// CONSOMMATEURS // QUEL(S) PROFIL(S) ?
Existe -t-il une classification des pédophiles, que change Internet aux comportements sexuels, et qui sont les consommateurs de pédopornographie ?
- Acteurs : Acteurs scientifiques
- Instruments: études cliniques qualitatives et quantitatives, phallométrie
- Mise à l’épreuve : classification des pédophiles, transformation des pratiques sexuelles liées à Internet, et lien entre consommation et pédophilie
Tout commence aux États-Unis en 1964 avec l’étude Mohr, Turner et Jerry. Ils distinguent les pédophiles en trois catégories basées sur l’âge : très jeunes, moins de 50 ans, troisième âge. Ils déterminent que l’acte pédophile constitue avant tout un sentiment d’infériorité sexuel ou sociale, recherchant par là-même des partenaires moins « menaçants », contrebalançant des échecs personnels ou professionnels.
En 1977, Groth et Burgess établissent une typologie plus profonde distinguant le viol (désir de domination et de puissance, où la relation n’est jamais maintenue) et l’attentat à la pudeur (recherche à séduire et à se faire aimer pour une relation de pseudo-réciprocité affective comme sexuelle) en fonction des motivations et modalités de l’acte, et des relations avec la victime.
En 1989, Knight, Carter et Prentky analysent à l’aide de statistiques et d’un questionnaire en items une approche comportementalo-cognitiviste. Ainsi, ils mesurent le degré de fixation, de violence sadique/non-sadique et de « compétence sociale » des pédophiles pour les distinguer. L’institut Philippe Pinel de Montréal va s’inspirer de cette dernière étude pour un modèle d’expertise quantifiable basé sur la reconnaissance ou non des actes, des conséquences sur la victime, des liens entre fantasmes et actes et l’existence de problèmes annexes. De là, Proulx puis Raviart distinguent 3 dimensions chez les pédophiles : solitude, faible estime de soi, distorsions cognitives.
Parallèlement à cela, en 1988, Van Gijseghem essaie de sortir du modèle comportementaliste pour une approche psychodynamique. Il réalise une grille nosologique très complexe en huit stades afin d’étudier sur lequel de ceux-ci le pédophile fait une fixation : nature, sens, facteurs déclencheurs de l’abus, éléments étiologiques, caractéristique de la relation et du discours, éléments contre-transférentielles, autres formes d’agir illicite. Il n’en retire pas d’aboutissement clinique et ne débouche pas sur un profil pédophile particulier sinon un score de schizophrénie très élevé chez ceux faisant usage de violence. Le Rorsach établit enfin de nouveaux traits de caractère liés aux pédophiles : opposition chronique avec hostilité, tendance imaginative.
En France, les études majeures (Balier, Coutanceau et Martorell, Dubret et Cousin, Zagury) portent sur la notion de perversion et de perversité basées sur des observations cliniques, bien plus portées sur la psychodynamique des acteurs, divisant de fait la perversion sexuelle érotique (touchant plutôt les exhibitionnistes) qui englobe l’acteur et le partenaire dans un scénario érotique et idéal, et la perversité narcissique (ayant trait aux prédateurs sexuels) où la préservation de soi est fondée sur la destruction physique ou psychique de l’autre.
Mais il demeure impossible de déterminer une psychopathologie précise et donc de dresser une réelle classification des pédophiles.
« Les images et les autres représentations d’abus et d’exploitation sexuels d’enfants existaient bien avant la popularisation de l’Internet. » (Rapport de l'ECPAT) Mais l’expansion du web a favorisé le partage de tous fichiers confondus, matériels pornographiques et pédopornographiques les premiers. Production, distribution et possession de pornographie enfantine ont trouvé une nouvelle plateforme qui favorise sa commercialisation et la prolifération d’images abusives. On note une augmentation de la quantité de matériel à caractère abusif localisé et répertorié par la police depuis les années 2000. « En 2000, les corps policiers à travers plusieurs pays ont interceptés des individus qui avaient récolté des centaines de milliers d’images d’enfants en train d’être abusés sexuellement. Des collections d’images aussi importantes ont été rendues possibles grâce à la liberté de circulation du matériel dans le cyberespace. De nos jours, le cyberespace est l’hôte de plus d’un million d’images de plusieurs dizaines de milliers d’enfants victimes d’abus et d’exploitation sexuels ». L’accroissement de la demande a aussi un impact sur l’offre : il faut plus d’images en circulation pour « satisfaire » les consommateurs. (lien vers l'accès)
Pourquoi cette demande grandissante?
Il est difficile de savoir si Internet est la cause de l’accroissement de cette demande ou si il n’est qu’un indice révélateur d’une demande qui existait auparavant. « Soit il était auparavant bien caché ou latent, soit il s’est accru en raison des interactions en ligne. »
Désinhibition des comportements sexuels sur le web
L'ECPAT considère que « le cyberespace est influent » sur les comportements des internautes : « Les interactions sociales dans le cyberespace sont influencées par des facteurs distincts qui peuvent avoir une incidence sur le comportement des individus d’une manière qui n’est pas évidente dans les interactions hors ligne. En effet, les gens font et disent des choses qu’ils ne feraient ou diraient normalement pas (même entre individus qui se connaissent hors ligne). De même, les personnes ne reconnaissent pas toujours que leur comportement et leurs actions en ligne ont des conséquences dans la réalité, et les gens qui interagissent en ligne peuvent interpréter les situations et le sens des choses différemment de ce qu’ils interprètent dans le monde physique. Ces aspects de l’interaction sociale dans le cyberespace peuvent contribuer à rendre plus facile le fait de faire du mal aux enfants et aux jeunes. »
Mais cette désinhibition se retrouve tant chez les offenseurs que chez les victimes. Cela peut amener a des cas, de plus en plus courant, où les abusés sont leurs propres victimes. Ce sont des comportements dit « d’autodestruction » de la part des propres jeunes, qui se mettent eux-mêmes dans des situations compromettantes et abusives. Ainsi, « en Irlande, en 2004, les policiers qui enquêtaient sur un cas de pornographie mettant en scène des enfants transmise par téléphone ont réalisé que la ''coupable'' était en fait une jeune fille de 14 ans utilisant un appareil photo numérique, qui avait pris des photos nues d’elle-même et qui avait envoyé une image via un service de messagerie instantanée. L’image a circulé par téléphone parmi des centaines d’étudiants d’école secondaire[1].
Ainsi, ''les producteurs'' et les consommateurs de pédopornographie ne sont plus exclusivement des hommes au-dessus de la trentaine comme on pourrait le penser mais plutôt sont de plus en plus jeunes, souvent mineurs, et sont souvent eux-mêmes les initiateurs de la production et la circulation d’images nocives envers d’autres enfants et à destination d’autres consommateurs.
Accès des enfants à la pornographie
Comment ce rajeunissement et cette auto dégradation s’expliquent-ils ? L'ECPAT accorde une place importante a la pornographie accessible bien plus facilement sur le net, puisque légale pour les majeurs : « Plus d’enfants et de jeunes sont exposés de manière intentionnelle ou non intentionnelle à du matériel pornographique. Certains enfants recherchent ce type de matériel. D’autres le reçoivent sans en faire la demande, notamment de la part d’abuseurs potentiels ou de « spam ». Le matériel pornographique est souvent utilisé dans le processus de « séduction » d’un enfant pour tenter de calmer ses inhibitions au sujet du sexe, ce qui inclut les inhibitions qu’implique la participation à la production de matériel pornographique. Ce processus existait avant l’arrivée de l’Internet. Or, l’accessibilité du matériel pornographique en ligne, la facilité d’accès et le sentiment d’anonymat qui caractérisent ce type de transmissions, et l’environnement de « réalité virtuelle » en soi, comme dans l’utilisation de caméras Internet, rendent l’utilisation de matériel pornographique dans la séduction en ligne considérablement plus facile pour l’abuseur. »
La pornographie a un impact sur le rapport à la sexualité qu’entretiennent ces enfants, qui est utilisé comme un outil pour induire et faciliter la socialisation des enfants et des jeunes en faveur de comportements et de perspectives qui sont le reflet du contenu du matériel pornographique. Selon l'ECPAT, « le matériel pornographique renforce habituellement le conditionnement social qui dévalorise les filles et les femmes aux yeux des garçons et des hommes. L’exposition à du matériel pornographique peut entraîner une combinaison d’effets sur le spectateur, comme la dépendance, l’intensification, la désensibilisation et le passage à l’acte (acting out). »
Cette sexualité dénaturalisée découverte sur le web peut expliquer pourquoi parmi les consommateurs/producteurs de pédopornographie on trouve des mineurs et des jeunes entre 18 et 25 ans. En effet, si « l’âge des personnes qui accèdent et qui utilisent du matériel mettant en scène l’abus d’enfants varie, les rapports en provenance de différentes régions du monde indiquent que les producteurs et les utilisateurs d’images peuvent également parfois être âgés de moins de 18 ans ou être dans les premières années de leur vie adulte. Selon un sondage néo-zélandais, un quart des 185 individus qui avaient commis une infraction impliquant du matériel inacceptable (principalement du matériel pornographique mettant en scène des enfants) était âgé entre 15 et 19 ans. Plus de la moitié était âgée de moins de 30 ans. L’information est insuffisante pour évaluer s’il s’agit d’une tendance plus large et si ces individus étaient poussés par une curiosité propre à leur âge face à la sexualité avec leurs pairs, ou si cette tendance indique que les jeunes eux-mêmes ont été exploités sexuellement. Au Royaume-Uni, là où les données indiquent que 30 à 40 pour cent des actes abusifs à caractère sexuel sont commis par des personnes âgées de moins de 18 ans, il s’est avéré qu’un garçon de 16 ans qui avait été arrêté pour avoir pris des photos mettant en scène des abus d’enfants et pour posséder du matériel pornographique enfantin avait été encouragé par un homme plus vieux qu’il avait rencontré sur un site de conversation sur Internet.35 Un sondage aux Etats-Unis a révélé que très peu de personnes parmi celles qui avaient été arrêtées pour possession de matériel pornographique enfantin étaient âgées de moins de 18 ans. Une opération policière au New Jersey en 2005 a toutefois mené à l’arrestation de 10 mineurs parmi les 39 qui furent arrêtés pour des infractions portant sur du matériel pornographique enfantin en ligne. »
Par ailleurs, le rajeunissement des consommateurs est encore un phénomène qui manque d’informations et « il est encore trop tôt pour évaluer si ce phénomène dérive de la curiosité par rapport aux rapports sexuels avec les jeunes du même âge, s’il s’agit d’une indication que ces jeunes ont été attirés et exploités par d’autres à des fins sexuelles, ou s’il survient pour d’autres raisons. »
Ainsi, « les individus qui sont dans le commerce des images d’abus d’enfants ne forment pas un groupe homogène. Bien que la grande majorité d’entre eux sont des hommes, ils viennent de toutes les régions, de toutes les classes sociales, de toutes les cultures, de tous les milieux et de tous les groupes d’âge. Plusieurs sont des pères. D’autres sont des adolescents. Plusieurs ont des compétences très poussées en matière de nouvelles technologies. Certains sont des voyageurs et des touristes. Ce ne sont pas tous des individus qui correspondent à la catégorie clinique du « pédophile » Ils ne sont pas nécessairement des étrangers qui vivent en marge de la société, mais peuvent se trouver au centre des communautés.»
Les avis sur cette question diffèrent amplement : ainsi, à la question ''est-ce qu’un consommateur de pédopornographie peut se qualifier et être condamné en tant que pédophile ?'', Ivan Guitz, magistrat, répond « C’est autre chose, pour la loi c’est pas la même chose. La pédophilie, enfin (c’est quand) il y a une agression sexuelle sur mineur de moins de 15ans. Une pénétration, c’est une agression sexuelle, une condamnation sexuelle pour un viol. Et la pédopornographie c’est la diffusion, le visionnage d’images pédopornographiques, donc il n'y a pas d’actes … pour moi c’est très clair, c’est pas la même chose. La question c’est est-ce que l’un induit l’autre, la même clientèle, quoi ? Pour moi c’est clairement non d’expérience, puisqu’on a pas mal de dossiers de personnes de toute âge, de toutes conditions qui passent assez régulièrement devant les tribunaux pour ça et c’est très rarement des gens qui passent à l’acte. Il y a ce qu’on peut caractériser comme pédophile, mais faudra qu’on se mette d’accord sur ce que c’est, ceux qui sont aussi consommateurs de ce type d’images mais la plupart c’est pas du tout ce registre-là. » (lien vers la sous partie passage à l'acte)
Pourtant la psychiatre Paule Lurcel nous a répondu « j’ai rarement vu des gens qui fréquentaient ces sites qui n'aient pas été – psychiquement – pédophiles. Je pense que 90% des gens qui vont sur ces sites sont pédophiles. » Même si « psychiquement ils sont totalement différents. »
C'est pourquoi une étude comme Child Pornography Offenses Are a Valid Diagnostic Indicator of Pedophilia de Michael C. Seto, James M. Cantor, Ray Blanchard (scientifiques canadiens) vise à évaluer le lien intuitif entre possession de pédopornographie et pédophilie, cherche à savoir si la possession de pédopornographie est un indicateur valide pour le diagnostic de pédophilie : si le consommateur de pédopornographie est un pédophile. Pour cela, la méthode employée a été l'étude psychophysiologique d'un échantillon de 685 patients masculins : 100 consommateurs de pédopornographie (dont 57 qui n’avaient pas d’historique d’agression sexuelle d'enfants, et 43 qui étaient passés à l’acte), 178 non consommateurs de pédopornographie mais avec une passé d’agressions sexuelles envers des enfants de 14 ans ou plus jeunes, 216 non consommateur de pédopornographie mais ont un historique d’agression sexuelle envers des adultes de 17 ans ou plus, et 191 sans accusations de consommation de pédopornographie ni d'agressions.
La procédure était la phallométrie (c'est-à-dire la mesure des changements dans la circonférence et le volume du pénis durant la présentation de stimulis audiovisuels) : les variations du volume de sang dans le pénis devant indiquer l'intérêt sexuel relatif selon chaque catégorie de stimulus.
Les résultats
Selon cette étude, les consommateurs de pédopornographie étaient trois fois plus identifiés comme des pédophiles ''phallométriquement'' que ne l'étaient les vrais agresseurs d'enfants ! « Child pornography offenders were significantly more likely to show a pedophilic pattern of sexual arousal during phallometric testing than were comparison groups of offenders against adults or general sexology patients. »
Leur conclusion suggère donc que la consommation de pédopornographie est un meilleur indice de pédophilie que l'agression réelle.
Mais cette technique est également violemment décriée, vue par certains acteurs comme une méthode très déterministe et pas forcément assez fiable. Ainsi, à la question ''que dites vous des techniques de phallométrie, la mesure d'excitation de manière scientifique d'un homme exposé à différentes images sexuelles, y compris comportant des enfants ?'', la psychiatre Paule Lurcel nous a ainsi répondu « J’espère que nous n'arriverons jamais à cela, sinon vous lisez Orwell, et ça me paraît totalement fou. Je serais très inquiète. »
-La violence contre les enfants dans le cyberespace, Rapport Déborah Muir pour ECPAT International, septembre 2005
-Existe-t-il des caractéristiques cliniques et psychopathologiques des pédophiles extra-familiaux adultes ?, par Denise Bouchet-Kervella
-Child Pornography Offenses Are a Valid Diagnostic Indicator of Pedophilia,Michael C. Seto, James M. Cantor, Ray Blanchard (Centre for Addiction and Mental Health, Toronto, Ontario, Canada, and University of Toronto), inJournal of Abnormal Psychology Copyright 2006 by the American Psychological Association, 2006, Vol. 115, No. 3, 610–615 0021-843X/06/$12.00 DOI: 10.1037/0021-843X.115.3.610
-Child Pornography Possessors: Trends in Offender and Case Characteristics, Janis Wolak, David Finkelhor, and Kimberly Mitchell, in Sexual Abuse: A Journal of Research and Treatment, 23(1) 22 –42 © The Author(s) 2011
-Interviews d'Ivan Guitz et Paule Lurcel et Fabrice Epelboin, par Carmen Beer et Clara Lafuente
- Quayle, E. & Taylor, M. (sous presse). Young people who sexually abuse: The role of the new technologies. In Erooga, M. & Masson, H. (Ed.s). Young people who sexually abuse: The role of the new technologies. Oxford: Routledge.