// CONSOMMATEUR // Les enjeux de la prévention
Comment le lien entre consommation de pédopornographie et passage à l’acte affecte les modes de prévention et de réinsertion du consommateur de tels contenus?
- Acteurs : Autorités juridiques et judiciaires, Acteurs scientifiques
- Instruments : Lois, castration chimique, discours, medias
- Mise à l’épreuve : prévention et réinsertion
La question du lien entre consommation de pédopornographie et passage à l’acte affecte les modes de prévention et de réinsertion du consommateur de tels contenus. Si la consommation et le passage a l’acte sont bel et bien différenciés dans le code pénal (voir ci-dessous), le condamné pour consommation de pédopornographie est souvent catégorisé comme étant un pédophile.
Est-il possible de prévenir le visionnage de pédopornographie sans considérer le consommateur un pédophile et donc sans le catégoriser ?
Nous verrons d’une part, à travers l’opinion d’Ivan Guitz, magistrat et juge d’application des peines, que la réinsertion des condamnés pour tous crimes relatifs aux mineurs peut dériver vers une tentative d’élimination.
Nous verrons d’autre part le point de vue de Paule Lurcel, psychiatre de formation et ex-médecin coordonnateur auprès de condamnés pour crimes sexuels, qui estime que la diversité des troubles sexuelles chez les être humains ne nous permet pas d’établir des catégories figées et encore moins de prévenir une consommation de pédopornographie.
LIVRE II : Des crimes et délits contre les personnes.
TITRE II : Des atteintes à la personne humaine.
CHAPITRE VII : Des atteintes aux mineurs et à la famille.
Section 5 : De la mise en péril des mineurs.
Article 227-23
Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d'enregistrer ou de transmettre l'image ou la représentation d'un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 Euros d'amende.
Le fait d'offrir, de rendre disponible ou de diffuser une telle image ou représentation, par quelque moyen que ce soit, de l'importer ou de l'exporter, de la faire importer ou de la faire exporter, est puni des mêmes peines.
Les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 Euros d'amende lorsqu'il a été utilisé, pour la diffusion de l'image ou de la représentation du mineur à destination d'un public non déterminé, un réseau de communications électroniques.
La tentative des délits prévus aux alinéas précédents est punie des mêmes peines.
Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation ou de détenir une telle image ou représentation par quelque moyen que ce soit est puni de deux ans d'emprisonnement et 30000 euros d'amende.
Les infractions prévues au présent article sont punies de dix ans d'emprisonnement et de 500 000 Euros d'amende lorsqu'elles sont commises en bande organisée.
Les dispositions du présent article sont également applicables aux images pornographiques d'une personne dont l'aspect physique est celui d'un mineur, sauf s'il est établi que cette personne était âgée de dix-huit ans au jour de la fixation ou de l'enregistrement de son image.
Source : legifrance.gouv.fr
LIVRE II : Des crimes et délits contre les personnes.
TITRE II : Des atteintes à la personne humaine.
CHAPITRE II : Des atteintes à l'intégrité physique ou psychique de la personne.
Section 3 : Des agressions sexuelles.
Article 222-22
Modifié par LOI n°2010-769 du 9 juillet 2010 - art. 36
Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise.
Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu'ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage.
Lorsque les agressions sexuelles sont commises à l'étranger contre un mineur par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 et les dispositions de la seconde phrase de l'article 113-8 ne sont pas applicables.
Paragraphe 2 : Des autres agressions sexuelles.
Article 222-29
Les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de sept ans d'emprisonnement et de 100000 euros d'amende lorsqu'elles sont imposées :
1° A un mineur de quinze ans ;
2° A une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur.
Source : legifrance.gouv.fr
La « diabolisation » de la pédophilie et la catégorisation des pédophiles sont telles aujourd’hui qu’il devient difficile de penser à une possible prévention ou réinsertion d’une personne ayant enfreint la loi ou ayant une attirance sexuelle pour les enfants. En ce qui concerne les infractions sexuelles, la législation française aurait une tendance plus punitive que préventive. En effet, il est parfois problématique de trouver un équilibre entre la condamnation, avec des peines très lourdes, et la réinsertion, car c’est notamment un sujet qui provoque toujours des réactions violentes. Comme nous le dit Ivan Guitz, « il peut y avoir aussi une réaction à la vue de ces images qui soit assez insupportable, de vouloir le sanctionner (le pédophile) et de l’envoyer en prison pour le punir, quitte à ce qu’on parle du soin après ». Ainsi, si une réinsertion est possible, elle est difficilement mise en place car il existe une pression de la société sur le traitement donné à ces gens : « Je considère (…) qu’ils sont des gens comme vous et moi qui ont des problèmes dans la vie et qu’il va falloir certes les punir mais les réinsérer aussi; je considère que c’est aussi possible avec ces gens là. Mais c’est pas facile, on a tendance à paraître un peu complice de ces gens. Ce discours là, il est difficilement audible actuellement ».
Cette tendance punitive peut amener à une toute autre interprétation de la ''prévention'' elle-même : ainsi, certaines associations de droite voire extrême droite reprennent le même terme pour parler de techniques comme la castration chimique, appelée aussi le traitement hormonal, qui consiste finalement en une forme ''d'élimination''. Cette « prise en soin » est faite à la demande de l’intéressé, mais dans la mesure où c'est généralement proposé comme une alternative à la prison, elle devient « parfois un choix contraint » comme le souligne Guitz. Cette pratique peut selon lui « plaire à certains parce qu’on lui coupe pas la tête, mais on lui coupe autre chose ». Mais il affirme clairement : « On n’est pas sur la réinsertion. (…) On peut penser que cette personne ne sera plus dangereuse, ce qui est faux, et elle pourra très bien continuer à voir des images».
Ainsi, la prévention peut facilement dériver vers une sorte d’élimination et d’enfermement de certains comportements dans des catégories figées. C’est pour cela que Paule Lurcel, psychiatre, estime qu’il est problématique de parler de prévention lorsqu’on parle de troubles psychiques. En effet, en psychiatrie la pédophilie est vue comme une « forme de sexualité déviante », mais symptomatique d’un malaise beaucoup plus profond dont les causes sont toujours multiples et complexes. Autrement dit, la pédophilie n’est pas le problème, le problème est toujours ailleurs. Ainsi, prévenir reviendrait de facto à cataloguer des gens comme pédophiles sans comprendre pourquoi ils agissent comme cela et donc sans aller à la source de la déviance, comme l’affirme Lurcel : « On arrivera jamais à un risque zéro (de la pédophilie) ! On en est à tout vouloir prévenir, à cataloguer - je sais c'est une tendance actuelle, y compris en psychiatrie, mais la question de la prévention, c'est jusqu'où ? Et où est-ce qu'on va aller la chercher ? C'est difficile parce qu'à partir du moment où ça ne va pas dans la vie de quelqu'un à plein de niveaux il n'a plus d'autres recours qu'une sexualité déviante - pédophilie ou inhibition totale, de la même façon que quelqu'un d'autre qui ne serait pas bien pourrait avoir une sexualité normale et d'autres 'symptômes' de son mal être ».
Elle compare notamment la pédophilie à d’autres tendances sexuelles – plus ou moins - acceptées aujourd’hui, comme l’homosexualité, qui peuvent être ressenties à certaines ''phases de la vie'' sans qu’elles définissent la sexualité de cette personne : « on peut pas statuer sur des prémisses, et repérer des signes qui nous disent que lui il va avoir tel ou tel comportement, se droguer, violer des enfants, être homosexuel... J'imagine qu'aujourd'hui comme avant il y a des attirances homosexuelles chez tous les jeunes de 13, 14 ans. Est-ce que ceux-là vont devenir forcément homosexuels, non ! ». Ainsi, il serait « illusoire et dangereux » de vouloir prévenir la pédophilie ou des « signes » de celles-ci comme la consommation de pédopornographie, car cela pourrait avoir des effets pervers et engendrer une classification et catégorisation encore plus forte des tendances sexuelles.
Si ces problèmes se posent avec autant d'acuité et que prévention et traitement nous sont familiers c'est que les cas de pédophilie sont particulièrement médiatisés et la figure du pédophile est devenue une figure ''monstrueuse'' dans les dernières décennies.
Médias, discours communs et vulgarisation du discours scientifique ont tous paradoxalement comme effet de représenter la figure ''du pédophile'' et les cas de pédophilie à la fois comme un phénomène familier dont l'existence et la répétition ne nous choquent presque plus malgré sa violence, et comme un phénomène marginal -ou plutôt marginalisé- et diabolisé. Pédophilie, l'apanage de l'autre, un autre proche mais toujours un autre. Pourquoi et comment la création d'une telle catégorie, et la diabolisation qui lui l'entoure ? Comme le dit Paule Lurcel, « On peut s’interroger sur ce que ça signifie aujourd'hui qu’il y ait une telle condamnation et telle mise en avant de cet usage sexuel – c'est une vraie question de société. [...] Et je crois que ça traduit surtout que notre société à besoin d'avoir ses monstres. Et ce ne sont pas des monstres. On veut constituer une catégorie d'êtres humains qui sont aussi différent que possible, alors que la spécificité du développement psychique humain montre que c'est une composante présente – chez tous.»
Dans les faits il est indéniable que ''le pédophile'' a été érigé en figure totémique du monstre -ce qui n'est pas sans influencer la réflexion et l'action des nombreux acteurs qui prennent part à cette controverse : pouvoirs législateurs et judiciaires, médecins qui analysent, mais aussi traitent, et dont le jugement est primordial, associations et lobbys au pouvoir de pression sans conteste, politiques qui se mêlent toujours beaucoup de ces questions.... Le mouvement général est à la marginalisation, la stigmatisation, et cela peut même influer sur l'action de la justice, comme nous le rappelle Ivan Guitz : « C’est vrai que le versant punitif s’est développé très fortement ces derniers temps, parce qu’on a tout de suite vu le pédophile prédateur, le tueur d’enfant, le monstre... le personnage du monstre c’est vraiment le pédophile. Moi je pense que ça a été complètement exagéré ce truc-là, même si bien sûr je ne cautionne pas le pédophile. Mais vous voyez je me sens tout de suite obligé de vous dire ça [...] Il y a des auteurs plus érudits que moi qui le disent, c’est devenu le point de référence commun à une société pour dire voilà c’est des monstres, en gros. C’est très difficile de dire, bon, oui c’est grave ce qu’ils ont fait, c’est inadmissible mais on peut qu’on même essayer de considérer qu’ils sont toujours membres de notre société. Et des gens comme moi qui voient régulièrement ces gens - je les reçois dans mon bureau, je leur serre la main, je les vois en prison- on est très vite taxé d’une compréhension coupable avec ces gens là, que tout le monde voudrait voir renvoyé a une autre espèce, ''ils sont pas comme nous''. »
Cette diabolisation récente, on peut alors la voir avec Paule Lurcel comme le « symptôme » au sens psychanalytique du terme -«manifestation d'une pensée refoulée : quelque chose à laquelle on ne veut pas avoir affaire mais qui est présente et qu'on ne veut pas reconnaître comme étant »- de l'existence ce cette 'tendance' au sein de la société - au sein de l'homme en général. Mais ce symptôme qui manifeste ce refoulement par une stigmatisation exagérée tend à avoir un effet pervers : ainsi diabolisé, l'inclination à la pédophilie est profondément rejetée, dans un mouvement de déni, par l'individu (ou la société) qui pourtant se délecte d'histoires pédophiles en une des journaux et en ouverture des JT, car comme le dit finalement la psychiatre « Ils VEULENT savoir, parce qu'ils savent que ça fait partie d'eux mais veulent l'entendre au sujet d'un autre pour pouvoir le mettre à distance et le chasser d'eux. [...] il faut faire attention à ce qui amène à ce genre de médiatisation, quels effets sont voulus et lesquels ça va avoir en vrai. Et ces effets [...] c'est que tout le monde se dit ''ah chouette je vais entendre ce que ce type va dire'' mais au lieu de reconnaître qu'il l'a en lui il va se dire ''ah non le méchant c'est pas moi c'est lui''. »
En voulant prévenir la consommation de pédopornographie chez une personne, on établit un lien entre la consommation et une tendance pédophile, celle-ci étant est fortement marginalisée dans la société alors même que la consommation de pédopornographie, comme nous l’avons vu, n’est pas si marginale que ça. Ainsi, la prévention de la consommation de pédopornographie, même si elle n’est pas toujours corrélé au passage à l’acte, n’échappe pas à la médiatisation et à la diabolisation du pédophile, qui les figent dans une catégorie de personnes et transforme la prise en main et en charge de ces problématiques par les acteurs.
- Entretien d’ Yvan Guitz, magistrat et juge d’application des peines, réalisé par Carmen Beer & Clara Lafuente, 5 avril 2011
- Entretien de Paule Lurcel, psychiatre de formation et ancienne médecin coordonnateur auprès de condamnés pour crimes sexuels, réalisé par Carmen Beer & Clara Lafuente, 29 mars 2011