Controverse autour de la disparité CAP / CAR
Grands acteurs et théories en présence.
L’Effet Revenu : Willig (76) et Randall et Stoll (80)
Dans un article de l’American Economic Review publié en 1976 et intitulé « Consumer’s Surplus
without apology », Willig montre que les variations compensatrices et les
variations équivalentes
(donc le CAP et le CAR), dans le cas de changements de prix, peuvent être correctement approchées
par le surplus du consommateur. Plus précisément, la différence entre l’une de ces variations et le
surplus du consommateur doit théoriquement être inférieur à 2% du surplus du consommateur. Ainsi, la
différence entre CAP et CAR est supposée être négligeable ; la formule de Willig révélant néanmoins
qu’elle peut croître lorsque l’élasticité revenu de la demande augmente.
Randall et Stoll étendent l’approche de Willig aux changements dans les quantités disponibles d’un
bien (cas qui correspond plus aux situations de notre étude), dans un article de 1980 de l’American
Economic Review : « Consumer’s surplus in commodity space ». Ils parviennent de la même manière à une
divergence théorique du CAP et du CAR, lorsque les quantités du bien ne sont pas parfaitement divisibles.
Mais la divergence CAP/CAR demeure théoriquement faible, puisque l’un ne doit pas différer de plus de 5%
de l’autre.
L’ « endowment effect »
La première possibilité pour expliquer l’ampleur de la divergence CAP / CAR est de sortir du cadre
néoclassique.
Richard Thaler (1980) propose une explication de la divergence par la théorie de l’ « endowment effect »
(ou effet de dotation). Cette théorie se trouve au croisement de la psychologie et de l’économie, dans
la filiation de la prospect theory de Kahneman et Tversky (1979).
Dans la théorie de l’endowment effect, les individus sont soumis à une aversion à la perte, qui leur
fait surévaluer ce qu’ils possèdent par rapport à ce qu’ils pourraient obtenir. Pour le dire autrement,
le maintien du statu quo possède une valeur en-soi.
Brookshire et Coursey (1987) donne une démonstration expérimentale de cette aversion à la perte, en
montrant lors d’une étude de cas que le CAR pour la perte d’un certain niveau de quantité d’un bien était
75 fois plus élevé que le consentement à payer pour un gain de même niveau de quantité du même bien.
En 1989 dans un article intitulé « willingness to pay and compensation demanded : experimental evidence
of an unexpected disparity in measures of value », Knetsch et Sinden mettaient en question l’approche
de la théorie classique fondée sur l’utilité individuelle, en observant que la divergence effective entre
CAP et CAR dépassait largement la disparité théorique de l’explication par des effets de revenu. Ils en
concluaient à la remise en cause de certains axiomes de la théories néoclassiques, et trouvaient dans
leur test une confirmation de la théorie de Thaler et des analyses de Kahneman et Tversky.
En 2007 enfin, Bishoff montre, à partir de résultats expérimentaux, que l’effet de dotation s’applique
aussi aux cas de biens publics.
L’Effet Substitution : Hanemann (91)
Le retour sur le terrain néo-classique s’effectue par Hanemann, en 1991, dans un article intitulé
« Willingness to pay and willingness to accept : how much can they differ ? » .
Hanemann y introduit l’effet de substitution comme cause de la divergence entre CAP et CAR. Plus
précisément, il montre l’existence d’une relation inverse entre le rapport CAR/CAP et l’élasticité
de substitution. Ainsi, pour des biens ayant une faible élasticité de substitution (c'est-à-dire pour
des biens uniques et irremplaçables), nous pouvons, selon Hanemann, nous attendre à obtenir un CAR
beaucoup plus important que le CAP (avec au maximum un rapport d’ordre 5).
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