La théorie de l’organicisme
Lors du Forum intitulé “Ecosophie: la philosophie à l’épreuve de l’écologie” s’étant déroulé à Paris le 29 mai 2008, J. Baird Callicott de l’université du Texas nord a présenté l’histoire de l’organicisme (”From the Superorganism to the Gaia Hypothesis: a brief history of Organicism in Ecology, from the early 20th century to the early 21st century”).
J Baird Callicott
L’une de nos enquêtrice y a assisté.
Voici ce que nous en avons retenu d’intéressant pour l’enrichissement des prémices de Gaia.
- En 1866 : création du terme écologie par Ernst Haeckel, considérée comme une branche de la physiologie. Cette nouvelle science comprend «the internal physiology » : les relations fonctionnelles entre organes dans l’organisme ; « the external physiology » : les relations entre organismes au sein d’une entité dont il ne possède pas le nom.
- Le paradigme du super organisme en écologie.
F. E. Clements généralise cette analogie organe/organisme : Alors que le super organisme correspondait à l’organisme, et l’organisme, à la cellule ; super organisme correspond désormais à l’espèce, et l’organisme à l’organe.
On passe ainsi de la cellule seule, aux associations de cellules qui donne les organismes multicellulaires, des organismes multicellulaires, aux super organismes.
On ne peut pas voir les cellules seules, car elles sont trop petites (microscope), et on ne peut pas voir les super organismes car ils sont trop grands.
=> l’écologie est la lentille au travers de laquelle les super organismes sont découverts.; c’est donc une science quasi “métaphysique”.
Les influence supposées de Clements sont l’allemand O. Drude ; l’idéalisme et romantisme du 19ème siècle, Hegel et Goethe.
Ce paradigme par analogie permit d’organiser cette nouvelle science. On peut mettre en place une taxonomie (genre, espèce), une anatomie, une physiologie et une ontogénie comme pour la biologie classique des organismes, mais appliqué à l’écologie du super organisme.
Clements se spécialise en éco ontogénie (connaissance de l’être en tant qu’être, que soi), appelé succession écologique: il constate que l’on passe du sol nu, à l’herbe et mauvaises herbes, aux arbustes, aux arbres aimant le soleil, pins, aux arbres tolérants l’ombre. Ce dernier est le « climax sere » car c’est la partie finale, déterminée uniquement par le climat selon lui.
Ce « climax sere » se reproduit à l’infini sauf dérangement exogène, notamment anthropogénique. Laissé seul, ce sol nu croît de la même manière en suivant les mêmes étapes. Clements le considérait comme « dynamic ecology », bien qu’en fait était de la « static ecology » car le climax reste de le même composition à l’infini.
=> Le paradigme du super organisme pose le principe de l’existence d’un équilibre dynamique dans la Nature vivante.
- Le paradigme individualiste en écologie
Scepticisme de Henry Gleason face à cela : les espèces du super organisme n’ont pas de limites distinctes : spatialement, l’herbe empiète sur les forêts et les différents types de forêts sont entremêlés ; temporellement, les étapes de succession se mélangent entre elle.
Les spécimens au sein d’une espèce du super organisme sont moins ressemblantes que les spécimens au sein d’une espèce d’organismes.
Dans un même climat séparé géographiquement, on trouve des forêts très différentes, alors que Clements disait que « the climax » était exclusivement déterminé par le climat.
Gleason constitue une théorie alternative (réductrice) : chaque espèce est adapté à une zone de condition environnementale (futur gradient) ; chaque espèce dissémine ses semences par différents moyens, résultant d’un distribution aléatoire.
“Every species of plant is a law unto itself, the distribution of which in space depends upon its individual peculiarities of migration and environmental requirements.” De ceci on peut conclure qu’une association n’est pas forcément un organisme, ni même à peine une unité végétationelle, mais simplement une coïncidence.
=> Approche individuelle
Mais Cette approche était prévue par Eugénius Warming, plus influent au niveau du continent, alors que Gleason est inconnu de l’écologie anglo-américaine.
- Le paradigme de l’écosystème en écologie
C’est le premier challenge effectif pour le paradigme de Clements ; Arthur Tansley en 1935 invente du terme écosystème = nom des objets propres à l’étude écologique.
On a l’écologie des plantes d’abord, puis celle des animaux (Charles Elton) ; les deux formant le biote.
Tansley ajoute à cela le matériel abiotic utile (nutriments) au domaine de l’écologie :
biote + matériels abiotiques = écosystème.
Il n’y a pas d’apparition du mot « énergie », donc pas de réduction à la thermodynamique. Il nie l’existence littérale de super organisme, mais reconnaît que les écosystèmes sont des quasi organismes et que ceux-ci ont un équilibre dynamique. Ils sont également sujets à l’évolution darwinienne.
“There is in fact a kind of natural selection of incipient systems, and those which can attain the most stable equilibrium survive the longest.”
Parallèlement Donald Worster dénature le paradigme de l’écosystème en abandonnant la biologie pour la thermodynamique et la physique ; en réduisant l’écologie à de la mécanique plutôt qu’à une théorie holistique et organistique.
G. E. Hutchinson ajoute le métabolisme aux autres analogies avec la biologie des organismes. Son étudiant Raymond Lindeman complète le paradigme en ébauchant ce métabolisme, dans lequel il mesure la somme d’énergie solaire reçu par la surface d’un étang, combien en sont converti en biomasse par les autotrophes, et combien de l’énergie chimique disponible dans les plantes était converti en biomasse animale.
Herbivore -> omnivore -> méso prédateur -> carnivore -> mangeurs de détritus.
Son étude est ensuite poursuivie par l’étude des flux d’énergie à travers des cycles dans un écosystème.
Après la 2ème Guerre Mondiale, l’utilisation de la radioactivité pour tracer les nutriments dans les écosystèmes facilite les études sur ces écosystèmes.
Eugène Odum marque un retour aux racines « Clementsian holistc-organicist »en 1969.
L’équilibre classique de la nature est celle des prédateurs/proies. Odum y ajoute un équilibre de « biomass production to respiration » (l’équivalent du cycle du carbone) dans un écosystème mature. Quand le système est immature : la production de biomasse excède la respiration. Le système devient fermé quand on atteint un équilibre minéral : « the nutrient loss is compensated by nutrient uptake ». Dans un système mature, la diversité augmente, le rendant plus stable, et le protégeant mieux contre les perturbations environnementales.
=> “Mature ecosystems take “control” over their own environments; they are self-reproducing and self-regulating.”
- Le paradigme néogleasonien
Des études empiriques et quantitatives commencent à confirmer le scepticisme de Gleason sur l’ontologie et la taxonomie des « associations » de plantes de Clements.
La palynologie (étude des spores, pollens et éléments fossilisés) porte le coup de grâce ; les enregistrements de pollen montrent que les différentes espèces s’éloignent de refuges au sud et retournent au nord en différentes directions et à différents niveaux pour former des assemblages « post glacial » différents. Alors que selon Clements, en réponse au variations glaciaires, “all the zoned climaxes will move across the continent ‘as if they were strung on a string’.”
=> Chacune des espèces est une loi en soi.
L’ubiquité des perturbations naturelles est découverte (feu, vent, maladie, glace…) suivant des perturbations naturelles et anthropogéniques; aucun chemin successif fixe n’est observé, pas plus que ces successions se finissent de manière prévisible.
Steward Pickett définit alors les écosystèmes de Clements :
- sont fermés (sauf pour l’énergie, et les flux d’eau)
- sont auto régulateurs (acteurs et processus locaux)
- tendent vers un point unique d’équilibre (climax)
- ont un chemin successif déterminé
- sont perturbés par des évènements exceptionnels
- have humans excluded from normal ecological factors
Les écosystèmes sont maintenant considérés ainsi:
- sont ouverts aux nutriments, pollution, aux organismes mouvants, ont des facteurs de régulation tant internes que externes
- ont de nombreux domaines d’attraction écologique
- ont des modifications sans direction et sans fin
- ont des perturbations intégrées
- incorpore les influences humaines
- sont ontologiquement flous et relatifs
- leur ontologie est conduite par l’épistémologie
- Ecologie post-moderne
L’ontologie des écosystèmes est entraînée par l’épistémologie écologique, car la manière dont un écosystème est lié, isolé, dépend de la manière dont l’écologiste interroge la nature.
(Deux exemples : les limites de l’écosystème de Lindeman étaient les bords du lake Cedar Bog, car il enquêtait sur les flux d’énergie de l’étang ; de même, les limites des écosystèmes étudiés par Likens et Bormann étaient le faîtes de tel forêt, car ils enquêtaient sur le budget des nutriments de la forêt.)
=> Les écosystèmes sont construit socialement, ce qui était déjà compris par Tansley.
“It is necessary ‘to isolate systems mentally for the purpose of study. The isolation is partly artificial, but it is the only way we can proceed.’”
- Théorie de la hiérarchie
Tansley note également que « les systèmes qu’on isole mentalement sont non seulement comme partie d’un tout plus grand, mais ils sont aussi chevauchants, entrecroisant et en interactions avec les autres ».
=> Les écosystèmes sont composés de processus et non d’entités.
Les organismes sont des moments dans un processus écologique.
=> Les écosystèmes sont ordonnés hiérarchiquement dans le temps et dans l’espace
Des petits (rapides) écosystèmes sont emboîtés dans des plus grands (plus lents) (Par exemple : un tronc pourri contient à une plus petite échelle un écosystème d’insectes, de champignons…)
La théorie de la hiérarchie dans le paradigme de l’écologie post-moderne : le débat entre holiste/réductionniste et organiciste/mécaniste se dissout.
Quand un écologiste isole un système pour l’étudier, 3 échelles hiérarchiques interviennent :
- le système primaire d’étude. Total organique : Lo
- le système suivant au dessus : le contexte : L+1
- le système suivant au dessous : le mécanisme L-1
=> L-1 est constitutif du L+1
Le climat est constitué par le temps. Les caprices de ce niveau (le temps) sont freinés et atteignent une moyenne lorsqu’ils s’agrègent pour constituer l+1.
=> L+1 est stable et contraint le L-1
Les écologistes peuvent considérer le point décisif comme inchangé, bien que il puisse y avoir érosion, ou remplissage avec des sédiments par exemple.
- La théorie Gaïa : organisme post-moderne et post-écologique
En montant l’échelle de cette hiérarchie, on peut arriver à un objet qui n’est pas « en partie artificiel », et qui ne se dissout pas dans un autre objet quand les écologistes pose une question différentes, la planète terre, Gaïa, la biosphère.
La biosphère a de nombreuses caractéristiques du paradigme de l’écosystème d’Odum : fermé (ouvert seulement au rayons du soleil, autres radiations, et aux matériaux cosmiques accidentels) ; auto régulateur (au cœur du concept de Gaïa) ; présentant des point unique d’équilibre pour des cycles biogéochimiques (O2 : 21%, N2 : 78%, CO2, CH4 : 2,05 ppmv, température moyenne : 15°C) ; libre jusqu’à très récemment de toute influence humaine à l’échelle de la biosphère.
L+1 : système solaire
Lo : biosphère -> système d’intérêt, entité robuste ontologique.
L-1 : système interne bio géo chimico physique.
Dans ce cadre, les écosystèmes sont flous et relatifs ontologicalement parlant ; isoler un écosystème au sein de la biosphère revient à isoler un organe dans l’organisme ; et tous sont intimement interconnectés.
Relativement au solaire système environnant, Gaïa est un organisme plus robuste que ne le sont les autres organismes relativement à leurs écosystèmes environnants.
L’ozone stratosphérique forme une sorte de peau ou membrane ; le CO2 et les autres gaz reflètent les radiations infra rouge et l’empêche de geler ; la présence de la lune stabilise la rotation de la terre et produit les marées.
=> Les processus bio-géo-physiques et écologique sont les mécanismes exploratoires pour les nombreux équilibres que la biosphère possède.
- Lien entre la théorie Gaïa et l’écologie.
Hutchinson repris le travail de Vernasky ; ce dernier publia en 1926 « the biosphere » dans lequel il dit que la vie n’est pas simplement adaptées aux conditions sur Terre, mais est une force géologique formant des conditions pour une meilleure accommodation de la vie. Puis Lovelock en 1970.
1923 : Aldo Leopold anticipe l’hypothèse Gaïa trois ans avant que Vernadsky ne publie son ouvrage : voici quelques citation de Leopold, illustrant bien à quel point il a anticipait l’hypothèse Gaia, de Lovelock.
“[It] is at least not impossible to regard the earth’s parts—soil, mountains, rivers, atmosphere, etc.—as organs or parts of organs, of a coordinated whole, each part with a definite function. And, if we could see this whole, as a whole, through a great period of time, we might perceive not only organs with coordinated functions, but possibly also that process of consumption and replacement which in biology we call the metabolism or growth. In such a case we would have all the visible attributes of a living thing, which we do not now recognize to be such because it is too big and its processes too slow. And there would also follow that invisible attribute—a soul or consciousness—which . . . many philosophers of all ages ascribe to all living things and aggregations thereof, including the ‘dead’ earth.”
“There is not much discrepancy except in language, between this conception of a living earth, and the conception of a dead earth, with enormously slow, intricate, and interrelated functions among its parts, as given us by physics, chemistry, and geology. The essential thing, for present purposes is that both admit the interdependent functions of the elements… Possibly, in our intuitive perceptions, which may be truer than our science and less impeded by words than our philosophies, we realize the indivisibility of the earth—its soil, mountains, rivers, forests, climate, plants, animals, and respect it collectively, not only as a useful servant but a living being, vastly less alive than ourselves in degree, but vastly greater than ourselves in time and space—a being that was old when the morning stars sang together, and, when the last of us has been gathered unto his fathers, will still be young.”