// ACCES // Quelle lutte pour quel résultat ?
Compte-tenu de la complexité du système et des problèmes de dérives, que faire du point de vue de l'offre, de l'accès, de la demande?
- Acteurs : Observateurs du web, Autorités politiques, Organisations criminelles, Organisations de protection de l'enfance
- Instruments : outils de filtrage, opération de blocage
- Mise à l'épreuve : blocage et filtrage semblent avoir des conséquences pervers en étant inefficace voire plus dangereux encore, et sans véritable effet sur la demande
La pression pour le filtrage et le blocage des contenus pédopornographiques vient en vérité des lobbies industriels, qui ont entrepris des actions très conséquentes aux EU et en UE pour uniformiser une vision de la pédopornographie et surtout pour en faire un levier de censure du Net. Lors d’une réunion qui s’est tenue le 2 juin 2010 à Bruxelles sous la direction du marché intérieur de la Commission Européenne, plusieurs des représentants de lobbys industriels (industrie de la culture et fournisseur d’accès sur internet) à se sont prononcés pour la généralisation du filtrage.[1]
Pourtant, vouloir filtrer la pédopornographie pour lutter contre la pédophilie, est comme le rappelle Fabrice Epelboin une illusion, et ainsi c'est une excuse, un prétexte de nombreux lobbies industriels et familiaux. S’attaquer à la pédopornographie pour faire passer une censure globale est selon Epelboin «une stratégie politique pas con du tout parce que, qui peut être pour les pédophiles ou pour la pédopornographie ? Personne ! ».
Le résultat est totalement contre-productif : en plus d'être inefficace, et de former une atteinte directe de la démocratie, il résulte en un renforcement des cybermafias .
Pourquoi le blocage comme outil de lutte est-il une illusion ?
« Faut pas confondre lutter contre pédopornographie et lutter contre pédophilie. C’est deux choses totalement distinctes. Ce qui veut pas dire qu’il faut pas lutter contre les deux, mais c’est pas la même lutte.[…] Aujourd’hui la pédopornographie est dans la main des distributeurs et n’a plus aucun rapport avec les producteurs et donc les gens qui vraiment font du mal aux enfants. Donc la stopper à la limite ne changerait absolument rien en terme du dommage fait aux enfants, c’est vraiment dé-correlé. Et l’argument qui consiste à dire « on va filtrer là », « on va stopper pour sauver les enfants » est totalement stupide, vraiment totalement stupide. »
En France, le nombre d’associations se prononçant contre la loi LOPPSI est impressionnant, sachant que ces associations luttent pour des causes très diverses.
La AFA (Association des fournisseurs d'accès) s’est prononcé contre la loi Loppsi, ainsi que l’association l’Ange Bleu de prévention de la pédophilie pour les mêmes raisons cités précédemment : c’est une loi considéré inefficace car il existe contournement des distributeurs de pédopornographie, et finalement contreproductive car elle relègue les contenus en marge du réseau où il pourront mieux prospérer. D’autre part, comme on l'a vu, en ciblant hébergeurs et serveurs, il existe un risque de surblocage et donc une atteinte à la démocratie. Pour l’Angle Bleu, c’est une loi « qui ne fait que masquer le problème ». Reporters Sans Frontières, et La Quadrature du net sont aussi d’accord sur l’inefficacité et le danger potentiel de cette loi.[2]
Une étude d’impact sur le filtrage de la Fédération française des télécoms publié à l’été 2009, démontre que toutes les techniques de blocage, "sans exception aucune, sont contournables". Comme Epelboin le dit lui-même sur la capacité de cette industrie à innover sur internet, de nombreux dispositifs de contournement pourraient se généraliser avec l'instauration d'un dispositif de filtrage. L'étude note également que "tous les contenus diffusés sur des réseaux peer-2-peer, des réseaux anonymisants, par des services de messagerie instantanée ne sont pas inscrits dans le périmètre de blocage, alors même qu'ils sont les principaux supports d'échange d'images pédopornographiques". [3]
Les FAI (Fournisseurs d’accès à Internet), qui doivent en vertu de la loi Loppsi II mettre en place le blocages des sites jugés pédopornographiques par le ministère de l’intérieur, se positionnent ainsi contre le filtrage sur internet. Selon eux, ce filtrage est totalement inefficace car un contenu bloqué ne disparaît pas, cette procédure laisse les contenus « toujours accessibles » et nécessite « un effort minimal pour contourner le blocage » (celon Carole Gay, responsable affaires juridiques et règlementaires de l’AFA). Pour eux, ce système de filtrage constitue un simple instrument politique de la part des gouvernements pour justifier d’une censure sur internet, ce qui est confirmé par le refus des pouvoirs publics de faire de cette mesure une mesure expérimentale. Pour autant, les FAI s’engagent pour la lutte contre la pédopornographie sur internet, et préconisent pour cela un processus visant à supprimer à la source les contenus, solution qui existe déjà dans la Loi pour la Confiance dans l'Économie Numérique de 2004 (LCEN). Cette loi préconise de « solliciter d'abord l'éditeur, puis l'hébergeur du contenu, avant de se tourner vers les FAI, comme solution de dernier recours, en cas d'échec des demandes précédentes » dans la lutte de contenu illégal, procédure plus adaptée selon l’AFA et d'autres associations, comme on va le voir.
Le risque du mélange des contenus
Le filtrage du web risque par ailleurs de favoriser le mélange de tous contenus illégaux confondus: contenus pédopornographiques et mp3s risquent de se côtoyer dans un même vaste catalogue parallèle, tandis que les ados seront de plus en plus enclin à se retrouver, sans le savoir, face à des mafieux.
Epelboin atteste que « c’est pas (la pédopornographie) qu’on cherche à filtrer. Ce qu’on cherche à filtrer c’est la distribution qui a été piraté. Musique, films … si on filtre ces trucs-là, on va ouvrir des nouveaux marchés pour les gens qui aujourd’hui distribuent de la pédopornographie. Et la c’est là la boite de Pandore. Parce qu’on sait pas du tout comment ça va être fait, comment ça peut évoluer… Et on est sur d’une chose, c’est que ça évoluera dans le sens du profit maximum pour les distributeurs. Donc très concrètement qu’est-ce que vous pouvez fourguer à des gamins qui cherchent du mp3 ? Du porno. C’est aussi con que ça. Est-ce que vous avez une quelconque obligation juridique de ne pas tout mélanger dans le porno que vous proposez à un ado de 14 ans ? Non, si vous êtes de toute façon dans l’illégalité, vous pouvez y aller à fond et à partir de là, on risque de se trouver dans des trucs assez dramatiques, parce que très concrètement on va filer la distribution de matériels copyrightés à des dangereux mafieux et on assiste déjà à ce phénomène. »
Il ajoute : « Vous partez du principe qu’ils auront un joli catalogue comme à la Fnac avec un onglet dvd, un onglet série, un onglet machin truc. Qu’est ce qui vous assure de ça ? Qu’est ce qui vous assure que vous n’allez pas tomber sur des immenses répertoires de contenus avec tout et n’importe quoi ? Vous faites confiance à un mafieux ukrainien pour vous garantir que les gosses ne vont pas tomber sur un répertoire qui contiendra du Britney Spears ET des viols sur mineurs. »
Dans la lutte contre la pédopornographie, parce qu’il est très difficile voire impossible de remonter aux distributeurs (« ils sont inchoppables » nous dit Epelboin), ce sont souvent les consommateurs qui sont inculpés. Néanmoins, condamner le consommateur pour lutter contre la pédopornographie est une lutte nécessaire mais insuffisante: « Le consommateur constitue le groupe dans lequel se compte l’essentiel de ceux qui tombent dans les ?lets des forces de l’ordre. Sans eux, pas de marché, et s’il est indispensable de continuer à les pourchasser, on peut légitimement se demander si c’est là l’action la plus efficace, si le but recherché est de mettre un frein aux mauvais traitements infligés aux enfants. Les consommateurs, nous l’avons vu, se comptent en millions, les arrestations en centaines, ce n’est pas comme cela que l’on peut espérer mettre un coup d’arrêt à la maltraitance enfantine liée aux besoins de ce commerce. (…) Pour lutter contre la pédopornographie, il faut remonter aux sources, faut avoir des flics qui font des enquêtes. Ou alors on peut mettre un voile pudique de la censure et dire que là le problème n’existe plus. Objectivement si vous voulez lutter contre le viol des enfants, l’un ou autre ça change rien de toute façon. »
D’autre part, la loi Loppsi en elle-même ne répond pas à cette problématique. Selon l’Ange Bleu qui « accueille et accompagne de nombreux pédophiles qui ont par leur passé cédé aux tentations de la consultation de pédopornographie sur Internet », la loi Loppsi met en place « des mesures coercitives là où une réelle prévention pourrait être menée à bien ». « Chez la majorité d'entre eux, cette consultation ne fut que tardive et le fait d'accidents de parcours dans leur existence les conduisant à l'isolement, puis à l'addiction. Une fragilité dont il ne leur est pas permis d'en discuter dans leur entourage. Leur attirance sexuelle pour les enfants les relègue aux confins de l'humanité et rares sont ceux (même parmi les professionnels) qui acceptent leur prise en charge - quand bien même sous leur demande - avant la commission de ces faits. Ils sont pourtant pour la plupart d'entre eux susceptibles d'évolution positive à l'égard de ces attirances et de ses expressions et nous en témoignons. (…) si cette proportion de consommateurs potentiels disparaît, c'est la quasi-totalité de la pédopornographie sur Internet qui disparaîtra ainsi qu'une quantité significative de victimes. La pédopornographie ne constituerait plus ce marché attractif pour ceux qui l'exploitent, la demande ayant alors chuté. »
- Epelboin Fabrice, Le commerce de la pédopornographie sur Internet de 2000 à 2010 en janvier 2010
- Interview de Fabrice Epelboin par Carmen Beer et Clara Lafuente, mars 2011
-Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique de 2004 décriptée sur Legifrance :
-Article de la quadrature du Net contre le blocage des sites internet :
-Article de Mediapart sur la pédopornographie sur internet, Jef Tombeur.
-Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du Net.
« Protection of childhood is shamelessly exploited by Nicolas Sarkozy to implement a measure that will lead to collateral censorship and very dangerous drifts. After the HADOPI comes the LOPPSI: the securitarian machinery of the government is being deployed in an attempt to control the Internet at the expense of freedoms".»
[1] (source : Filtrer l’internet : le projet secret de l’industrie de la culture révélé au grand jour, Fabrice Epelboin, fr.readwriteweb.com, 12 septembre 2010).