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Interview de M. S.-J., au nom de Marie-Thérèse Hermange

 

En 2006, il y avait un avis sur la commercialisation des cellules souches.  L’avis n°96. Et donc elle a commencé à s’intéresser de près à ces questions, et à prendre connaissance des ressources du sang placentaire. Très vite elle est arrivée à cette conclusion : en France quand on parle de cellules souches, on parle de cellules souches embryonnaires, mais les autres on ne les connaît pas. Et alors elle s’est dit : je vais faire un colloque pour parler des autres, pas des cellules souches embryonnaires mais de toutes les autres. Et là-dessus elle s’est donc vivement intéressée aux cellules-souches issues du sang de cordon. Vous savez qu’elle a été au Conseil d’Administration de l’APHP, elle est très sensible aux questions de santé des femmes, des familles, ce sont des sujets autour desquels elle tourne beaucoup. Donc je dirais que le sang de cordon s’inscrivait tout naturellement dans ces centres d’intérêts.

 

Elle est de quelle formation ?

Elle est philosophe.

 

Donc elle n’a aucune formation scientifique.

Non, mais à force elle fréquente tellement le milieu médical et toutes ces questions là, que finalement elle a une très bonne connaissance, en tout cas sur le plan administratif, du milieu hospitalier, et de beaucoup de questions médicales : je vous ai dit ce qui tourne autour de la maternité, mais aussi la drogue par exemple, de la santé en prison… enfin tous ces sujets là, elle est assez compétente, à tel point qu’elle a été élue par l’académie de médecine membre correspondant. Donc elle siège aussi à l’Académie de médecine depuis deux ans maintenant. Donc voilà, c’es un milieu qu’elle connaît bien, ce sont des sujets qui l’intéressent, par rapport auxquels elle a acquis une certaine compétence.
Donc sur le sang de cordon elle a découvert ça petit à petit à travers les différents acteurs locaux, et surtout en réalisant, comme vous l’avez constaté, qu’en France ce sont des déchets opératoires, qu’on ne garde pas, alors que dans la plupart des pays et notamment au Japon où il y a environ 40000 unités de sang placentaire, ne comprenant pas pourquoi en France cette ressource était systématiquement jetée et que le choix n’était pas donné aux femmes de pouvoir les conserver, réalisant aussi en tant que parlementaire que un jour ces femmes pourraient très bien attenter une action contre l’Etat en disant « Oui voilà, mon fils a une leucémie… », ou je ne sais quelle autre maladie hématologique. Grâce au sang de cordon, que ce ne soit pas forcément le nôtre, on aurait pu le sauver, mais il n’y a pas de politique de sang de cordon en France, on est obligé de faire appel à l’étranger, les procédures sont plus longues, plus difficiles. Et donc posant la question : pourquoi ça ne se développe pas ? Donc ça s’était un peu à la suite de son colloque. A partir de ça, la commission des affaires sociales lui a demandé de faire un rapport sur ce sujet, que vous avez dû avoir. Elle a donc beaucoup auditionné, constatant à chaque fois ce blocage, sans qu’il n’y ait forcément d’explication. On aurait pu invoquer le prétexte financier en disant : voilà, c’est une politique qui peut coûter cher, mais quand on regarde les chiffres de l’ESF notamment, on se rend compte que c’est pas forcément économique, parce qu’en fait le fait d’en importer coûte cher.
Suite à ce rapport, qui a eu pas mal de retentissements : il y a eu pas mal d’articles dans la presse, ça a un peu bougé du côté de Matignon, du ministère de la santé, en demandant des précisions sur cet immobilisme, et de l’ABM aussi, de l’ESF aussi : il y a des blocages, malheureusement je n’ai pas d’explications à vous donner là-dessus.
Est-ce que – alors ça ce sont des hypothèses – en favorisant les politiques en faveur du sang de cordon, il n’y a pas une crainte de diminuer les politiques en faveur des cellules souches embryonnaires : les cellules de sang de cordon sont utilisées dans le traitement de 85 maladies hématologiques alors que pour les cellules embryonnaires on en est qu’au stade de la recherche. Alors est-ce qu’il n’y a pas cette crainte de la part de l’ABM, de la part d’entreprises pharmaceutiques, de favoriser un type de cellules souches au détriment des autres : les cellules souches embryonnaires permettent par exemple de tester des médicaments, de le tester plutôt que chez des animaux sur des cellules humaines, ce qui peut être un avantage considérable pour les industries pharmaceutiques. Tout ça ce sont des hypothèses, des suppositions. Ce qui est sûr que l’ABM, le gouvernement ne sont pas favorables…

 

L’ABM n’est pas favorable ?

Quand on regarde les rapports jusqu’en 2007, c’est : ce qu’on a en France suffit. Après ça, suite au colloque, on est passé à une volonté d’augmenter de 10000 usp. Selon les experts, c’est pas 10000 qu’il faudrait en France, c’est 50000. Donc on est bien en deçà de ce qu’il faudrait faire. Il y a vraisemblablement une volonté d’ouvrir la porte, mais le projet politique n’est pas là.  Le gouvernement a beau demander des informations, c’est quand même lui qui tient les mannettes, l’ABM elle fait ce qu’on demande. Il y a donc visiblement un blocage, mais que je ne peux pas vous expliquer.
Alors je sais que Roselyne Bachelot y est très sensible, François Fillon aussi. Il y a également Philippe Gosselin, député de la Manche, qui a monté en novembre dernier un collectif pour le don d’organe nommé Don de vie, reconnu comme grande cause nationale par François Fillon en décembre. Et MTH a récemment monté avec Gluckman une association qui s’appelle cordon source de vie, toujours dans l’idée de promouvoir le don, la collecte, la conservation et l’utilisation du sang de cordon. Tout naturellement elle a demandé de participer au collectif, et François Fillon a fait remarquer que cette participation serait importante : l’information est donc bien passée. Maintenant, il reste la volonté politique de faire quelque chose. Alors il y a différentes pressions : MTH continue d’en parler, d’effectuer un travail de communication.
Les moyens qu’elle préconise – et on voit que son passage à l’APHP l’a marqué – s’inscrivent bien sûr dans le cadre de l’hôpital public, avec également la problématique de l’argent qui est bien souvent le nerf de la guerre, et également le devoir de respecter la volonté des mères qui voudraient conserver le cordon de leur enfant. Là elle s’est dit : il faut pouvoir permettre à la mère de conserver le cordon de son enfant de manière autologue, mais dans le cadre de l’hôpital public, afin d’éviter les risques de dérives commerciales : en effet, vous savez qu’une part importante des cordons ne sont pas conservés. Et les usp conservées en France sont reconnues dans le monde comme d’une particulièrement grande qualité, car il ya sélection.  Donc pour elle il est très important que ce contrôle persiste et qu’il n’y ait pas une dérive marchande qui se fasse à partir de ça. Elle ne veut pas tomber dans la dérive de la brevetabilité du vivant avec le sang de cordon, mais que cela reste un bien commun : le garder pour soi-même mais avec toujours la possibilité de le donner à un autre.
Sur l’initiative de Nico Forraz avec Cryosave, elle ne s’est pas montrée très enthousiaste. En effet, elle pense que la décision doit venir du haut. Sinon cela restera une cumulation de petits partenariats dont elle n’est pas sûre de l’efficacité. Et elle veut que l’hôpital public garde la mainmise là-dessus.
Et donc concernant le modèle de banque solidaire qu’elle préconise dans son rapport ?
C’est un peu comme Espagne ou en Italie : on conserve le sang placentaire pour soi, mais au cas où il y aurait une personne qui aurait besoin de cette usp en particulier, il y ait une possibilité de réquisitionner cette unité de placentaire avec bien sûr un dédommagement de la personne donatrice. Elle est proche du système italien, mais dans son idée il y aurait une exception française à créer. Malheureusement, ce qui manque, c’est l’entité juridique idéale, ce partenariat public-privé pour créer ce type d’établissement.

 

Et dans le cadre du partenariat entre EFS et FGS ?

C’est à peu près la même chose que pour l’initiative de Nicolas Forraz. Tant qu’il n’y a pas de politique générale, ce sont des initiatives, mais qui restent fragiles et dont elle n’est pas sûre de la pérennité. Ce qu’elle veut c’est la mise en place d’une politique globale. Le problème ne vient pas du nombre de banques qui permettraient de garder le nombre suffisant de greffons.

 

Donc quels seraient les freins structurels à une telle politique ?

En fait, on fonctionne à l’envers. Il n’y a pas de financement, donc on va acheter ces usp. Quand on fait les comptes, la Sécurité Sociale y perd énormément d’argent.  Donc en fait il faudrait mettre de l’argent au départ pour que ces usp soient plus importantes en France et que l’on ait pas besoin d’en importer.  C’est cette démarche là qui n’est pas facile. Ses arguments sont valables et c’est pour ça qu’on s’y intéresse à Matignon, au ministère de la santé, mais seulement il faut mettre de l’argent d’abord.
Et pourquoi privilégie-t-elle le modèle solidaire par rapport à un modèle uniquement public ?
Elle trouve qu’avec un modèle uniquement public il y a une atteint au droit privé de la femme pouvant conserver le sang de cordon de son enfant si elle souhaite. Et que rien ne soit fait pour conserver le sang de cordon de manière autologue en France, ce n’est pas normal.
Mais étant donné qu’il n’y pas actuellement d’indications thérapeutiques pour l’utilisation à des fins autologues…
Alors oui et non, parce que la recherche évolue un peu là-dessus. Vous avez raison, les indications sont essentiellement hétérologues. Mais cela dit, reste ce droit des femmes de garder le sang de cordon de leur enfant. Pourquoi leur refuser ? Rien ne peut justifier une interdiction. De plus les recherches avances, et il semblerait que la conservation autologue puisse avoir une utilité thérapeutique dans certains cas. C’est vrai qu’il y en a peu. Mais est-ce qu’il faut se couper de cette possibilité  si vraiment des femmes le demandent.

 

Que pensez-vous de l’opposition générale en France à ce qu’on puisse faire des banques privées, notamment du fait de l’état des recherches en médecine régénérative ?

C’est ce que vous disiez : il n’y a pas beaucoup d’indications thérapeutiques, et puis en France on est très attaché au service public. Mais le public n’a visiblement pas les moyens financiers de mettre en place une politique de sang de cordon en France. Donc c’est vrai que l’alliance privé-public – qui se fait d’ailleurs dans des tas de domaines – peut permettre d’arriver à un équilibre financier. Donc le que privé certes il y a le risque de dérives commerciales, et on n’est pas sûr des résultats au bout du compte. De faire que du privé, ce n’est pas une initiative très honnête, alors que combiner les deux, ça permet d’avoir les avantages des deux systèmes : c’est-à-dire à la fois bénéficier d’un financement, de laisser cette liberté individuelle aux personnes de conserver ou pas, et en même temps de maintenir cette solidarité des différents acteurs.

 

Par ailleurs, une des recommandations insistait beaucoup sur la formation des praticiens, au niveau des maternités, et de l’information délivrée aux femmes. Est-ce que vous pensez qu’il y aurait un dysfonctionnement éventuel dans ces domaines actuellement ? Plus particulièrement concernant le biais par rapport aux promesses faites vis-à-vis de la conservation autologue.

Il est évident qu’il n’est pas question que l’Etat paie une conservation autologue. En revanche, si la personne fait le choix de garder le sang de cordon de son enfant, quel est le problème ? C’est un pari sur l’avenir. Et au vu du problème de financement, l’autologue n’est pas à négliger. Mais il est sûr que pour les femmes qui soient prêtes à cela, elles le fassent en connaissance de cause.
Je suis également frappée du nombre de greffes de moelle osseuses : il y a une compatibilité qui est plus difficile à trouver, c’est douloureux comme prélèvement. C’est très lourd finalement la greffe de moelle osseuse alors que finalement la greffe de sang de cordon ça apporte tout autant de bénéfices, avec beaucoup moins de difficultés, et une compatibilité beaucoup plus importante. C’est vraiment désolant de voir tout ce gâchis.

 

Vous ne voyez pas où est la prochaine étape dans une éventuelle avancée législative sur le sujet ?

Je dirais que sur le plan législatif il ya quand même quelque chose. Concernant la loi hôpital, MTH a déposé des amendements en ce sens. Je ne suis pas sûr que ça passe. Il ya d’autres projets (révision des lois bioéthiques) dans lesquels il pourrait y avoir des amendements. Dans le cadre de la révision des lois bioéthique, elle a notamment participé au groupe de travail sur les cellules souches, qui ne tenait au début compte que des cellules souches embryonnaires, elle a insisté pour mettre les cellules souches adultes, IPS, et sang de cordon dedans.
Sur le plan politique, c’est vraiment elle qui a mis le doigt là-dessus, qui a commencé à communiquer dessus en 2007, et très fortement en 2008. C’est elle le porte-étendard de la cause sur le plan parlementaire.