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Emmanuelle: Quel est votre rôle au sein du CHU de Bordeaux?

 

Noël Milpied: Je suis chef de service des maladies du sang des adultes, membre du Bureau de la DRC ( Direction de la recherche Clinique). Je suis aussi le président élu de la Société Française de Greffe de moelle osseuse et de thérapie cellulaire. Mes réponses sont ici données à titre personnel, elles n’ont pas été soumises à l’avis des membres du CA de notre société. Je sais cependant qu’ils reflètent le sentiment de la majorité des membres.

 

E: Quelle est votre position en tant qu’acteur dans cette controverse? Pour vous quels sont les enjeux de la conservation du sang placentaire en France? Pour quel type de banques êtes-vous favorables?

 

Noël Milpied: Je vous joins un texte que j’ai commis à titre complètement personnel pour cerner mes idées à ce sujet.

« Placer la discussion de l’implantation de banques privées de sang placentaire dans un contexte d’opposition aux banques publiques est une erreur. Ce qu’il faut discuter et certainement opposer c’est la finalité des unités de sang placentaire qui sont ou seraient conservés dans ces banques. Pour l’heure, les banques existantes dans notre pays, conservent des unités de sang placentaires données au moment de la naissance d’un enfant aux fins d’une utilisation allogénique. Ce qui est en discussion c’est la conservation d’unités de sang placentaire pour un usage autologue. S’opposent ici une finalité de type solidaire et scientifiquement pertinente, la finalité allogénique, et une finalité non solidaire et scientifiquement non pertinente, l’autre.
 

Tout cela mérite explication.
 

Allogénique : destinée à être administrée dans le cadre d’une procédure de greffe à un autre humain, après que l’on a vérifié la compatibilité tissulaire. Les indications de ce type de traitement sont, pour simplifier, des leucémies et d’autres maladies du sang, ayant toutes un dénominateur commun : une chance plus faible de guérison par d’autres moyens. On demande au greffon d’apporter des cellules souches qui vont produire les différentes catégories de globules, normaux, qui circulent dans le sang, et des cellules du système immunitaire du donneur. On compte beaucoup sur ces cellules immunitaires pour aller se battre contre la maladie pour laquelle la greffe est proposée. C’est même la raison essentielle du choix d’une greffe allogénique ! La pertinence scientifique est là, la démonstration de l’efficacité de ce type de greffe est faite, depuis la première réalisée en France à la fin des années 80 dans le cadre d’une collaboration Franco Américaine, et abondamment publiée dans les revues spécialisées internationales.
 

Solidaire : La communauté participe à la prise en charge des unités de sang placentaires qui sont données par les parents lors de la naissance de l’enfant. Ce don est, comme pour les dons de sang ou de plaquettes parfaitement désintéressé, anonyme et non dirigé. Les unités de sang placentaires ainsi données, sont ensuite mises à dispositions des patients du monde entier.
 

Le coût de cession d’une unité de sang placentaire est variable selon la banque d’origine (Française ou non). Ce coût permet, après quelques années de fonctionnement, aux banques françaises actuellement fonctionnelles de couvrir les frais de prélèvement, congélation et conservation. C’est vrai, les Banques française ne permettent pas l’autosuffisance et obligent à acheter des unités de sang placentaire ailleurs, tout cela prenant place dans un réseau international de banques accréditées mettant à disposition des unités de sang placentaire de qualité homogène.
 

Autologue : destinée à être administré au donneur lui-même après des mois ou des années de conservation. Éventuellement dans des indications identiques à celles de l’allogreffe. Mais alors il y a deux problèmes : d’abord, il est désormais bien établi que nombre de leucémies de l’enfant, quelque soit leur type, sont présentes sous la forme de quelques cellules malades dès la naissance et seront donc congelées avec le sang placentaire éventuellement conservé, et donc réinjectées au moment de l’éventuelle greffe pour une non moins éventuelle leucémie. Ensuite, il ne faut compter sur aucune activité immunologique du greffon contre la maladie. C’est pour ces deux raisons au moins que cette option manque de pertinence scientifique. On aura compris aisément aussi que cela n’a aucun intérêt pour le contrôle de maladies génétiques. On nous parle alors de la possibilité d’utiliser ces cellules ou d’autres dérivées de ce sang placentaire autologue pour une médecine réparatrice ou encore régénérative, au choix du terme qui sera le plus attirant. Certes, mais il s’agit pour l’heure d’un vœu, d’un simple vœu ! Pourquoi faudrait-il que seules ces cellules du sang placentaire soient capables de servir à cette médecine régénérative ? On sait aujourd’hui qu’il est parfaitement possible, assez simplement au demeurant, de redonner une capacité de multi potentialité (capacité de donner naissance à des tissus différents : neurologiques, tendineux, osseux, musculaires…) à des cellules de la peau, ou de la moelle osseuse, adultes et largement disponibles chez tout un chacun. Peut être veut on parler des cellules mésenchymateuses (terme spécialisé pour désigner des cellules de soutien aux cellules souches) ? Bon, mais alors il faut savoir que ces cellules sont situées surtout dans les parois du cordon ombilical et ne font pas l’objet de la congélation pratiquée par les banques. Là encore, la pertinence scientifique des propositions alléguées d’un usage aux fins de réparation ou de régénération tissulaire est pour le moins douteuse.
 

Non solidaire : Les unités de sang placentaire conservées à des fins autologues ne seront évidemment pas disponibles pour la communauté. Dès lors que le « propriétaire » ou ses représentants se sera acquitté des sommes permettant la conservation de ses cellules, il sera légitimement impossible de disposer de ces cellules pour un usage allogénique. La fréquence heureusement faible des leucémies et autres maladies hématologiques indications des greffes, l’âge, heureusement encore, en général avancé, de développement des problèmes pouvant donner lieu à une hypothétique médecine réparatrice ou régénérative font que ces cellules autologues seront conservées pendant des années, inutilement. Une thésaurisation en quelque sorte !
 

Il reste encore quelques points à soulever pour expliquer notre réticence à voir se développer une conservation d’unités de sang placentaire autologues.
 

Une incertitude d’abord quant aux contrôles qui pourraient être (ou pas) appliqués lors du prélèvement de ces unités. Contrôles de la richesse et de l’innocuité au regard de la transmission de maladies infectieuses transmises par le sang. Ces deux points ne sont pas sans importance. La richesse concerne bien entendu, au premier chef, le propriétaire, qui le jour où il aura besoin de son « bien » sera fort dépité si on ne lui donne que du vide ! Or il faut savoir qu’à peine un tiers des sangs placentaires qui sont actuellement prélevés dans les banques françaises sont finalement conservés. Les contrôles rigoureusement appliqués, les exigences de richesse minimale expliquent cela et font que les unités de sang placentaire français sont très demandées. L’innocuité ne serait un point important que si, à un moment ou un autre, pour une raison ou une autre, les unités de sang placentaire à usage autologue étaient mises à disposition pour un usage allogénique.

Une incompréhension du mécanisme qui permettrait en augmentant le nombre d’unités de sang placentaire à vocation autologue de combler le manque d’unités à visée allogénique.
 

La crainte qu’une publicité appuyée, relayée par des organes peu au fait de la pertinence scientifique, auprès de familles « captives » au moment de la naissance de cet enfant- trésor des trésors, auquel il faut toujours, quel qu’en soit le prix, assurer le meilleur avenir- ne tarisse la source des banques allogéniques.
 

Pour finir, si nous nous trompons quant à la pertinence d’une utilisation future tant dans le cadre d’une autogreffe que dans celui de la médecine réparatrice ou régénérative, si c’est là une chance de meilleure santé de nos contemporains , alors il faut que, fidèle au principe d’égalité, cette chance soit permise à tous et qu’alors, la conservation de tous les sangs placentaires devienne obligatoire et soit prise en charge par les systèmes de protection sociale. A défaut, seuls les plus nantis auraient accès à cette possibilité et rien n’indique qu’ils en ont le plus besoin ! »

 

E: Que pensez-vous des modèles de banques solidaires?

 

Noël Milpied: Je ne sais pas ce que vous voulez dire par banque solidaire. Pour moi les banques qui existent en France sont solidaires : Elles fonctionnent avec de l’argent public et elles sont destinées à prélever et conserver majoritairement des greffons à visée allogénique et donc « solidaire ».
 

Si par solidaire on entend des banques privées visant à conserver des USP autologues dont une partie est destinée à un usage allogénique, alors je suis extrêmement perplexe. Pour l’heure, les exigences de qualité des USP font qu’en France, environ 30% seulement des USP prélevées sont finalement conservées. La raison principale de cette perte est une richesse insuffisante en cellules nucléées. Comment peut on imaginer dès lors qu’une partie de ce qui est déjà insuffisant puisse être utile à qui que ce soit y compris d’ailleurs au « propriétaire » qui ne disposerait aussi que d’une partie de son bien ! Pour moi c’est un argument de type « publicitaire » visant à tenter de donner et se donner un vernis d’altruisme là où la vocation principale est de ramasser de l’argent ! Désolé de n’être que très modérément politiquement correct ! D’ailleurs, y a-t-il eu une seule greffe allogénique faite à partir de ce type de prélèvement et d’ailleurs, ces prélèvements figurent ‘ils seulement sur les fichiers internationaux qui sont interrogés quand on cherche un greffon ?

 

E: Êtes-vous pour une interdiction des banques autologues en France? Si oui, Pourquoi?

 

Noël Milpied: Oui, totalement, s’il s’agit de banques privées à vocation de conservation exclusive d’USP autologues, je crois expliquer dans le texte les raisons qui dictent cette position.
 

En revanche, je suis pour la possibilité de conserver des USP autologues dans les banques publiques existantes ou en cours de création dans des indications et des conditions précises. Ces indications et ces conditions peuvent parfaitement être définies par des experts et sujettes à révision autant que nécessaire.


E: Quels sont les problèmes des banques publiques en France?  Pourquoi n’avons-nous pas assez de greffons disponibles? Il n’y a pas assez de banques publiques.

 

Noël Milpied: C’est essentiellement une question financière. La démarche de création d’une banque est un acte de volontariat important, qui réclame un engagement et un travail énorme avec un soutien financier qui n’est pas complètement à la hauteur des coûts que cela représente. L’équilibre financier des banques existantes ne peut être atteint qu’après plusieurs années et un tel engagement financier n’est pas toujours envisageable. L’engagement des maternités et des personnels médicaux et para médicaux qui informent, prélèvent les parents, et prélèvent les USP est également important et ne se fait actuellement que sur la base d’un volontariat qui n’est pas acceptable par tous sans contre partie financière.

 

E: Est-ce que vous attendez quelque chose de plus de la part de la législation sur le sang de cordon?

 

Noël Milpied: Une réaffirmation de l’impossibilité de voir se créer des banques privées à but de conservation des USP autologues. La prise en compte de ce produit comme un produit biologique et non pas un déchet et l’assujettissement aux mêmes principes que ceux qui président à l’organisation des prélèvements, conservation et distribution des produits sanguins.

 

E: Quel rôle joue selon vous l’agence de Biomédecine dans la conservation du sang placentaire? Est-elle un frein ou n’est-elle pas assez ambitieuse?

 

Noël Milpied: L’Agence de la BioMédecine joue un rôle complètement moteur en favorisant la création de banques supplémentaires, même si les moyens financiers qui sont donnés sont sans doute insuffisants. Mais l’Agence de la BioMédecine ne fait que distribuer de l’argent qu’elle sollicite pour soutenir les programmes tels que ceux concernant la conservation des USP. Les réflexions des experts de la greffe de cellules souches hématopoïétiques en ce qui concerne la position à adopter vis-à-vis de ces greffes sont écoutées et suivies. A titre d’exemple je vous joins un document établi par la SFGM-TC, fin 2007 sur lequel on peut penser que l’Agence de la BioMédecine s’est appuyé, au moins en partie, pour lancer les programmes de création de banques supplémentaires. Si l’Agence de la BioMédecine est opposée à la création de banques autologues et si c’est cela qui la fait taxer de manque d’ambition, alors je me félicite de ce manque d’ambition là ! Il manifeste un souci éthique scientifique et du bien commun salutaire en ces temps incertains.

 

E: Que pensez-vous du partenariat entre l’EFS et la Fondation Générale de Santé?

 

Noël Milpied: Je n’ai pas d’avis particulier, en tous les cas pas négatif si ce partenariat est transparent en ce qui concerne la destination des greffons d’USP qu’il permettra de stocker.
 

Vous l’aurez compris je pense, pour moi il faut privilégier tout ce qui peut contribuer à accroitre les principes de partage au détriment des principes d’appauvrissement des plus vulnérables. Il faut également préserver une rigueur scientifique et un principe de réalité au détriment d’arguments scientifiquement non étayés ou faux ou hypothétiques.