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Vous organisez combien d’expositions par an ?

 F L: Cinq expos par an.

Je ne suis pas galeriste street art, je n’ai pas d’artiste street art sauf JonOne [...] mais pour moi le street art c’est une composante de l’art

On peut voir que JonOne, ça rappelle le tag. Qu’en est-il de la légitimité dans le monde de l’art [de quelque chose comme le tag] ?

 F L: Qu’on soit bien d’accord sur la terminologie. Le tag ça fait partie du street art on va dire mais le street art c’est pas du marketing gratuit, c’est dans la rue. Et tout ce qui est en galerie c’est du post-graffiti, c’est le développement de l’art urbain…mais qui est transposé en galerie. Le street art ça regroupe effectivement aujourd’hui ce qu’on trouve en galerie, ce qu’on trouve dans la rue, sur les murs…etc.

 Est-ce que l’art dans la rue doit nécessairement faire partie du cheminement du street artist?

 F L: Non, non, pour moi non. Tous les graffeurs et les tagueurs ce ne sont pas des âmes d’artistes. Il y a des vandales, de vrais vandales qui font des détériorations. Le but vraiment d’un graffeur c’est vraiment de se faire reconnaître, de signer sur le plus de murs possible, le plus de trains possible pour qu’on puisse les voir le plus possible. C’est ça qu’ils recherchent. C’est pas la reconnaissance du milieu artistique ou des collectionneurs. C’est quelque chose de complètement différent. Avec le mode du street art, du graffiti, viennent beaucoup d’artistes…c’est un petit peu dénaturé. Dans la rue…il y a une adrénaline. C’est le chat et la souris…il y a la police. C’est la partie vandalisme mais c’est aussi de se faire reconnaître de ses confrères, les autres graffeurs. C’est ça qu’ils veulent. Donc c’est un moyen d’expression pour certains, pour d’autres, c’est du vandalisme. Alors là: quels sont les graffeurs qui veulent être reconnus comme des artistes? Là déjà il y en a beaucoup moins. Et on doit gagner un petit peu d’argent et ça, ça déclenche des vocations. Et pourquoi pas gagner un peu d’argent si on est un bon graphiste, on n’est pas forcément un bon artiste, déjà le graphisme du graffiti c’est sympathique. [...] s’ils ont vraiment beaucoup de talent peut-être que des collectionneurs s’y intéresseront. Mais ce sont des démarches qui sont quand même différentes.

Au niveau de la technique: est-ce que quelqu’un qui a beaucoup de talent, qui peint sur les murs, au moment de la transposition…

 F L: Non. Ce n’est pas nécessairement transposable d’après moi. J’ai vu des tags impressionnants, réalisés avec un certain talent, parce qu’il faut les faire les murales de 50 mètres, de 10 mètres…et des espaces in-situ. J’ai vu des travaux d’artistes sur des toiles…et je ne sais pas comment expliquer mais bof…

 Donc passer du mur à la toile n’est pas évident?

 F L: Non, c’est pas évident. Et c’est différent la toile, c’est autre chose…il y a peu de graffeurs qui pour moi sont légitimes sur la toile.

 Comment est-ce que vous définiriez académiquement le street art?

 F L: Street art c’est l’art de la rue.[...] ce sont des gens qui travaillent dans la rue, qui se servent de supports qui sont dans la rue. Ca peut être des panneaux indicateurs, des murs…ça peut être des trains…

 Et donc à partir du moment où ils travaillent sur une toile…

 F L: Pour moi, [...] je ne suis pas galerie graffiti. Je n’ai pas à vendre coûte que coûte un mouvement. Je pense qu’il y a peu de graffeurs qui sont de grands artistes. C’est logique, il n’y a pas de raison qu’ils aient plus de talent que d’autres. C’est tellement différent comme démarche, la toile et le mur, que logiquement il y en a assez peu qui arrive à passer le cap et à perdurer dans le temps. Il y en a un peu…il y a Jon0ne

Et vous en n’étant pas une galerie de street art, avez vous l’impression d’avoir moins de pression pour accepter des artistes par leur histoire, le côté illégal?

 F L: Non, non, ça je m’en fous. L’art n’a pas besoin d’être officiel, moi je m’en fous. Je n’ai pas de clients de musées et je ne fais pas de copinage. Donc le plus dur pour un artiste c’est de vendre à une galerie comme la mienne…j’ai mes clients qui connaissent l’art et s’ils achètent ce n’est pas l’argent du contribuable, ce n’est pas l’argent public. La pression que j’ai c’est d’essayer de conseiller mes clients. Si j’achète un mauvais tableau ils me pardonneront peut-être mais pas deux fois [...] je m’engage. Mais je ne suis pas victime, je ne suis pas esclave d’une mode…

 Parlant de mode: est-ce que vous avez l’impression que le street art est une mode?

 F L: c’est une mode, carrément.

 C’est éphémère?

 F L: Je pense, je ne suis pas sûr de mon coup, mais je pense que le street art aujourd’hui arrive un peu comme le pop art arrivait dans les années 60. C’est-à-dire qu’il y a un essoufflement, les galeries et les institutions veulent nous bourrer le mot avec de l’art archi contemporain dans lequel très peu de personnes se retrouvent. Et les fashion victimes qui achètent pour les musées  des frac, des fnac…mais au final il n’y a pas nécessairement quelque chose de réjouissant. Et je pense que le street art arrive à un moment où on a besoin d’art un petit peu, quelque chose qui a la pêche. Et le graffiti on ne peut pas lui retirer ça, il a beaucoup d’énergie, beaucoup de couleurs, beaucoup de mouvement. Et je pense que le reste s’essouffle un petit peu donc on a besoin de ça. Comme Castelli [ndlr: galeriste New-Yorkais qui a fait la promotion du pop art] quand finalement le business était plus très florissant dans les années 50 – 60, parce que les impressionnistes, les modernes ne se vendaient plus, recherchaient d’autres mouvements artistiques, d’autres mouvements artistiques pour leurs clients, ils avaient le pop art…la clientèle américaine à très fort pouvoir d’achat a très facilement adhéré, financièrement aussi. Le graffiti on est encore à ce point de vue là au début, parce qu’on n’a pas encore touché la clientèle américaine. Donc quelques artistes comme JonOne même s’ils font des prix de 5-10-30 000 en salle de vente, sont d’après moi assez loin de ce qu’ils font plus tard, parce que quand la clientèle nord américaine, à New York et à Los Angeles, se mettra à acheter du street art…ça fera très très mal. Aujourd’hui c’est pas le cas. Les graffeurs qui travaillent en galerie cette année, ils sont en Europe et pas aux Etats-Unis. [...]

C’est intéressant parce que sur Internet, on avait l’impression que les choses se passaient à Londres et à New York City…surtout à Londres…

 F L: Londres…parce que Londres il y a Banksy. Parce qu’il y a eu au Tate Modern une rétrospective, une exposition importante cet été. [...] et à Londres jusqu’à maintenant il y avait un très grand pouvoir d’achat. L’air, il s’épanouit quand il y a du fric sinon ça n’a pas d’intérêt. c’est cru ce que je vous dit mais…c’est ce qui fait que les artistes dépassent, que toutes les galeries dépassent, c’est parce qu’il y a un acheteur derrière. Si c’est pour se regarder dans le blanc des yeux avec des personnes qui sont abonnées à la réunion des musées nationaux ça n’a aucun intérêt. Donc l’Art s’épanouit quand il y a des acheteurs et l’Angleterre a été florissante, Londres a été florissante. Donc c’est là que ça se passait en Europe. C’est plus le cas maintenant.

Pour vous ce raisonnement marche pour l’art en général, pas seulement pour le street art…il n’y a pas de cas particulier du street art qui fait que Londres est un peu plus ouverte?

 F L: Bon il y a Banksy…mais bon Banksy c’est surtout un gars qui a fait de l’événementiel, un gars qui a fait du pochoir…ce qu’il a fait, avant Blek le Rat l’avait fait en France…Il a bien mis en scène son travail et surtout il avait des acheteurs très fortunés qui ont mis des sommes pas possibles sur les oeuvres.

 C’est donc plus marketing que…

 F L: C’est 90% de marketing! Et ça, ça ne peut se passer que dans une société qui s’épanouit financièrement. L’Angleterre s’est éclatée dans les 15 dernières années…éclatée…donc c’est normal qu’en profitent les arts un petits peu émergents mais facile à intégrer. Mais c’est un vrai travail…c’est pas pour moi du field-work [?]. Là avec la crise et tout ce qui se passe en ce moment il va y avoir de la casse dans plein de catégories. Ne restera d’après moi que ce qui tient la route; qui ne touche pas seulement le snobisme de l’art contemporain. C’est ce que je pense…après ce n’est peut-être pas la vérité mais c’est ce que je pense.

Justement en ces temps de crise beaucoup parlent d’investir dans l’art, est-ce que vous pensez que le street art est un bon investissement?

 F L: Moi je pense que si vous suivez l’artiste, que si vous connaissez un petit peu le mouvement, si vous allez dans les vernissages, si vous discutez avec votre galeriste…si vous vous faites une opinion, alors ça vaut la peine d’acheter. Si c’est faire un coup pour faire un coup parce que tel artiste est passé à la TV… ça ne sert pas à grand chose. D’abord acheter ce qu’on aime bien, un artiste qu’on aime…et puis essayer d’avoir un petit peu de recul. Savoir son histoire, si son travail est de l’opportunisme ou s’il a une vraie histoire; si ce qu’il fait est sincère. On le sent à travers le travail. [...] On peut se tromper, on n’a pas la science infuse, et c’est en se trompant qu’on se fait un oeil. C’est en achetant des [rogatons?] et de se dire en arrivant chez soit: c’était sympa à la galerie, bien en salle de vente mais chez moi on ne voit que les défauts. [...] Donc ça reste un placement peut-être, mais les bons artistes ne sont jamais gratuits. C’est toujours un pari. C’est pour ça qu’il faut toujours avoir la notion de plaisir quand on achète un tableau car au mieux ce sera l’affaire du siècle et au pire ce sera un achat de plaisir. Je pense qu’on parle beaucoup beaucoup d’argent, notamment avec le street art mais il ne faut pas oublier la notion de plaisir. Les tableaux que j’ai chez moi…le soir le matin quand le me lève…je passe devant et ça me procure du plaisir. Et ça indépendamment de ce qu’ils valent. J’ai pas besoin de savoir qu’il a pris 30% 50% à la vente Artcurial pour me dire que c’est un bon tableau. C’est peut-être ça que la crise va nous apporter…recadrer le débat vers de vraies valeurs.

Au niveau des galeries en France, qui s’occupe du street art? Vous croyez qu’il y en a assez, peu, trop? Au niveau des artistes, trop exposés, qui n’en valent pas la peine ou le contraire?

 F L:Alors, pour le moment je pense qu’il n’y en a pas trop qui sont exposés. Il n’y a jamais assez d’artistes qui sont exposés d’ailleurs. [...] mais ce qu’il faut savoir c’est que s’il y a 100 galeries qui vont proposer le street art, il y en a 90 qui le feront par opportunisme. Il y en a 6 ou 7 qui aiment le street art et qui le font depuis longtemps, deux qui découvrent [...]. Non il faut les voir et les revoir, se faire une idée, se renseigner, vois s’il y a des articles critiques, voir la carrière internationale aussi. Savoir qui sont les gens qui sont les artistes quels sont leurs parcours…Un artiste qui a 25-30 ans qui fait des tableaux comme ça [montre tableau sur le mur] on se dit c’est bien il peut évoluer parce qu’il est jeune, mais s’il a 60 ans et ça fait 20 ans ou 30 ans qu’il fait la même chose…alors bon…pas la même chose, c’est différent.

 La première fois que vous avez exposé du street art, c’était en quelle année?

 C’était en 2008.

C’est assez jeune. Et au début, vos clients ont eu quelle réaction? La même que par rapport à n’importe quel nouvel artiste?

 Quand on a décidé de monter cette expo, c’était il y a un an et demi…le graffiti on en entendait pas trop parler il y a un an et demi. [n'a pas pu répondre, un commissaire-priseur d'Artcurial est entré dans la galerie]