Positionnement associatif
Les difficultés à faire entendre la cause des victimes de l’extraction de l’uranium naissent aussi des difficultés associatives à concilier leurs points de vue.
Associations locales, collectifs de soutien, ONG… Les organismes associatifs sont variés et leurs points de vue divergent sur certains points : la posture face à la question de nucléaire en général et celle face à la question des conditions d’extraction en particulier, les modes opératoires, les choix effectués pour soutenir leur cause (collaboration douloureuse mais nécessaire par exemple), les degrés de contestations et de concessions, l’importance accordée à la mobilisation…
Des différences qui interfèrent dans la controverse et dans le combat associatif. Dans deux dimensions principales : la mise en perspective des enjeux liés à l’extraction de l’uranium avec la question du nucléaire en général et la manière dont s’effectue la mobilisation associative face à cette nécessité de faire entendre une cause commune et proposer une opposition forte.
L’enjeu de la médiatisation des problématiques liées à l’extraction de l’uranium
Mise en perspective avec le sujet « nucléaire » :
Plusieurs des acteurs que nous avons interrogés dirigeaient assez rapidement la conversation sur la question du nucléaire en général. Ils faisaient partie d’associations plus « généralistes » et anti-nucléaires (FNE, l’Observatoire du nucléaire…) : au regard de leur témoignages, la question des déchets semble être le point d’ancre des opposants à la légitimité du nucléaire, rejoint désormais par la question de l’accident suite à Fukushima. Selon Yves Marignac de Wise-Paris, « l’attention qui est globalement portée aux conséquences environnementales et sanitaires de l’extraction d’uranium et globalement ou a été sans commune mesure avec son poids réel comparé à d’autres étapes de l’activité nucléaire ». Ainsi, les associations préféreraient se concentrer sur la question des centrales et des déchets que sur celle de l’extraction, alors que, selon Marignac – et c’est un point de vue sur lequel tous les autres acteurs s’accordent, même l’industriel – « c’est clairement [au niveau des mines] que les impacts potentiels en fonctionnement normal sont les plus importants ». Mais à l’inverse « ce n’est pas là qu’ils sont les plus importants du point de vue accidentel (…) les risque de situations beaucoup plus graves que prévu, on les envisage plutôt sur la partie réacteur ou sur la partie déchets ». Aussi, l’activité de l’extraction de l’uranium ne serait pas « un maillon stratégique dans la lutte entre les partisans et le opposants du nucléaire ».
Il y aurait donc une dimension spectaculaire et affective des controverses nucléaires visant à obtenir un relais médiatique. La figure de la victime joue un rôle important. Ainsi, le public se sentira plus affecté, si l’on reprend l’exemple donné par Yves Marignac, par le cas d’un nourrisson atteint de leucémie dans les environs d’une centrale nucléaire (alors que l’exposition à proximité d’une centrale revient à absorber moins de radiations que lorsqu’on mange une banane) que par le cas d’un ancien mineur de l’uranium atteint d’un cancer. Et c’est plus intéressant de se positionner en tant qu’association sur le danger potentiel de l’explosion d’une centrale, que sur le danger réel même si moins spectaculaire de l’exposition des mineurs et des riverains d’une mine d’uranium.
Au quotidien, pour défendre leur cause, les associatifs décident de faire des choix. Pour le cas français, les associatifs se sont centrés pendant longtemps sur les victimes françaises de l’extraction de l’uranium, occultant les victimes gabonaises et nigériennes. Ces décisions relèvent avant tout d’un choix pratique. Il s’agit de faire émerger une population de victimes et de la rendre visible afin de soutenir sa cause. L’association Serge Venel pour les anciens de la Cominak et de la Somaïr par exemple sont franco-centrés. D’un point de vue juridique, la justice française est sans doute plus disposée à trancher en faveur d'indemnisations et de la reconnaissance de la responsabilité des industriels que les États gabonais et nigériens. Une stratégie donc des ONG et des associations motivée « un mix de préoccupations réelles des différents acteurs et de considérations tactiques ».
La question du point de vue, du choix des arguments, de la figure de la victime sont devenus de vrais sujets pour les associations, notamment celles qui veulent faire entendre la cause, moins connue, des travailleurs des mines.
Tout dépend donc du point de départ des ONG pour arriver sur le dossier « extraction de l’uranium » : certaines, les organisations majeures comme Greenpeace ou le Réseau Sortir du Nucléaire viennent au sujet avec un point de départ qui est la lutte globale contre le nucléaire. Comme les travaux de ces ONG sont médiatisés, le choix de mettre l’accent sur l’activité de l’extraction place ainsi le sujet dans l’actualité.
Mise en perspective avec le sujet géopolitique
Par ailleurs, la dénonciation des conditions de l’exploitation minière par est en permanence combinée avec un discours plus politique. Ainsi ces conditions et les conséquences sanitaires de l’extraction sont mises en perspectives avec les intérêts politiques et économiques de pays qui exploitent l’uranium. Par exemple, au Niger, la Criirad, Sherpa, le collectif Areva ne fera pas la loi au Niger ou le collectif Tchinaghen dénoncent aussi en parallèle des pratiques qu’ils jugent néocoloniales, une absence d’information sur les risques sanitaires, la disparition d’un peuple et d’une activité traditionnelle ou le fait que le pays africain n’est pas enrichi pas par l’activité uranifère. Ils critiquent le fait que l’État français passe des contrats avec un régime autoritaire. Ces parallèles permettent de donner plus de poids à la cause et de qualifier véritablement le coupable : Areva.
L'enjeu de la mobilisation associative
Sur cette question des divergences et du choix de l’angle d’attaque, Stéphane Lhomme veut appeler à la mobilisation : « Il y a beaucoup d’enjeux et c’est important de croiser les questions, c’est-à-dire le risque de radioactivité autour des mines d’uranium mais aussi autour des installations nucléaires ». Pourtant, la collaboration se heurte à des difficultés.
Preuves issues du calcul et preuves issues de l'expérience
Les associations parfois divergent sur la nature des preuves à apporter, toujours dans cette double optique de légitimation et de médiatisation de la cause. Au cours de notre enquête, nous avons constaté que l’on pouvait classer les preuves mobilisées en deux types : les preuves issues du calcul et les preuves issues de l’expérience. Pour les experts institutionnels comme l’IRSN, le calcul, les données mesurées, les statistiques constituent la preuve irréfutable. Mais l’expérience « sensible »(témoignages des populations locales, des mineurs…) reste, pour un acteur comme Marc Ona de Sherpa, le point de départ de la mise en cause (« Le débat a commencé par les plaintes au niveau local » nous a-t-il rappelé en interview) et possède en lui un potentiel mobilisateur.
Dualités associatives
Des relations de conflictualité, des tensions implicites entre les associations peuvent influencer la mobilisation ou la collaboration entre-elles. La Criirad, radicalement opposée au nucléaire, refuse systématiquement de s’associer avec des associations ou des experts qui auraient pu travailler pour l’État ou l’industriel Areva.. Ainsi, la Criirad n’a pas voulu « collaborer » au rapport du GEP en Limousin car l’IRSN et l’ACRO y participaient.
Dans une autre mesure, des tensions, une dualité implicite se joue entre Greenpeace et le Réseau Sortir du Nucléaire. La première ONG est l’interlocutrice privilégiée des institutions et des médias, une position forte vers l’externe que ne possède pas autant le Réseau. Cependant, c’est ce-dernier qui fédère toutes les associations de lutte contre le nucléaire, et donc permet d’établir les connexions en interne. Parfois la dualité entre les deux ONG interfère et limite l’importance d’une mobilisation interne, qui peine à se percevoir à l’externe.