les maïsiculteurs,
l'effet anti-appétant empêche l'homogénéité de la contamination et
perturbe
donc les expérimentations par DL50. En effet, la répétition de
l'évaluation de la
DL50 de l'imidaclopride sur
différentes colonies d'Apis
Mellifera
révèle des variations très étendues. L'effet anti-appétant se
manifesterait de
façon irrégulière sur les colonies testées et ne permettant donc pas
une
contamination homogène.
La saisine de
la diversité des données par les acteurs
Pour
l’imidaclopride, la DL-50
(dose létale pour la moitié d’une population d’abeilles en 48h) peut
aller de
3,7-57 ng/abeille selon les auteurs. Néanmoins, cela indique quand même
un
ordre de grandeur en comparaison aux autres insecticides. En effet,
malgré les
diversités de résultats par les différents auteurs, leurs moyennes
permettent
de comparer leur toxicité aigue.
Cliquez
sur l'image pour faire apparaître le diagramme de comparaison des DL50
de différentes substances
On note que
l’imidaclopride a une activité minimale, il est donc le systémique dont la
toxicité est la plus aigue.
Mais la
diversité des données n'est pas forcément saisie sous forme de moyenne. En
effet, selon la coordination des apiculteurs,
les données procurées par la
DL50 sont les suivantes :
L’Imidaclopride
(données fournies par Bayer)
DL50 par
ingestion : 3,7 ng/ abeille
DL50 par
contact : 81,0 ng/ abeille
Le Fipronil
(données fournies par Aventis)
DL50 par
ingestion : 4,2 ng/ abeille
DL5O par
contact : 5,9 ng/ abeille
Ces DL50 sont
parmi les plus basses que l’on connaisse parmi la large gamme de DL50
disponibles selon les différentes parutions scientifiques. En toxicité aiguë,
l’imidaclopride se caractérise par une DL50 par contact plus élevée que la DL50 par ingestion, ce qui
suggère que l’imidaclopride soit plus toxique par ingestion, alors qu'il est
prioritairement utilisé comme systémique d'enrobage des graines. Le Fipronil,
lui, serait encore plus toxique par contact compte tenu de sa DL50 de
contact, d’un facteur 13 fois plus bas que pour l’Imidaclopride.
La
contradiction des études est bien mise en valeur par le fait que selon Suchail 2001*, la toxicité par voie orale de l’imidaclopride est 2
à 5 fois plus forte que la toxicité par contact topique, alors que Bayer annonçait pour cette
substance active une DL50 orale de 3,7 ng/abeille et une DL50 par contact de 81
ng/abeille, soit un rapport d’environ 22 (Belzunces et Tasei, 1997).
L’apiculteur
Joël Schiro fait partie de
ceux qui contestent la DL50
comme mesure fiable de la toxicité aigue intrinsèque d’un insecticide. La DL 50 est en effet très souvent
remise en cause pour son instabilité : la DL 50 obtenue dans une étude est très différente
de celle obtenue dans une autre. En effet, sans procéder par des moyennes, la
réalité des résultats est celle-ci :
pesticide
|
DL50
(ng/abeille)
|
oxydéméton-méthyl
|
2997
|
méthamidophos
|
1370
|
thiométon
|
500
|
aldicarbe
|
272
|
acéphate
|
180-1202
|
diméthoate
|
93-190
|
méthomyl
|
80-1290
|
imidaclopride
|
3,7-57
|
Ses larges
variations de la DL 50
l'empêcheraient donc d'être indicative.
La DL50 est aussi critiquée pour consister en la mesure
d’une toxicité individuelle, ne prenant pas en compte l’abeille dans
sa dimension d'animal social. Jean-Noël
Tasei insiste sur l’idée que la toxicité devrait donc être
mesurée à l’échelle de la colonie.
Témoignage
J-N Tasei : « L’évaluation du risque doit aboutir à la colonie
entière. Je précise. Pour mener une manipulation d’abeilles en laboratoire,
il faut les séparer de la colonie. En laboratoire, vous êtes très précis,
mais très éloignés des conditions de la vie de la colonie. Pour l’instant, il
est admis au niveau européen que le dernier jugement doit concerner la
colonie dans son ensemble et non pas l’individu abeille. La colonie est un
ensemble social qu’il faut considérer comme tel. Quand on a des abeilles qui
vont marcher plus lentement parce qu’elles ont reçu une dose d’insecticides,
elles ne vont pas mourir mais elles vont marcher plus lentement que les
abeilles témoins. Quelles vont être les répercussions de cette modifications
du comportement sur la vie globale de la colonie ? Est-ce que pour autant, la
colonie va dépérir en hiver ? Est-ce que la colonie va produire moins de miel
? On n’arrive pas à répondre à ces interrogations. »
|
* Guez, D., Suchail, S., Gauthier, M. Maleska, R.
Belzunces, L.P.
Contrasting effects of imidaclopride on habituation in
7 and 8 day-old honey bees (Apis mellifera) Neurobiology of learning and
memory, 2001 Rémanence :
L’impact et la persistance des métabolites sont des
points de débat majeur. En effet, tous les insecticides sont dégradés dans
l’organisme de l’abeille, mais avec des vitesses variables, générant des
persistances différentes des métabolites dans le corps de l’abeille. Leur
possible persistance peut être questionnée à la fois à l'échelle du corps de
l'abeille et à l'échelle des sols. La dégradation de la molécule mère
donne des métabolites pouvant être plus ou moins toxiques pour l’abeille, selon
que les acteurs adoptent le référentiel de la toxicité aiguë ou subchronique.
Quelle persistance des métabolites ?
Franck
Aletru, apiculteur de Vendée et vice président de l'association Terre d'abeilles,
et Jean-Noël Tasei, scientifique de l'INRA, assurent que si les systémiques comme le Fipronil
et l’imidaclopride sont des molécules dont l’usage est interdit sur tournesol
et maïs, ils restent utilisés pour les autres semences et ils persistent dans
les sols de par les anciennes utilisations. Les semences qui sont ensuite
plantées dans ces sols récupèrent les sous-produits et sont atteints
indirectement quand bien même ils n’auraient pas été traités de première main.
Ainsi, selon Jean-Noël Tasei,
la controverse est loin d’être close puisque l’imidaclopride est toujours
homologué sur certains céréales. D’autant plus que le thiaméthoxam appartient à
la même famille des néonicotinoïdes (comme l’imidaclopride) et qu’il a été
homologué cette année pendant une période restreinte, jusqu’au 15 mai dernier.
D’autre part, les maïsiculteurs considèrent
prendre les précautions suffisantes conformément à l’arrêté du 29 novembre
2003. Celui-ci empêche que les insecticides (et acaricides) soient utiliser
pendant la période de floraison. Les produits portant la « mention
abeilles » bénéficient d’une dérogation s'ils sont appliqués en dehors de
la présence d’abeilles butineuses, tard le soir ou tôt le matin. Les apiculteurs ont soulevé
l’insuffisance de ces dispositions de par la longue vie des produits, qui
demeurent actives pendant les périodes de floraison.
Quels effets pour les métabolites ?
Les maïsiculteurs préfèrent se
fonder sur le référentiel de la toxicité aiguë des métabolites de
l’imidaclopride. Etant donné la principale utilisation de l’imidaclopride comme
systémique en enrobage des semences, Suchail,
Tasei et Belzunces ont surtout travaillé sur la toxicité par
voie orale en considérant aussi bien l’imidaclopride que ses cinq
métabolites : oléfine, 5-hydroxy-imidaclopride, di-hydroxy-imidaclopride,
dérivé urée et acide 6-chloronicotinique. Leurs DL50 respectives par voie orale
mènent à considérer que l’oléfine est sensiblement plus toxique que
l’imidaclopride et que seuls deux de ses métabolites ont une toxicité aiguë
significative : l’oléfine et le 5-hydroxy-imidaclopride. Le
5-hydroxy-imidaclopride est moins toxique que l’imidaclopride alors que
l’oléfine possède une toxicité comparable à celle du produit parent. Les autres
métabolites ne sont toxiques qu’au-dessus de 10 000 μg/kg d’abeilles.
La
coordination des Apiculteurs de France s’est appuyée sur l’étude de G.
Séverine Suchail, Luc P. Belzunces et Bernard E. Vaissière.
Leur expérimentation mène à constater qu’après des ingestions répétées de
faibles doses, l’imidaclopride et tous ses métabolites sont toxiques pour les
abeilles. Mais alors, les
apiculteurs ont choisi pour référence des ingestions répétées,
mesurant non pas la toxicité aiguë des métabolites de l’imidaclopride mais leur
toxicité subchronique (fondée sur la
DC50 : dose cumulée 50).
La dose
cumulée 50 est définie comme la dose de toxique ingéré de façon répétée tuant
50 % des abeilles. Plus le rapport de la toxicité aiguë sur la toxicité
subchronique est élevé, plus la différence entre la toxicité aiguë et la
toxicité subchronique est importante et plus de faibles doses en intoxication
subchronique sont capables d’induire des mortalités. Le rapport de la toxicité
aiguë sur la toxicité subchronique met en évidence que tous les métabolites
sont toxiques lorsqu’ils sont ingérés de façon répétée et ce à des doses 3000 à
100 000 fois inférieures à celles nécessaire pour produire les mêmes effets en
toxicité aiguë.
Néanmoins, certains scientifiques dont Jean-Noël Tasei,ont
souligné l’importance de prendre en compte la métabolisation de l’imidaclopride
dans le corps de l’abeille. Il a mis en avant que l’acide 6-chloronicotinique est
le seul et unique métabolite présent dans tous les compartiments biologiques de
l’abeille, y compris dans l’hémolymphe.
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