Interview de Bernard Bégaud
Compte-rendu de l’entretien avec le Professeur Bernard Bégaud, |
L’entretien a eu lieu par téléphone entre 14h30 et 16h10 le jeudi 14 mai 2009.
A l’époque de la campagne de vaccination massive contre l’hépatite B, Bernard Bégaud était vice-président de la Commission nationale de pharmacovigilance de l’Afssaps. Il était expert en calculs de probabilité appliqués à la gestion des risques et des crises sanitaires.
Quelle est votre position dans la controverse sur le vaccin contre l’hépatite B ?
B. Bégaud : Il existe des zones d’ombres et des zones de certitude dans cette affaire ; c’est un fait que tout observateur honnête doit reconnaître. La certitude, c’est que cette affaire a été gérée de manière catastrophique ; c’est un ratage monumental que l’on aurait pu, du, éviter. Toute personne qui connaît un peu la santé publique pouvait dire dès le début que l’on allait dans le mur.
Qu’est-ce qui était prévisible ?
B. Bégaud : On a lancé une campagne de vaccination très vaste chez les nourrissons et les 10-15 ans. L’idée était d’immuniser via les jeunes l’ensemble de la population. Car, plus on avance en âge et plus les gens sont difficiles à atteindre et plus l’injustice sociale influe sur la vaccination, avec le risque de ne pas pouvoir toucher les populations les plus à risque.
L’idée était bonne mais on ne lance jamais une campagne de santé publique aussi massive (650 000 nourrissons et 1,3 millions de 10-15 ans devaient être vaccinés chaque année) sans mettre en place un système d’évaluation permettant de savoir si la population devant être vaccinée était atteinte et dans quelles proportions. D’où trois erreurs commises par le gouvernement à l’époque : 1/ On ne peut pas lancer une telle campagne de vaccination sans mettre en place un observatoire de surveillance. 2/ Il y avait un conflit d’intérêt financier entre les laboratoires pharmaceutiques concurrents. Le gouvernement a laissé les firmes pharmaceutiques faire la campagne à sa place. Il n’y a eu aucun message de l’Etat. 3/ A l’époque, quand la campagne fut lancée, il n’y avait aucune donnée permettant de prouver qu’un nourrisson était protégé à vie quand il se faisait vacciner.
Vous voulez dire que désormais, on sait que la vaccination des bébés contre l’hépatite B les protège à vie ? Est-ce l’objet d’un consensus dans la communauté médicale ?
B. Bégaud : Il existe deux études, dont une réalisée à Taiwan, qui montrent que si 30 ans après la vaccination les anticorps ne sont plus actifs, mais dormants, ils sont cependant facilement réactivables. Ceci n’est pas mesurable au niveau sanguin, mais il y a une forte présomption que le vaccin peut protéger pendant environ 40 ans. Et on peut dire que cet effet « à vie »du vaccin fait l’objet d’un consensus dans la communauté médicale. C’est pourquoi il est logique de recommander la vaccination du nourrisson.
Revenons à la campagne de vaccination contre l’hépatite B…
B. Bégaud : Ce fut une affaire dramatique. Et deux facteurs ont parasité les choses. 1/ Les ligues anti-vaccinales se sont saisies de l’affaire et m’ont pris pour l’un des leurs car j’avais osé dire qu’il y avait un problème. 2/ Certains confrères médecins ont relayé les messages des firmes pharmaceutiques, même les plus inacceptables.
Cette affaire a accru la méfiance des Français vis-à-vis des vaccins. L’information aurait pu être bien faite, mais ce ne fut pas le cas. Il n’y a pas eu de vraie préparation des acteurs. C’est pourquoi beaucoup de parents ont refusé de laisser vacciner leurs bébés. Et aujourd’hui, la vaccination des nourrissons ne dépasse pas en France les 30%. La campagne a mieux marché avec les adolescents.
Il faut noter l’incohérence de la campagne de vaccination, qui était censée se limiter aux enfants, et qui a évolué vers la vaccination massive d’adultes entre 20 et 45 ans qui n’était pas prévue initialement. En plus, il était dit que ces adultes devaient effectuer un rappel tous les cinq ans. En tout, plus de 90 millions de doses de vaccins ont été injectées. La pharmacovigilance a tracé les doses vendues et a remarqué qu’entre la moitié et les deux tiers des vaccins avaient été injectés à des adultes qui avaient déjà été vaccinés et qui n’auraient pas du le recevoir (si on se base sur l’idée que le vaccin a des effets à vie, ce qui était la justification de la vaccination des nourrissons). Et ces 90 millions de doses vendues ont été payées « plein pot », alors qu’il est la règle (accords prix-volume) que le prix diminue quand les ventes augmentent fortement. Tout laisse donc à penser que l’élargissement de la vaccination massive aux adultes a été, directement ou indirectement, orchestré par les laboratoires.
Finalement, la population majoritairement vaccinée pendant cette campagne, entre 15 et 45 ans, correspondait à la population en âge de développer une sclérose en plaques. Ne serait-ce que par simple coïncidence, on pouvait donc s’attendre à voir apparaître des cas de sclérose en plaques après la vaccination.
Comment l’Afssaps (Agence du Médicament) a-t-elle évalué le lien de causalité entre le vaccin contre l’hépatite B et les cas de scléroses en plaques survenus ?
B. Bégaud : Notre équipe a été chargée d’élaborer une étude statistique afin d’étudier un possible lien de causalité. La manière dont on calcule est simple. On regarde l’incidence de la maladie – ici sclérose en plaques – dans la tranche de population concernée. Exemple inventé : 1 cas pour 1000 chez les adolescents par an. Avec cette donnée, on calcule le nombre de cas que l’on devrait attendre par hasard en prenant le nombre de vaccinés dans la tranche de population donnée. A la fin, on regarde si le nombre de scléroses en plaques est plus important que celui qui est attendu. Mais c’est un peu plus compliqué, car on doit définir une fenêtre de temps entre l’injection du vaccin HB et la sclérose en plaques, et les résultats peuvent être différents selon que l’on prend une fenêtre d’un mois et demi ou d’un an.
Il y a un critère qui incite à stopper l’utilisation d’un médicament (ou ici d’un vaccin) : si la maladie induite comme effet secondaire par le médicament est très rare, et que son apparition devient fréquente avec l’utilisation d’un médicament, on considère qu’il s’agit d’un signal fort incitant à stopper l’utilisation du médicament en question. Dans le cas de la sclérose en plaques, c’est plus compliqué car cette maladie n’est pas rare, et du simple fait de la vaccination massive, on pouvait s’attendre à un nombre élevé de cas, d’associations fortuites.
Un grand argument de ceux qui nient l’existence du lien de causalité entre vaccin et sclérose en plaques est le fait que ce débat soit uniquement franco-français. Ailleurs, il n’y a pas eu de problèmes, ils en déduisent donc qu’il n’y a pas de lien. Ce qu’ils oublient c’est que dans aucun pays au Monde une population adulte a été aussi massivement exposée à un vaccin, quel qu’il soit. Les autres pays vaccinent, certes, mais moins et plutôt les jeunes.
Pourtant, aujourd’hui, il semble que la France soit parmi les pays qui vaccinent le moins contre l’hépatite B ?
B. Bégaud : Oui, après cette affaire, la vaccination contre l’hépatite B s’est effondrée en France. La crédibilité du vaccin a été atteinte chez les gens, et plus grave encore, chez les médecins. Les gens ont perdu confiance. C’est pourquoi la protection contre l’Hépatite B est très mal assurée aujourd’hui. Alors que l’utilisation du préservatif n’est toujours pas systématique, on peut craindre le retour massif de cas d’hépatites B en France.
Quelles sont les différentes manières de représenter le lien de causalité entre le vaccin HB et la sclérose en plaques ?
B. Bégaud : Mon sentiment, c’est qu’il y a plusieurs positions à ce sujet chez les spécialistes.
1/ Certains médecins pensent que c’était une erreur de vacciner en masse, mais que les cas de scléroses en plaques sont explicables par le hasard. Si on vaccine chez les nourrissons, il n’y a pas de risque. Et ils utilisent l’argument de dire que s’il y avait un lien de causalité avec le vaccin contre l’hépatite B, on verrait un lien avec d’autres vaccins également. Je ne partage pas ce dernier argument, car le vaccin HB est le seul à avoir été utilisé en masse chez des jeunes adultes.
2/ Les anti-vaccinaux : pour eux, le vaccin HB est très particulier car très immunogène, il contient des adjuvants à base d’aluminium, et quand il y a des cas de maladies auto-immunes liés à un vaccin, c’est dans 88% des cas le vaccin contre l’hépatite B qui est responsable.
3/ Ma position : dans certains cas notifiés, il est difficile de croire au hasard. Il existe en effet un certain nombre de cas de scléroses en plaques qui semblent liées au vaccin HB.
Pourriez-vous m’expliquer ce qu’est le principe d’imputabilité ?
B. Bégaud : En fait, il s’agit plutôt d’un critère de plausibilité biologique. Il est admis que la sclérose en plaques est une maladie qui apparaît chez des personnes qui ont des particularités génétiques spécifiques et qui reçoivent un stimulus immunologique fort, qui est en général une infection comme une grippe sévère par exemple. De ce fait, on peut conclure l’existence d’une plausibilité biologique du lien de causalité. Le vaccin HB étant parmi les plus immunogènes, il est plausible biologiquement qu’il puisse causer un stimulus engendrant une poussée de sclérose en plaques.
Plusieurs explications de lien de causalité coexistent :
1/ Le vaccin a créé des cas de scléroses en plaques ex nihilo. C’est une position rarement soutenue chez les médecins.
2/ Le vaccin a fait apparaître la maladie chez des gens qui ont des prédispositions.
3/ Le vaccin a fait apparaître une poussée de sclérose en plaques plus tôt que prévu.
Dans la communauté scientifique, les explications 2 et 3 sont considérées comme possibles, même si ne peuvent être prouvées scientifiquement.
Pourquoi pensez-vous que « dans certains cas notifiés » il y a un lien de causalité entre le vaccin HB et la sclérose en plaques ?
B. Bégaud : Quand après trois injections du vaccin, on observe à trois reprises des poussées d’affections démyélinisantes, en tant que statisticien, on ne peut pas y voir que du hasard.
De plus, deux études épidémiologiques et statistiques ont été menées en France, dont une à laquelle j’ai participé et qui concluait à un risque en moyenne 1,5 fois plus élevé chez la population vaccinée, mais sans signification statistique. Aucune étude n’a démontré le lien de causalité. Aucune ne peut non plus affirmer l’absence de lien non. Selon moi, ceux qui utilisent ces études pour montrer l’absence de lien de causalité ne font pas preuve d’honnêteté. Ces études ne penchent pas vers un côté ou vers l’autre. Elles laissent un doute scientifique.
Quand Bernard Kouchner, alors ministre de la santé, a pris connaissance des résultats de nos études qu’il avait commanditées, il s’est trouvé devant une situation fort embarrassante : l’incertitude scientifique (la zone grise) est la pire des choses pour un décideur. C’est pour calmer le jeu qu’il a suspendu les campagnes de vaccination chez les adolescents. C’était à mon avis une bonne décision car l’absence de risque n’était pas démontrée chez eux à la différence des nourrissons qui restaient l’objectif initial. Mais, les médias n’ont pas compris, ou voulu comprendre, les résultats de ces études, et ils ont eu tendance à titrer soit pour l’absence de lien (le Figaro), soit pour la démonstration qu’un lien existe bien (Le Parisien).